Antisémitisme dans les populations arabes : tentative d’approche historique

Rédigé le 8 décembre 2017 par : Benjamin Peltier

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En 2011 l’étude «Jong in Brussel» coordonnée par la VUB a obtenu des résultats montrant une population musulmane à Bruxelles plus touchée par l’antisémitisme que le reste de la jeunesse bruxelloise.

Quasiment 50% des personnes interrogées, soutenaient des thèses antisémites (contre 10 % chez les non-musulmans, mais quand même 38% chez les catholiques pratiquants). Ce résultat interpellant peut-il s’expliquer par un antisémitisme propre aux sociétés arabes ?

Même si elle est à nuancer car il ne concerne que les élèves de l’enseignement flamand à Bruxelles, cette étude indique une tendance. Par ailleurs, les meurtres à caractère antisémite qui ont émaillé les cinq dernières années en Europe étaient le fait de musulmans radicaux, de jihadistes. Si nous pensons que les ressorts principaux de la résurgence de l’antisémitisme que nous connaissons actuellement se trouvent chez nous en Occident, ils sont également partiellement attribuables à des facteurs historiques et à une ‘importation’ de questions liées à des contextes extérieurs : ceux des pays arabes. On peut ainsi distinguer différents facteurs : le rôle des chrétiens d’Orient, la porosité aux thèses complotistes, l’héritage de la Seconde guerre mondiale et de la lutte contre les puissances coloniales.

Le rôle des chrétiens d’Orient

Si l’antisémitisme moderne est un phénomène qui a son origine en occident, il a fini par s’implanter  dans le monde arabe avec l’aide des minorités chrétiennes y résidant. Ces dernières ont, à l’instar des chrétiens d’Europe, toujours entretenu une judéophobie vivace au Proche-Orient. Ainsi dans la liturgie Assyro-Chaldéenne, le juif reste désigné par le terme Zāqūfā qui signifie « celui qui crucifie ».  Si, chez les catholiques, le concile Vatican II a « nettoyé » la liturgie de ses nombreux reliquats antisémites, il n’en va pas de même des églises d’orient.

C’est sur base de cette judéophobie séculaire que les populations chrétiennes du Levant vont importer l’antisémitisme occidental dans la région. Ils seront ainsi en « première ligne de la réception et diffusion dans tout le Moyen-Orient des « Protocoles des Sages de Sion » »[1]. Cet ouvrage, datant du début du 20e siècle, décrit un plan des Juifs pour dominer le monde et le corrompre. C’est évidemment un faux, mais il avait été diffusé à l’époque en étant présenté comme réel.

A la faveur de la décolonisation et de l’émergence du conflit Israélo-Arabe, l’importation des codes et de la littérature antisémite va s’opérer de l’Europe vers le monde arabe à un moment ou justement, en Europe, l’antisémitisme décroît. A l’heure actuelle trouver « Mein Kampf » ou les « Protocoles des sages de Sion » est très simple dans la plupart des pays arabes, où beaucoup de librairies les proposent en présentoirs.

Le complot juif, excuse aux échecs des régimes

C’est la question Palestinienne qui a fait émerger et donner une telle ampleur à l’antisémitisme dans les pays arabes. Les régimes autoritaires régionaux ont notamment pu instrumentaliser la thèse du complot juif et participer eux-mêmes à la diffusion de thèses complotistes antisémites afin de servir d’excuse parfaite face aux échecs de leurs armées contre Israël. Comment une coalition de plusieurs pays aux armées puissantes peut-elle être défaite par un seul petit pays ? Plutôt que l’autocritique, certains despotes locaux préféreront la thèse du complot juif mondial.

Ainsi, en 1958, Nasser, alors président égyptien, demandait à un journaliste s’il avait lu les « Protocoles des sages de Sion » car, affirmait-il, « 300 Sionistes, dont chacun connaît tous les autres, gouvernent le destin du continent européen et élisent leurs successeurs parmi leur entourage»[2]. On est là au plus haut sommet de l’Etat du pays arabe le plus peuplé. Ce ne sont pas des croyances « à la marge ».

Si certains dirigeants arabes n’hésitent pas à franchir le pas du complotisme antisémite, il ne faut pas s’étonner que celui-ci ait du succès au sein de la population. Les vérités « alternatives » deviennent des vérités « officielles ». Ainsi, en 2002, le département d’Etat américain a organisé une vaste étude en sondant les populations dans quatre pays arabes (Maroc, Egypte, Liban et Syrie) en leur demandant qui, selon eux, était responsable des attentats du 11 septembre 2001. 62 % des sondés ont affirmé être convaincus que ce n’était pas Al Qaeda.

C’est là un exemple qui n’est malheureusement pas isolé. En 2012, l’intellectuel druze israélien Salman Masalha rédigeait une tribune[3] intitulée « Pourquoi les Arabes préfèrent-ils le mensonge à la vérité? » dans laquelle il tançait ses collègues journalistes ou écrivains arabes pour leur crédulité et leur porosité aux thèses complotistes.

Le rôle des politiques coloniales dans le développement de l’antisémitisme

Toutefois, ce n’est pas le seul élément. Avant cela, des choix coloniaux ont aussi contribué à préparer une montée de l’antisémitisme dans les populations arabes. Ainsi, en Algérie, le décret Crémieux de 1870 accordait la nationalité française aux Algériens Juifs. Avantage dont ne pourront jamais bénéficier les musulmans. Si le décret Crémieux va pousser à l’excès ce phénomène de dissociation des juifs par rapport aux populations au sein desquelles ils évoluent, on peut dire que, globalement, la politique coloniale française va jouer sur l’utilisation des minorités, dont juives, et sur l’exploitation des fractures au sein des sociétés colonisées afin de davantage asseoir son autorité. Les Français le feront par exemple aussi avec les chrétiens au Liban et les alaouites en Syrie.  Autant de politiques qui auront des répercussions ravageuses pour ces pays et ce, jusqu’à nos jours[4].

En termes d’impact des politiques coloniales sur l’antisémitisme des populations locales, on peut par exemple s’interroger sur le cas du Maroc. Il y existait, depuis l’expulsion des juifs d’Espagne en 1492, une communauté israélite importante et qui a marqué la vie culturelle, sociale et économique du pays. Le Maroc d’alors, et pendant les siècles qui suivirent, avait su montrer une tolérance et un accueil à l’égard des juifs dont les sociétés européennes avait été incapables. Pourquoi dès lors, à la faveur de la décolonisation, l’écrasante majorité des juifs marocains ont-ils émigrés en Israël ou ailleurs ? Difficile de ne pas y voir une conséquence de certaines politiques coloniales.

La lutte contre les puissances coloniales et la proximité avec le régime nazi

Un dernier élément historique qui a contribué à l’arrivée et l’enracinement de l’antisémitisme dans le monde arabe est la conséquence du célèbre adage « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ». Ainsi, à partir des années 30, quand les mouvements d’indépendances prennent de l’ampleur dans le monde arabe, l’Allemagne nazie va être vue avec une certaine sympathie. En effet, en tant qu’ennemie de la puissance coloniale, française ou anglaise,  elle apparaît assez naturellement comme une alliée.

On citera notamment le célèbre exemple de Mohammed Amin al-Husseini, grand mufti de Jérusalem, qui, après s’être fait expulser de Palestine par les britanniques, va se rapprocher des nazis. Il rencontrera Hitler en 1941 et deviendra son allié. En Irak aussi, les nazis, ennemis des anglais, sont plutôt vus d’un bon œil.

De son côté, le roi d’Irak, Ghazi Ier, invitera Baldur von Schirach, le chef des jeunesses hitlériennes, en visite à Bagdad. En retour, une délégation Irakienne sera invitée à la convention du parti nazi de septembre 1938. L’appareil nazi va profiter de ces rapprochements pour exporter son idéologie antisémite au sein des sociétés arabes. Les effets sont réels. En 1941 quand un coup d’Etat est réalisé en Irak et que les anglais perdent provisoirement le contrôle du pouvoir, un nombre important de violences antisémites auront lieux, notamment des massacres de citoyens juifs.

Conclusion

On le voit, les raisons d’un développement d’un antisémitisme au sein des pays arabes sont multifactorielles avec véritablement le conflit Israélo-Palestinien comme catalyseur. Si BePax s’intéresse surtout à l’antisémitisme en Belgique et en Europe, on ne peut détacher totalement les diasporas d’origine arabe des sociétés desquelles elles sont initialement issues. Autrement dit, l’antisémitisme patent dans les sociétés arabes joue un rôle important dans l’existence d’un antisémitisme musulman en Belgique. Toutefois, cette affirmation mérite d’être directement nuancée car l’antisémitisme chez les jeunes bruxellois musulmans, visé par l’étude citée en introduction, repose probablement sur d’autres ressorts. En effet, il n’est pas rare d’entendre des parents musulmans se plaindre de la radicalité de leurs enfants sur ces questions, montrant là un shift générationnel. Mon interrogation, que je laisserai donc ouverte à la fin de cette analyse, est la suivante : dans quel mesure les groupes discriminés, musulmans inclus, ne sont-ils pas plus réceptifs au discours de concurrence des victimes tel que proférés par des Dieudonné ou des Kémi Seba ? Peut-être est-ce là que davantage de réponses peuvent être trouvées.

 


[1] Pascal Fenaux, « Chrétiens d’Orient, le risque de la compromission », in Revue Nouvelle – Blog, le 10 septembre 2015. http://www.revuenouvelle.be/Chretiens-d-Orient-le-risque-de-la-compromission

[2] Gilbert Achcar, Les Arabes et la Shoah, Sindbad, 2009, p.213.

[3] Salman Masalha, « Pourquoi les Arabes préfèrent-ils le mensonge à la vérité ? » (en arabe), Elaph.com, 26 novembre 2012.

[4] Les Belges ne feront pas autrement, notamment dans  le cas rwandais, en entretenant une différence de traitement entre Hutus et Tutsis. Ce qui n’est évidemment pas sans avoir largement participé à créer les conditions du génocide en 1994.   

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