Au-dela du phénomène Soral, la récupération politique Pour une vraie démocratie - (vraiment) protestataire

Rédigé le 28 juin 2016 par : Hervé Narainsamy

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Chaque année, nous avons dans nos classes de secondaire quelques fans de Dieudonné. Certains le trouvent drôle, tout simplement, sans chercher plus loin. D’autres, davantage en recherche de "virileʺ rébellion, sont fascinés par son charisme : il se moque de tout, il semble être une parfaite icône underground de la Transgression Nouvelle. D’autres encore sont carrément séduits par certaines de ses idées et sa manière de les défendre. Et ceux qui persévèrent à ses côtés dans ce Nouvel Ordre de la Transgression finissent pas trouver, sur leur route, Alain Soral et son occulte « Dissidence ».

Prolégomènes

Après Dieudonné, il y a presque toujours Soral ; derrière l’un, il y a forcément l’autre[1].  Globalement, Soral semble concerner davantage un auditoire un peu plus âgé, un peu plus cultivé, plutôt des post-adolescents voire des trentenaires 2.0 (les deux n’étant pas incompatibles) en quête de rébellion, en mode Thulé[2].

A quoi peut-on parfois reconnaître les plus jeunes adeptes de « la Dissidence » ? A leur propos ou positions conspirationnistes (sourdement) antisémites[3], les deux étant ici généralement tenus ensemble : « Voici la vieille rengaine soralienne : lecomplot judéo-maçonnique anti-chrérien contrôle le mondeavec la responsabilité desélus droite-gauche manipulés ou complices […] Soral affirme, comme Dieudonné, que les Juifs sont malfaisants et que l'holocauste est un mensonge historique fabriqué pour permettre aux juifs de dominer un monde soumis et repentant »[4].

Dès lors, la question qu’on pourrait peut-être creuser davantage sur le sujet, c’est la question du lien affectif – intense - qui s’établit entre ce personnage et son auditoire. Pour dégonfler la baudruche, il ne s’agirait donc pas seulement de comprendre ce qui le lie à ses fans (une soif obsessionnelle de reconnaissance par exemple) mais également ce qui, dans l’autre sens, lie ses adeptes à cette figure charismatique. Penser (panser ?) ce chemin peut nous éviter deux écueils-miroirs : prêcher à l’entre soi des déjà acquis à notre cause ou prêcher dans le désert…

Car, en effet, plus nous creusons notre tranchée (d’anti-"dissidents" convaincus), plus nous renforçons le fossé entre nous et ceux qui sont renvoyés dans l’autre tranchée. Or, s’il s’agit de déjouer Soral, c’est avant tout pour, in fine, récupérer - à temps - un certain nombre de ses possibles disciples.

Aussi, on peut déplacer notre analyse et cerner toujours plus précisément quels sont au juste les canaux de fascination de Soral (sachant qu’à l’origine fasciner signifie jeter un sort) et comment, en réinvestissant autrement ces canaux (intellectuellement, politiquement et relationnellement), il deviendrait envisageable de récupérer politiquement une partie de cette génération du ressentiment que ce gourou (parmi d’autres) tente de siphonner. Produire et affiner toujours plus des outils intellectuels de cette sorte permet non seulement de contrer un peu ce phénomène, mais peut-être surtout, d’anticiper encore mieux, les lieux de fascisation/fascination des esprits.

Je voudrais ouvrir quelques pistes qui, tout en maintenant le combat (politique) des idées, se déplacent en même temps sur un terrain plus psychologique sur lequel nous pouvons aussi entendre ce genre de sectarisation politique comme un « recul de la symbolisation » ou autrement dit comme un « rétrécissement de notre capacité de [se] penser » [5] avec tout ce que ce rétrécissement appelle de questions plutôt que de coups de massue. Nous verrons dans quelle mesure tout cela nous reconduit, encore et encore, à la question – essentielle - du politique et de la démocratie.

Du stade anal au stade Soral

Dans le phénomène Soral, il y a au moins deux aspects qui font son succès auprès d’une certaine génération : d’une part, son « style » (sur lequel nous reviendrons) : « viril et macho, Soral est égalementun homme cultivé et éloquent, son élocution est facile et abondante »[6]. D’autre part la dimension dite conspirationniste de ses échafaudages intellectuels.

Mais, est-ce vraiment « le conspirationnisme » qui, pour nous, est le principal enjeu dans le phénomène Soral ? En fait, qu’est-ce qui s’y joue exactement ? S’attaquer de front à celui-ci ne revient-il pas à, à la façon de Don Quichotte, à provoquer des moulins en duel, jusqu’à la folie ? N’est-ce pas tomber dans un piège consistant à glisser toujours plus avant dans leur monde binaire en nous rétrécissant nous-mêmes à la mesure de la haine qu’on y trouve ? D’autant que, justement, Soral & Co« […] ont érigé le clivage en concept et comme élément central de leur agenda »[7]. Intéressant.

On le sent, on ne peut pas réduire la nébuleuse Soralienne à la ligne idéologique de son Gourou et à ses thèses conspirationnistes. Cela me semble piégeant, intellectuellement et politiquement – d’autant que le conspirationnisme se voulant infalsifiable, ses sbires peuvent nous retourner l’accusation… Et c’est alors reparti pour un tour. Je voudrais aussi montrer que destituer Alain Soral en se cantonnant au seul plan du combat idéologique et d’une sorte de guerre des tranchées, est une chimère, un rêve pieux. Car sa force, comme souvent chez les prédicateurs, ne tient pas seulement à ses idées : « […] paradoxalement, plusieurs indices laissent penser que la magie du verbe soralien a une certaine audience dans un public fréquentant ou ayant fréquenté l’université, donc doté d’un certain capital scolaire »[8].  Ou encore :

« Comment Soral a-t-il réussi son entreprise de séduction d'une partie des jeunes des quartiers, mais aussi de nombreux trentenaires, et d'un segment de la population qu'il n'aurait jamais dû, en raison des thèses qu'il défend, charmer ? Oui, car c'est bien de charme qu'il s'agit au sens occulte de ce terme. De nombreux facteurs peuvent expliquer ce succès. Sur la forme, Soral est un bon orateur, un bon client comme on dit dans le jargon des communicants. Il sait faire preuve de charisme, de franc-parler ce qui plaît aux jeunes et correspond assez à leurs standards de communication. Soral a su développer un style de communication direct, franc, brutal qui, contrairement aux éternels poncifs de la langue de bois médiatique et de son cortège de politiquement correct, séduit toujours la jeunesse. Autre explication : l'innovation et le large investissement des nouvelles technologies a permis à l'équipe d'Egalité et Réconciliation de produire une nouvelle forme de politique-spectacle en phase avec les pratiques sociales (internet, réseaux sociaux) des jeunes, le tout avec une bonne dose d'humour, de musique et de provocation. Tous les ingrédients d'une bonne politique de consommation étaient réunis, avec le sentiment pour l'internaute d'accomplir un acte politique de transgression par le simple fait de visionner une vidéo de Soral »[9].

C’est ainsi qu’il y a, à l’insu du spectateur soralien et sous couvert d’une libération de la parole, une régression qui s’opère. Elle peut-être, si on utilise le langage freudien, formelle, temporelle ou topique, c’est selon. Soral parle beaucoup, parle seul, et le charme de sa parole investit les lieux : « […] l’oralité est ici une jouissance pulsionnelle éminemment opportune puisque c’est elle qui éradique la castration, en l’occurrence davantage encore que le regard puisque le gavage oral est précisément ce qui est à même de tuer le désir dans l’œuf »[10]. Sa pensée, ample mais toujours refermée sur elle au bout du compte, interdit en fait de penser[11]. Alors que son public se dit volontiers « gavé » par les discours politiquement corrects, la langue de bois, voilà qu’il se prend au jeu du gavage politiquement incorrect – l’incorrect (ou la quenelle langagière – qui se mord la queue) éclipsant très vite le véritable horizon politique, à savoir ce qu’on fait, non pas contre, mais en commun pour le commun (qui appartient à tous) : « Le problème que nous devons résoudre – la place de l’individu dans le collectif et inversement – reste entier. Le passage du sujet pensant et autonome au collectif pensant autonome demeure la question cruciale »[12]. C’est pourtant bien cela qu’un certain nombre de "dissidents" recherchent au départ : le sujet pensant au service d’un collectif repensé et repensant. C’est aussi cela que la pensée de Soral, miroir aux alouettes, prétend leur présenter, sur un plateau d’argent. Sauf qu’il est là le seul sujet pensant, ses adeptes étant réduits à la seule fonction de remâcheurs de sa parole toute-puissante ; sauf également que, comme toute pensée des extrêmes, le collectif ici n’est pas vraiment le Collectif mais, en fait, le camp (Soral), le parti (de la Dissidence). Or, si derrière Dieudonné il y a souvent Soral, derrière ce dernier, il y a toujours l’extrême-droite. Et cette dernière, on le sait, est loin de se vouloir – vraiment - sociale (« la gauche du travail, la droite des valeurs » ?), c’est-à-dire une authentique coopérative des idées de chacun au service de l’émancipation de tous les individus et en particulier des damnés du système.

La régression inoculée par la parole de Soral est donc réelle puisque, dans beaucoup de cas, le fan n’est plus, in fine, ni sujet, ni collectif. Or ce que Jean-Pierre Lebrun note à propos du discours techno-scientifique est ici applicable au discours des extrêmes comme celui d’Alain Soral : « […] ce qui lui [au sujet] est abusivement promis, c’est l’adéquation du mot à la chose, c’est la fin du règne du semblant, c’est l’accès simple et immédiat au vrai objet »[13]. Cette régression est le tour de magie opérée par Soral – et tous ceux qui lui ressemblent.

Si ce dernier obtient un certain succès, c’est donc entre autres parce que les paroles des hommes politiques classiques ont perdu cette adresse. Ce tour de passe-passe est chez eux grippé. Certaines franges de la population (plutôt jeunes) vont alors rechercher tous azimuts de nouveaux Noms-du-père (Lacan) à même de les encourager dans leur quête d’émancipation personnelle et collective : « "Pour de nombreux amateurs de vidéos polémiques sur internet, Alain Soral est l'archétype de l'homme libre et insoumis. Libre-penseur, il est aussi le père que la jeune génération n'a pas eu. Et celui que certains aimeraient être ! »[14]. Ainsi, la régression a réussi quand, à force de fascination pour ce nouveau Père, vous avez du mal à sortir du stade Soral. Or, comme le note Michèle Ansart-Dourlen commentant Castoriadis : « une des caractéristiques essentielles de l’autonomie individuelle et collective est la capacité de réflexivité, d’un retour sur soi »[15].

Entre terrorisme sectaire et désir d’autonomie

On le voit, le phénomène Soral se nourrit d’une difficulté réelle pour toute une génération à se penser et à se panser dans ce monde faillible. Ce que Lebrun écrit à propos de Eichman et du régime totalitaire, on peut le reprendre sans trop se tromper pour le compte de l’individu affilié au soralisme :

« Il ne s’agit pas d’un sujet maléfique, mais d’un sujet qui démissionne de sa position de sujet, qui se soumet entièrement au système qui le commande, qui ne s’autorise pas à penser, qui ne pense plus ; il y va d’un sujet qui se démet de son énonciation et qui se contente d’être congruent avec les énoncés auxquels il a consenti à s’assujettir ». Assujétion qui s’explique par le tour de passe-passe consistant en « […] une fausse figure paternelle dont le pouvoir tient à ce qu’elle vient occuper pour ses fidèles un lieu commun de projection imaginaire de leur moi (moi idéal) […] Une telle figure maîtresse se supporte d’un trait, d’un insigne de conformité narcissique, directement soumise à l’ordre du désir maternel et de sa toute-puissance première »[16].

Il y a bien malaise dans la symbolisation, subjective et collective, les deux étant intimement liées : «Quand on a eu une enfance comme la mienne, on n’a que deux choix : devenir victime ou bourreau. On m’a programmé pour être un monstre ». Cette profession de foi n’est pas celle d’un jeune terroriste voué à Daech, ça aurait pu. Elle est celle d’Alain Soral. C’est ainsi que ce dernier s’autodéterminait, dans une interview accordée en son temps à Mireille Dumas[17].

Le binôme victime/bourreau serait-il donc l’alpha et l’oméga de toute la psychologie et la métaphysique soraliennes ? Et s’il faut bien entendre les schèmes (et les chaînes) de cette psychologie, ce n’est ni pour la soigner, ni pour l’abattre. Bien plutôt, il s’agit de comprendre ce qui, dans ce personnage, vient capter la sensibilité de ses adeptes, ce qui, peut-être, vient faire écho chez eux.

Quand je dis, donc, que la question est politique, c’est dire qu’il faut, avec le phénomène Soral, poser la question du lien. Le lien fusionnel, voire enflammé, qu’éprouvent souvent les auditeurs de Soral ne serait-il pas, après tout, l’image inversée d’une déliquescence relationnelle (politique) de plus en plus généralisée dans notre nouveau monde multipolaire et multi repère ?

Le problème, nous l’avons compris, c’est que ce Père-Tout-Puissant opère, à l’insu de ses enfants (« ceux qui ne parlent pas »), un siphonage psychique. Ceux qui cherchaient ici à la fois un Père (intellectuel), un pair (politique) et des pairs (révolutionnaires) sont en fait trompés sur la marchandise. En effet, tous ses liens à lui, "dissidents", deviennent exclusifs : l’allégeance et la loyauté envers sa pensée implique une déliaison progressive avec le monde dans son ensemble ou, plus précisément, avec le monde réel, tissé de nuances et d’inconnues : « C'est ainsi que l'islam est devenu, en prison, "la religion des opprimés" : on s'y convertit pour protester contre sa condition, tout simplement. Soulignons ici combien l'absence d'utopie républicaine, de vision collective ou d'espérance commune est opportune pour Daech, qui remplit tous ces vides […] »[18]. Relisez en remplaçant ici islam et Daech par soralisme et Soral…

Quelle récupération psychique et politique alors ? Car c’est bien sûr les besoins psychiques qu’il faut – aussi – agir. Attaquer Soral de front (comme le beaucoup le font déjà), même si c’est nécessaire, équivaut à toucher à, à attaquer, à remettre en doute la demande, la quête, d’un certain nombre. Olivier Roy écrit : « Le problème, c’est la révolte de ces jeunes. Et la vraie question est de savoir ce que représentent ces jeunes, s’ils sont l’avant-garde d’une guerre à venir ou au contraire les ratés d’un borborygme de l’Histoire »[19]. Ou pour le dire encore autrement : « Il apparaît que l’absence d’utopies, de projets sollicitant la vie imaginaire projetant l’individu vers l’avenir, le laisse sans recours contre l’angoisse, l’anomie, le sentiment de son insignifiance, lorsqu’il ne s’accommode pas des buts proposés : l’amélioration de son bien-être, -qui ne saurait d’ailleurs être rejetée, mais aussi la conformité à une vulgate apparemment libérale, mais qui exclut de fait une participation active aux affaires publiques »[20].

Conclusion (provisoire) : pour une démocratie protestataire…

Soral n’est donc évidemment pas le Diable en personne dans le sens où ils sont nombreux, aujourd’hui, ceux qui récupèrent les psychismes en errance – pour s’en nourrir, les dévorer. Soral le Magnifique ne serait alors qu’un énième psychotrope, mélange pervers ou délirant de psychoanaleptiques, psycholeptiques et psychodysleptiques pour générations révoltées en quête de pairs. A leur décharge, il faut reconnaître qu’aucune institution démocratique classique ne semble être aujourd’hui à la hauteur de cette demande de repères et de protestation instituante[21]. Pire, combien de ces institutions sont aujourd’hui perçues par beaucoup de citoyens comme des usurpateurs et des ab-useurs : ni repères et desti-tuantes.

Dans cette optique, toute une génération vit aujourd’hui sous l’épée du déclassement, social et subjectif. Par ailleurs, comme le montre Arnsperger, dans une société intégralement capitaliste, la sécurité existentielle est envisagée principalement sur le mode de la prédation[22]. Le système soralien permet alors symboliquement à des individus se sentant déclassés d’une manière ou d’une autre (politiquement, intellectuellement, socialement) de se retrouver un semblant de puissance. En cela, le système en question est ressenti comme pourvoyeur d’une sécurité existentielle.

A tort bien sûr, puisque structurellement autoritaire, ce système de pensée ne permet pas, in fine, aux individus de grandir vraiment en autonomie dans la mesure où cette sécurité est adossée à la peur de dehors et non à sa transmutation réelle ; en effet, en dehors de cette communauté essentiellement virtuelle, ces individus atomisés ne sont en fait plus Pères de rien ni pairs de rien, tout étant à leurs yeux corrompu et corruptible. Plus l’investissement dans la pensée soralienne est grand, plus ses adeptes demeurent alors dans une insécurité existentielle complète. Ils ont donc simplement échangé une insécurité pour une autre, un déficit d’imagination pour un autre. Au final, Soral – et tous ceux qui lui ressemblent – n’est pas autre chose que l’avatar de tout ce que le système politique, tel que nous l’envisageons pour le moment, est incapable de proposer à nos psychismes : imagination collective (contre atomisation sécuritaire), autonomie(s) (contre hétéronomies), socialisme (contre solipsisme(s)).

Et pourtant, à l’intérieur même de notre imparfaite démocratie, d’authentiques lieux de communalisme et d’imagination créatrice continuent d’émerger chaque jour. S’y expérimentent des liens qui libèrent et des protestations créatives tendant à récupérer, non seulement les libertés individuelles, mais également la liberté politique, les deux étant inextricablement liées. L’enjeu, qui revient sans cesse : récupérer l’individu autonome pour retisser le social, et vice versa. Ces recréations citoyennes sont trop souvent éclipsées, malheureusement, par le discours anxiophage ambiant et par son jumeau, le discours sécuritaire.

L’expérience faite avec de jeunes adeptes de Soral m’a permis d’entrevoir ceci : le plus sûr moyen de s’attaquer à toutes ces dissidences nihilistes qui métastasent le corps social, c’est de réinvestir le lien – radicalement : « L’affirmation des individus en tant qu’individus, qui se révélait dans leurs initiatives et dans leur refus de se laisser assujettir à des règles arbitraires ou de se laisser diriger par des révolutionnaires professionnels parlant la même langue de bois, cette affirmation allait de pair avec la volonté d’aménager un grand espace public dans lequel des réponses puissent être données à des questions d’intérêt commun […] »[23] .

Récupérer politiquement les nouvelles générations passera par la recréation de lieux, d’espaces et de temps, où leur parole et leur imagination seront prises en compte, en rendant la politique à la fois proche et vivante, vraiment démocratique et donc radicale : « Une telle société est en effet souvent soumise à trois conditions majeures. Premièrement, l’existence de dispositions institutionnelles garantissant que le pouvoir émane du peuple. Deuxièmement, l’étendue plus ou moins vaste du champ d’action de ce pouvoir démocratique. Et troisièmement, la capacité réelle des citoyens de prendre une part active dans les décisions collectives »[24]. Pour cela, il s’agit de nourrir, encore et encore, ce que Castoriadis appelait justement notre imagination radicale[25], avec exigence, car celle-ci encourt toujours le risque d’être soit étouffée, soit récupérée ou déliée (au sens freudien) et les prédateurs sont nombreux.

Le Mouvement des Indignés, Podemos ou Tout autre chose sont des tentatives politiques récentes qui cherchent à rouvrir cette brèche démocratique : « Et tel est ce nouvel espace, ce nouveau champ de débat, que des individus, qui n’avaient ni compétence ni autorité pour parler ou agir, s’improvisent alors une existence publique, se cherchent des interlocuteurs qui deviennent pour eux comme les substituts d’un destinataire universel et s’emploient à légiférer soit dans leur propre milieu soit à l’intention de tous »[26].

C’est donc possible. Mais, bien sûr, ce n’est jamais simple ni gagné une fois pour toutes. Néanmoins, cela prouve que nous n’en avons pas fini avec notre Histoire et qu’il y a bien encore des choses à faire, subjectivement et collectivement, l’un devant travailler avec l’autre, et aussi l’un pour l’autre. Ayant cela en vue, on peut choisir de considérer – ou pas – Alain Soral comme un détail de l’Histoire… et avancer – ou pas…

 

 
 


[1] Il suffit néanmoins de se balader un peu sur Internet, sur les sites affiliés soit à l’un, soit à l’autre, pour voir que ce petit monde est en implosions perpétuelles, passant d’une mutinerie à l’autre.

[2] La Société de Thulé est à l’origine une Société secrète aryosophique de type maçonnique. Elle fut fondée à Munich en 1917 : « […] Rudolf Hess, le secrétaire particulier d’Hitler puis son dauphin, tout comme Hans Frank, l’avocat de Hitler, puis ministre de Hitler et gouverneur général de la Pologne occupée, étaient également membre de Thulé […] Si Hitler n’a jamais été membre de la société secrète, le parti dont il va devenir le président en est l’émanation, le journal officiel du NSDAP également, et plusieurs membres, et non des moindres, de son entourage sont issus de ce qu’il qualifiait de loge ». Voir DE LA CROIX (Arnaud), Hitler et la franc-maçonnerie, Bruxelles, Éditions Racine, 2013, p. 64. On retrouve en effet chez Soral une mythologie assez semblable ainsi que le thème racialiste (ou ethniciste : helléno-chrétien) gouverné par l’ésotérique quenelle. On pourrait dire que le style Soral y ajoute toutefois, société de consommation oblige, une touche gangsta et une touche bling-bling.

[3] Les plus âgés complétant au fur et à mesure cette formation de base par de l’anti-impérialisme et de l’anti-sionisme aussi passionnels  que bon marchés. Notons aussi que, chez les fans d’Alain Soral, la frontière est floue entre l’antisionisme militant de certains (concernant avant tout la politique israélienne en Palestine) et un antisémitisme plus global chez d’autres.

[4]www.comprendre-soral.fr/index.php/19-articles-exemples/joomla/24-critique%20soral Bien que l’auteur de cet article soit anonyme, son analyse ne rate pas sa cible. Beaucoup d’éléments très judicieux selon nous, dans l’analyse du personnage Soral.

[5] LEBRUN (Jean-Pierre), Un monde sans limites, Paris, Érès, 2011, p. 174.

[7]https://resistanceauthentique.wordpress.com/tag/de-6-ans/ Ce site, anonyme, est probablement, au vu du contenu, une sorte de refuge pour les dissidents de la Dissidence…

[8] CORCUFF (Philippe) & SENIGUER (Haoues), Idem. Nous soulignons.

[9] BAHRI (Fouad), L’imposture Soral, voir : www.zamanfrance.fr/article/limposture-soral-9759.html Nous soulignons.

[10] LEBRUN (Jean-Pierre), Idem, p. 344.

[11] Dans le même sens, il n’est pas anodin que Soral aime à citer Robespierre en exemple. Jean-Pierre Lebrun écrit à ce propos : « […] son principe [de la Terreur] consiste d’abord à reprendre le pouvoir non plus contre les sujets [contrairement à la Tyrannie], mais en leur nom. Ainsi en est-il bien de Robespierre qui, comme le précise Claude Lefort, "s’impose comme le maître et efface la place du maître […] Le discours ne fait pas de la Terreur son objet, il l’exerce, il figure un grand moment de la Terreur en acte, il la parle" », in LEBRUN (Jean-Pierre), p. 195.

[12] COHN-BENDIT (Daniel), Pour supprimer les partis politiques !? Réflexions d’un apatride sans parti, Éditions Indigènes, 2013, p. 23.

[13] LEBRUN (Jean-Pierre), Idem, p. 155.

[15] ANSART-DOURLEN (Michèle), CASTORIADIS. Autonomie et hétéronomie individuelles et collectives. Les fonctions de la vie imaginaire, voir : http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1111

[16] LEBRUN (Jean-Pierre), Idem, pp. 94 e 114. Nous soulignons.

[17] ETCHEGOIN (Marie-France), Antisémite, "national-socialiste" : comment devient-on Alain Soral ?, voir : http://tempsreel.nouvelobs.com/l-enquete-de-l-obs/20140124.OBS3766/antisemite-national-socialiste-comment-devient-on-alain-soral.html

[19] ROY Olivier), Le djihadisme (est une révolte générationnelle et nihiliste, voir : http://www.tamoudre.org/le-djihadisme-est-une-revolte-generationnelle-et-nihiliste/touaregs/societe/ On pourrait, dans le titre, remplacer djihadisme par soralisme.

[20] ANSART-DOURLEN (Michèle), CASTORIADIS. Autonomie et hétéronomie individuelles et collectives. Les fonctions de la vie imaginaire, voir : http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1111

[21] Sur les notions d’imaginaire institué et imagination instituante, lire Les figures du pensable de Cornélius Castoriadis.

[22] ARNSPERGER (Christian), L’homme économique et le sens de la vie. Petit traité d’alter-économie, Paris, Éditions Textuel, 2011.

[23] LEFORT (Claude), Relecture in Mai 68. La Brèche, Paris, Fayard, 2008, pp. 282. Nous soulignons.

[24] HIRTT (Nico), KERCKHOFS (Jean-Pierre), SCHMETZ (Philippe), Qu’as-tu appris à l’école? Essai sur les conditions éducatives d’une citoyenneté critique, Bruxelles, Editions Aden, 2015, pp. 85-86.

[25] « […] d’une part, elle est à l’origine des rêves et des fantasmes parfois les plus fous, de désirs mégalomaniaques, d’un narcissisme pouvant générer la haine de l’autre, et d’une asocialité destructrice ; -d’autre part, lorsqu’il y a levée du refoulement, elle peut être à l’origine d’une auto-transformation du moi (ainsi, dans la cure analytique). Et d’autre part, au niveau social, c’est l’imagination radicale qui peut aussi briser la clôture instituée par une société de nature hétéronomique. La rupture introduite par la levée du refoulement d’affects et de désirs inconscients sollicite des passions de ressentiment, de révolte, des désirs d’affirmation narcissique. Ils peuvent dégénérer en mouvements destructeurs, de haine incontrôlée, -ce qui fut révélé lors de la montée du nazisme- mais ils sont aussi le pôle d’utopies libératrices dans des mouvements révolutionnaires, -ainsi pendant la Révolution française, ou dans diverses formes de résistance à l’oppression, par exemple pendant la Résistance, lors de la guerre de 1940. L’imagination radicale est donc aussi ouverture vers l’avenir, et rupture des rigidités institutionnelles », in ANSART-DOURLEN (Michèle), Idem.

[26] LEFORT (Claude), Idem, p. 276. 

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