Double fidélité

Rédigé le 21 septembre 2015 par : Jean Debelle

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A partir du cas particulier de la députée belgo-turque, Mme Mahinur Ozdemir, qui a refusé de reconnaître publiquement le génocide arménien, je me propose d'analyser ici l'enjeu caché dans cet événement, à savoir celui de la double appartenance – et double fidélité - de celles et ceux qui ont une double nationalité : celle de leur pays d'origine et celle de leur pays d'accueil belge. Je ne compte donc pas aborder ici la question de savoir si son exclusion du CDH fut justifiée. Cela relève davantage de la stratégie du parti à court et moyen termes.

Une situation récente en pleine évolution

Le vingtième siècle a vu s'accroître de façon importante  les flux migratoires dans le monde, et notamment en Belgique. En Belgique, il y a 400.000 belgo-marocains aujourd'hui. Une des conséquences en est la multiplication des cas de double nationalité. Celle-ci entraîne pour ses détenteurs une situation personnelle de double appartenance et de double fidélité avec toutes les tensions intérieures imaginables entre des identités difficilement conciliables, apparemment. D'une part, subsistent inévitablement  des attaches affectives au pays d'origine, à ses traditions et ses valeurs ; ces attaches ne revêtent pas toujours une expression formelle ; mais elles sont ancrées au plus profond du mental et du psychisme des personnes en cause.

D'autre part, ces étrangers qui ont acquis la nationalité belge se sont intégrés à des degrés divers, de façon pragmatique dans leur communauté d'accueil et tiennent à cette intégration pour plusieurs motifs ; en particulier quand ils exercent des fonctions officielles dans les différents niveaux de pouvoir belge (communal, régional, communautaire, fédéral). Cette double appartenance les traverse, qu'ils le veuillent ou non.

L'impératif d'un vivre ensemble harmonieux exige de réfléchir à la bonne gestion de ces situations complexes.

Au-delà des réactions simplistes

Du côté « belgo-belge », une réaction non réfléchie risque souvent de condamner et rejeter les comportements qui semblent éloignés  des « us et coutumes » belges. De l’autre, ces condamnations provoquent souvent un réflexe de repli identitaire qui rend difficile le dialogue ; on retrouve ici ces « identités meurtrières » dont a parlé Amin Maalouf en 1998 ; ses réflexions visionnaires sont plus que jamais d'actualité.

J'ai vécu un an aux USA quand j'avais 40 ans ; j'ai été moi-même surpris de me sentir agressé et menacé quand on critiquait mon pays ; même pour des choses mineures qui ne m'auraient pas touché si j'avais été en Belgique.

Pistes de solution

Ici comme toujours quand il s'agit d'œuvrer à un vivre ensemble pacifique, c'est au prix d'un long travail d'éducation qu'on peut favoriser compréhension et entente mutuelles.

Simone Susskind écrit très justement que « le non dialogue engendre seulement la peur, la haine et le rejet mutuel » (Le Vif du 12.06. 2015) Il s'agit pour les uns et les autres, de faire prendre conscience de  ce qui nous unit et nous est commun, au-delà de nos différences.

A vrai dire, la nécessité de cette prise de conscience vaut  d'ailleurs pour l'existence en général. Nous sommes tous confrontés régulièrement à des choix difficiles en raison de nos appartenances multiples ; cela a d'ailleurs donné lieu à des expressions  telles que « choix cornéliens ou «  entre le marteau et l'enclume ». Je me bornerai à citer le cas fréquent des familles « recomposées » où ce problème de double appartenance se pose sans doute souvent. C'est dès le plus jeune âge, dans les établissements scolaires, que cet apprentissage doit se faire ; encore faudrait-il éviter les écoles ghetto par des mesures appropriées.

Nous sommes multiples et différents, mais appelés à cohabiter pacifiquement sur cette terre commune, passagers sur le même bateau de l'existence.

Du bon usage de la religion...

L'impact des religions dans cette problématique est tel que je me dois de m'y attarder un peu. En principe, les religions devraient favoriser l'entente universelle (re-ligare = relier). En fait, elles ont quasi toutes été hélas, chacune à leur tour, facteurs de discorde, voire de conflit violent.

En ce qui concerne la religion catholique, qu'il me suffise de rappeler les Croisades et l'Inquisition. On peut penser que cette époque est révolue, pour ce qui est de la religion chrétienne en tout cas. Pas certain que des traces ont complètement été désactivées dans la mémoire collective !

Peut-on espérer que les humains auront un jour ce que j'appellerais un « référent universel », au-delà des croyances et des pratiques cultuelles différentes.

Quels critères pour s'aligner sur une des appartenances plutôt que sur une autre ?

La question est difficile et demande en fait plutôt une réponse au cas par cas. Il faut tout d'abord distinguer les immigrés de première génération et ceux de deuxième ou de troisième génération. Il y a notamment lieu de voir s'il y a une convention entre la Belgique et le pays étranger en cause.

Pour celles et ceux qui ont obtenu la nationalité belge outre leur nationalité étrangère, il faut évidemment mentionner qu'ils sont soumis – cela va de soi -  à la loi belge en tout cas pour les actes posés en Belgique (code de la route, loi fiscale, loi pénale, etc...) Pour celles et ceux qui exercent en outre un mandat public, ils ont certes à respecter les règles déontologiques propres à leur statut de mandataire public. En principe, comme parlementaires, ils sont censés exprimer la voix de la population de leur pays d'adoption ; la plupart du temps d'ailleurs à travers les choix du parti politique auquel ils ont librement adhéré ; c'est le système de l'organisation du politique ici. Il faut aussi tenir compte des engagements qu'ils ont pris en adhérant en toute liberté au parti politique qui leur a permis d'être élus dans une assemblée belge.

Reste le vaste champ de la vie privée : usage des langues en privé, tenue vestimentaire, etc... Ici, ne peut-on suggérer le principe de liberté. Chacun est libre de ses attitudes et de ses comportements quitte à entrer en conflit avec l'entourage, à ses risques et périls ; ce qui vaut d'ailleurs pour tous les belges. Intervient de toute façon ici la personnalité de chacun.

Conclusion

Ces commentaires ont simplement voulu montrer la complexité de cette problématique et inciter à tout le moins à la prudence. Quelles que soient les situations en cause, tolérance et dialogue sont plus que jamais les maîtres mots pour garantir paix et cohésion sociales en vue d'un vivre ensemble harmonieux. Le temps des collectivités mono-culturelles et homogènes est sans doute fini définitivement. L'horizon très limité et fermé de nos grands' parents et arrière -grands' parents est passé.

Ne peut-on se réjouir de ce lent cheminement de l'humanité vers son unité, vers cette « noosphère » dont parlait Pierre Teilhard de Chardin ?

 

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