Agir contre le racisme

Rédigé le 7 mars 2016 par : Anne-Claire Orban

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Face à un individu empli de préjugés racistes, il est parfois difficile de réagir : comment faire prendre conscience à cette personne du racisme qu'elle véhicule ? Différentes pistes d'action peuvent être envisagées.

Une personne raciste sera une personne qui croit en l’inégalité des êtres humains, plaçant les membres de son groupe d’appartenance ethnique au sommet de la pyramide. Elle aura dû au préalable tracer une ligne de démarcation entre son endogroupe et les exogroupes présents à la surface du globe et imputer à ces exogroupes des comportements collectifs, des stéréotypes. Notons que nous véhiculons tous et toutes des stéréotypes à l'égard des groupes humains qui nous entourent. La stéréotypisation simplifie nos rapports sociaux.

Prenons la personne qui se lève pour laisser sa place à une personne âgée dans le bus. Cette dernière se base sur le stéréotype que toutes les personnes âgées sont fragiles. Elle n'a pas besoin de voir la fragilité, elle agit a priori. Sans stéréotype de la sorte, les voyageurs  attendront de voir physiquement la fragilité du senior ou attendront une demande explicite de ce dernier pour agir. Ils agiront a posteriori. Les stéréotypes dans ce cas facilitent les rapports sociaux en ce qu'ils permettent l'anticipation. 

Notons qu’il existe une série de stéréotypes positifs, tout aussi enfermant. Bon nombre de stéréotypes « positifs » enferment ainsi la population de couleur de peau noire : « ils sont bons en sport et danse » ou « ils sont joyeux »… Bien que le locuteur pense véhiculer une image valorisante des personnes noires, ces images ne participent pas moins au processus d’essentialisation et peuvent s’avérer être blessantes pour la personne concernée.

C'est lorsque ces stéréotypes se transforment en préjugés (par l'ajout d'un jugement de valeur), et que ces préjugés ouvrent la voie aux actes et discours d'intolérance, qu'il convient de les combattre. La personne emplie de préjugés à l'égard d'un ou de plusieurs exogroupes manifestera son hostilité de différentes façons : discriminations (et donc l’inclusion dans le système des populations infériorisées, mais tout en bas de l’échelle) et/ou actes ou discours de haine (visant plutôt l’exclusion des populations considérées comme de trop). Dans les deux cas (inclusion sous contrôle ou exclusion), l’exogroupe visé est considéré comme menaçant pour la survie de l’endogroupe.

Si tout un chacun peut véhiculer des préjugés à l’égard d’une autre population, le racisme structurel au sein de la société belge place au sommet de la pyramide la population européenne blanche, capable de discriminations car détenant les positions dominantes. Le racisme structurel ne peut être lu qu’en parallèle avec les inégalités sociales. Au contraire, le racisme obsessionnel[1], plus quotidien, peut toucher victimes et bourreaux de notre système socio-économique, indépendamment de la position sociale et de l'origine ethnique.

Un détour sociologique

Pour élaborer des pistes d'action concrètes face aux individus emplis de préjugés racistes, il semble nécessaire de cerner au préalable différents profils de personnes racistes. Le racisme étant un phénomène social complexe et total, il séduit par différentes voies et crée différents profils de racistes.

Pour comprendre les canaux de séduction (et donc entreprendre des actions de dé-séduction) du racisme, nous utilisons un outil sociologique intéressant permettant de dresser une grille de lecture simple : l'« idéal-type » ou le « type-idéal ». Cet idéal-type illustre une catégorie, un modèle reprenant les grandes caractéristiques d'un phénomène social. Pour Max Weber, le théoricien social à la base de cet outil, il ne s'agit pas d'aller dans la finesse mais au contraire de construire une théorie simplifiée du social. Par exemple : l'idéal-type de la bureaucratie. Les principales caractéristiques de cet idéal-type sont, selon Weber, 1/ des positions et des rôles bien déterminés, 2/ un règlement définissant les tâches de chacun, 3/ une hiérarchie des positions, 4/ interchangeabilité des individus (impersonnalité de la fonction), 5/ une évaluation objective des compétences pour chaque fonction. Cette bureaucratie idéal-typique ne se retrouvera jamais telle quelle dans le monde réel. Cependant toutes les formes de bureaucratie pourront être lues à partir de cette grille.

Un autre exemple, plus proche de nos débats belges actuels, l'idéal-type de la laïcité. Principales caractéristiques de la laïcité : 1/ la séparation entre l’État et les religions, 2/ le traitement égal de l’État face aux cultes reconnus. Tous les États laïques reconnaissent ces principes et s'y soumettent. Aucun pourtant ne les applique de façon identique. L'idéal-type de la laïcité, concept abstrait, permet d'avoir une compréhension générale d'un fait social, sans pour autant en comprendre les particularismes, ici régionaux.

Dans le cas du racisme, l'idéal-type permet de cerner différentes catégories, différents profils de personnes racistes. Cette catégorisation permet de proposer des pistes d'action spécifiques face aux différents profils, tout en reconnaissent qu'aucun individu ne collera parfaitement à un des quatre modèles présentés. Nous proposons une grille de lecture du racisme, composée de quatre individus idéal-typiques véhiculant des préjugés racistes. De là, différentes pistes d'action sont envisagées.

Quatre types-idéaux de racistes

Le raciste méconnaissant

Cette personne subit de plein fouet le phénomène de « triangulation » du racisme : moi, nous – médias ou discours politiques – l’autre, eux. Elle ne connait l’autre que par l’image qui en est donnée par différents acteurs. Elle véhicule de nombreux stéréotypes et préjugés sur cet autre. Parfois de façon inconsciente, elle incarne ce qu’on appelle un « racisme quotidien » : de petits gestes (serrer son sac à l’approche d’un homme de couleur, ne pas donner d’importance à la parole d’une femme voilée, …) ou de petites phrases assassines (typiquement « ils sont tous pareils »).

On pourrait voir dans ce groupe les personnes vivant dans une situation sociale difficile qui cherchent à tout prix un responsable à leurs maux. Ce responsable peut vite prendre la figure de l’immigré. On pourrait y voir d’autres individus qui, dans des conditions de vie difficiles, cherchent à se valoriser en imaginant un groupe d’individus inférieur à eux (et en agissant selon cet imaginaire).

Devant une telle personne, il s’agit de casser ces stéréotypes et l’image simplifiée du monde. Ne pas entrer dans des discours intellectuels mais favoriser les rencontres, les documentaires, les témoignages, les exercices d’interculturalité, ... Casser la triangulation en proposant à cette personne un accès plus direct à l’autre.

Le raciste intellectuel

Cette personne lit, réfléchit, se renseigne sur cet autre. Elle adopte ce qu’on pourrait nommer un « macro-racisme » et sera séduite par les discours de choc de civilisation, de guerre de culture, de grand remplacement, etc. Elle regarde les chiffres, l’histoire, la démographie, les études, etc. Elle utilise des arguments rationnels pour justifier l’exclusion ou l’infériorisation de l’autre. Cette personne suivra des intellectuels invités sur les plateaux télévisés et auteurs de différents ouvrages polémiques.

Contrairement au premier « idéal-type », il faut toucher ces personnes par les canaux qu’elles-mêmes utilisent : conférences, débats, articles de presse, recherche scientifique,… Proposer des rencontres n’amènera à rien, l’argument sera Peut-être qu’au niveau micro il y a des exceptions mais au niveau macro c’est différent ! Toucher ces personnes par des arguments scientifiques sera la meilleure solution.

Le raciste complotiste

Cette personne ne croit en rien « de ce qu’on nous fait croire ». Le monde est dirigé par des groupuscules d’individus guidés par leurs intérêts personnels, cachés. Les médias, les politiques, le monde associatif, tous sont de mèche. Seules certaines personnes détiennent un discours de vérité, ce sont leurs gourous, qui interprètent le monde de façon très simpliste, souvent binaire : un groupe de méchants, minoritaires, versus un peuple opprimé, majoritaire. Ce groupe minoritaire dominant tend à invisibiliser les inégalités et à contrôler la population en maintenant l’ignorance. Tout le réel est interprété à l’aune de ce postulat de base.

Aucune rencontre, ni contre-discours intellectuel, ni expérience de terrain ne touchera le raciste complotiste. Son discours est dense, fort, cohérent et tout qui lui posera un contre-discours, sera rangé du côté du pouvoir. Seule solution, créer des brèches dans la « cohérence » du discours complotiste : poser des questions, pointer les incohérences entre discours et pratique, ramener aux impossibilités physiques, … Il faut que la personne se rende compte qu’elle ne fait que reproduire un discours tout fait, sans sens. Il faut qu’elle se remette à penser par elle-même et qu’elle prenne distance par elle-même face aux discours des gourous.

Le raciste émotionnel

Cette personne a vécu un événement traumatisant où l’autre a joué un rôle plus ou moins déterminant : vol, agression, insulte, discrimination, … Elle a réellement peur de l’autre car elle associe à tous ces autres les mêmes comportements dont elle a souffert. A chaque rencontre avec l’autre, les émotions ressortent et mettent fin à toute tentative de dialogue.

Conférences, textes, contre-discours ne la toucheront pas. Elle n’est pas dans la rationalisation mais dans l’émotion. Les rencontres l’aideront certainement sans pour autant lui ôter sa peur. Profil de personne difficile à sensibiliser et à ouvrir à l’autre.

***

Il est important de préciser ici qu'aucun individu ne répondra entièrement aux caractéristiques dressées dans un des idéal-types. Il s'agit de modèles abstraits, de catégories, qui permettent de cerner une situation sociale donnée. Ces 4 profils illustrent des pôles extrêmes, les 4 coins du carré au sein duquel se meuvent les individus réels.  De plus, avant de tenter d'amorcer une réflexion chez la personne en face de soi, il est important de se questionner sur nos propres préjugés... Se rendre compte que nous véhiculons tous des préjugés sur l' « autre » est une première étape. Comprendre pourquoi de tels préjugés sont ancrés en nous, en faire leur genèse, en est une seconde. Le travail social de « déradicalisation » constitue une étape ultérieure. 

Rappelons également aux travailleurs sociaux que certaines personnes ne se détacheront jamais de leur cadre de référence raciste.  Dans ce cas, il convient de laisser ces dernières de côté et de se concentrer sur les personnes qui doutent encore et qui cherchent à comprendre. Ce sont vers ces personnes, en balance mais encore ouvertes au dialogue, qu’il convient de déployer la plus grosse part de notre énergie.

Enfin, rappelons que le facteur « temps » reste notre plus grosse incertitude : combien de temps pour déradicaliser (car il s'agit bien de radicalisation) une personne ?  Combien de temps pour faire tomber des préjugés, parfois bien ancrés ? Le temps associatif se heurte souvent à la rapidité du temps politique et le chemin de la « déradicalisation raciste » semble plus périlleux que celui de la radicalisation.

 


[1] Pour aller plus loin sur la différence entre racisme structurel et obsessionnel, voir l'essai « Peut-on encore parler de racisme ? » , http://bepax.org/publications/etudes-et-outils-pedagogiques/etudes-et-livres/peut-on-encore-parler-de-racisme,0000588.html 

 

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