Contrôles au faciès : Le racisme au sein des pratiques policières

Rédigé le 16 décembre 2019 par : Sylvain Pugeat

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Le 24 octobre 2019 s’est tenue une troisième interpellation devant le Conseil communal saint-gillois visant à questionner les activités de la brigade de police UNEUS. Celle-ci fait l’objet de plaintes liées à des contrôles d’identité abusifs durant lesquels s’exercent notamment des violences policières à caractère raciste. Malgré la formulation de nombreuses recommandations à destination des politiques et des corps de police, des actions concrètes peinent encore à voir le jour. Afin de mettre en lumière le racisme émanant des - mauvaises - pratiques de la police, cette analyse ne peut se limiter à une approche interpersonnelle via l’expression de comportements singuliers, violents et illégitimes, mais doit nécessairement se doter d’une compréhension structurelle et dynamique.

Le profilage ethno-racial : De qui et de quoi parle-t-on ?

Dans le cadre des opérations menées par la police, l’exercice du profilage vise à améliorer l’efficacité des pratiques policières en élaborant une liste de comportements et de caractéristiques censée faciliter l’identification de personnes impliquées dans des activités délictueuses ou criminelles. Cette méthode peut-être légitimement questionnée lorsqu’elle implique “l’utilisation par la police, sans justification objective et raisonnable, de motifs tels que la race, la couleur de peau, la langue, la religion, la nationalité ou l’origine nationale dans des activités de contrôle, de surveillance ou d’investigation”[1]. Dans ce cas, nous parlerons de profilage ethno-racial[2].

Ce rapport de force s’illustre aussi à travers la surveillance soutenue de certains quartiers, qui tend inévitablement à augmenter les chances de contact entre la police et plusieurs communautés spécifiques. A titre d’exemples, citons les communes de Saint-Gilles et de Molenbeek où les jeunes, en majorité racisé.e.s, subissent régulièrement des contrôles qu’ils-elles finissent même par banaliser. La banalisation d’une discrimination s’explique souvent par son caractère répété et par la perception d’un manque de recours possibles ou de ressources disponibles. En l’occurrence, il peut aussi bien s’agir d’une méconnaissance de ses droits face à la police ou des obligations de celle-ci en cas d’interpellation, que d’un positionnement difficilement négociable lorsqu’on se retrouve face à un.e représentant.e de l’Etat.

Les recherches sur la question sont claires, les profils les plus touchés par les contrôles d’identité en région bruxelloise correspondent manifestement à l’image du jeune homme qu’on suppose issu de l’immigration maghrébine ou subsaharienne et de classe sociale défavorisée. Ceci nous renvoie directement à l’imaginaire du “jeune délinquant”[3] très largement véhiculé, voire instrumentalisé, par les médias et les politiques. Aussi, nous pensons que le profilage ethno-racial n’est visiblement d’aucune efficacité concrète puisqu’il ne permet pas d’identifier précisément les délinquant.e.s mais plutôt celles et ceux que l’imaginaire dominant considère comme tel.le.s.

En France, le Défenseur des droits a établi que 80 % des jeunes se disant noirs ou arabes ont été contrôlés lors des cinq dernières années et seraient 7 fois plus contrôlés que le reste de la population[4]. Manifestement cette tendance se retrouve en Belgique également. Ceci a pour effet de rendre significative la présence réelle et fantasmée des personnes jeunes et racisées dans le champ de la criminalité.

De ce fait, le profilage ethno-racial tend de manière générale à renforcer les inégalités sociales et à criminaliser des populations déjà marginalisées. Cela profite aux plus favorisé.e.s qui de leur côté, ne subissent pas la même surveillance et sont illégitimement affranchi.e.s de tout soupçon.

Entre illégalité et légitimité

En nous penchant sur le lien entre légalité et légitimité, il est possible de dégager plusieurs explications qui permettent, sans qu’elles l’autorisent, la pratique du profilage ethno-racial. Bien qu’elle demeure légalement interdite et répréhensible au regard de directives européennes et de plusieurs lois anti-discriminations à l’échelle nationale, aucune loi belge ne fait à ce jour clairement référence au profilage ethno-racial.

Une recherche menée[5] auprès des fonctionnaires de police montre qu’il leur semble difficile de définir ce que la loi qualifie réellement de motif objectif. De plus, ces dernier.e.s tendent à penser que l’utilisation de l’intuition dans l’exercice de leurs fonctions constitue une pratique fiable et efficace. En cela, nous comprenons que la police se considère responsable de qualifier ce que peut signifier un indice ou une raison objective et raisonnable. Par ailleurs, au regard du caractère interprétatif de la loi, il est laissé à la discrétion de ses garant.e.s la liberté non justifiée de décider du lieu, du moment et de la légitimité des contrôles.

La procédure de contrôle

Toute activité policière est censée répondre aux critères d’efficacité (identification des cibles légitimes réussie), de nécessité (envisager d’autres mesures moins envahissantes) et de nuisance (respect des droits de l’individu). Visiblement, la procédure couramment mise en place lors des contrôles d’identité à l’égard des jeunes belges issus de l’immigration semble n’en rencontrer aucun. Effectivement, il n’est pas rare que les contrôles se voient arbitrairement qualifiés de routinier, qu’ils soient également fréquents, relativement peu informatifs comme peu concluants, mais aussi le lieu et moment d’expression de multiples abus (fouilles non justifiées, insultes racistes, violences physiques et psychologiques…). Comme pour d’autres manifestations du racisme, les conséquences psycho-sociales du profilage ethno-racial sont importantes : colère, indignation, isolation sociale, décrochage scolaire, baisse de l’estime personnelle, dégradation de la santé physique, stress…

Le manque de preuves

Devant l’absence de statistiques ethniques officielles, la société civile belge se confronte ici à un manque de données significatif qui pénalise fortement le recueil de preuves concernant le recours au profilage ethnique par les corps de police, et infirme à son tour la plupart des accusations pénales. De nature évidemment discriminante, le critère ethnique et/ou racial ne peut être invoqué comme motif aux contrôles. De fait, seules les cibles de cette pratique sont susceptibles de la mettre en lumière. Pour l’heure, seules les plaintes et les signalements effectués auprès des rares organisations telles qu’UNIA, la Ligue des droits humains, le Mrax et la police elle-même sont en mesure de fournir de manière indirecte un recensement des cas présentés comme relevant du profilage ethno-racial.

Finalement il devient difficile de faire reconnaitre un phénomène qui tend à ne laisser aucune trace explicite de son passage. Par exemple, dans la manière dont sont rapportés les cas de violences policières à caractère raciste, la violence de l’interaction prend souvent la priorité sur le motif racial du contrôle, et participe de nouveau à son invisibilisation.

Conclusion

La plainte ou le signalement du caractère raciste des contrôles n'apparaît que comme un premier pas dans ce processus de visibilisation car d’autres obstacles semblent se poursuivre les uns après les autres, révélant toujours plus de l’ancrage institutionnel et a fortiori de la dimension structurelle du racisme. Ainsi, bien que le cadre légal relatif aux luttes anti-discrimination s’étoffe à mesure que la société civile dans toute sa pluralité pointe du doigt les inégalités raciales, les rapports entre les forces de police et les personnes racisées ne connaissent eux, que peu de changement. Par ailleurs, même si certains commissariats ont recours à des formations sur les questions de diversité, les demandes pour ces formations restent encore très faibles et leurs contenus ne parlent que rarement du profilage ethno-racial de manière explicite.

Nul doute, le profilage ethno-racial est une pratique raciste qui s’inscrit dans un système visant à reléguer à l’altérité certains groupes racisés, à les exclure de certaines sphères de la société tout en les confinant dans d’autres prévues à cet effet (délinquance, précarité…). C’est en partie ce que nous dit le caractère interprétatif de la lois perçu et vécu par la police, qui relève clairement d’un privilège avoisinant dangereusement l’omnipotence, et porte directement atteinte aux droits et principes universels de liberté et d’égalité.

 


[1] Définition par la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance.

[2] Souvent appelé contrôle au faciès, le profilage ethno-racial ne se limite pas seulement aux contrôles d’identité mais peut être utilisé dans l’ensemble des pratiques policières.

[3] Aux Etats-Unis les recherches en sciences sociales montrent très clairement que les populations noires sont quotidiennement assimilées à des criminel.le.s potentiel.le.s. En Belgique l’actualité prouve également qu’une association similaire est faite à l’encontre de la population maghrébine. Le 12 janvier 2006, Joe Van Holsbeeck, a été assassiné par deux individus. Les caméras montraient deux jeunes aux cheveux sombres, en survêtement. Sur la base de cette observation, la description introduite dans le communiqué officiel de la Police faisait référence à deux jeunes maghrébins. L’Union des Musulmans de Belgique a même demandé aux agresseurs de se rendre. Il s’est avéré que ceux-ci étaient en réalité deux jeunes Polonais. 

[4]http://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rapport-enquete_relations_police_population-20170111_1.pdf.

 
 
 

 

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