Du syndrome du sauveur blanc à la solidarité

Rédigé le 5 mai 2021 par : Anonyme

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Sur base de cinquante témoignages d’employé·e·s et de volontaires dans des ONG belges, cet article a pour but d’arpenter le syndrome du ou de la sauveur·se blanc·he et d’explorer les émotions qui peuvent être liées au fait d’avoir mené des actions qui rentrent dans cette logique. Finalement, quelles sont les pistes à garder en tête pour tendre vers une réelle solidarité ?

 « Quand j'étais enfant, avec l'école, j'ai vendu des bics pour l'action "Père Damien". Il y avait toute une narration autour de cette action par rapport aux pauvres petits africains à sauver de la lèpre et de la tuberculose.  Je suis vraiment rentrée dans cette narration et j'y ai beaucoup cru. Je pensais réellement que ce que je faisais, c'était "le bien" et que les personnes qui ne se souciaient pas de cette action étaient des égoïstes»

« L’école m’avait parlé de la faim au Soudan. Pour manifester notre solidarité, nous avons dû manger deux sortes de biscuits fourrés à midi. On nous disait que les enfants soudanais devaient tenir une journée avec cela. J’ai longtemps pensé que tous les enfants soudanais mangeaient ces biscuits. »

Voici deux des cinquante témoignages anonymes que nous avons récoltés dans le cadre de la rédaction de cet article. Son objectif est d’arpenter le syndrome du ou de la sauveur·se blanc·he et le ressenti des personnes qui ont mené des actions rentrant dans cette logique.

Le syndrome du ou de la sauveur·se blanc·he  fait référence à une personne généralement blanche qui aide des personnes racisées de façon intéressée : cette aide participe davantage à rassurer les consciences, se donner une bonne image de soi-même et une autosatisfaction en tant qu’héros ou héroine, plutôt qu’à soutenir une réelle volonté de transformation en restant conscient·e de sa juste place et des rapports raciaux en jeu[1]. Ce syndrome place la personne bénéficiant d’un privilège racial dans le rôle du ou de la sauveur·se des personnes historiquement opprimées et est omniprésent  dans l’imaginaire collectif occidental, notamment dans le cinéma, dans des films comme the Help, Green Book ou Dance with the wolves[2]. Le principal problème de ce syndrome est sa vision soi-disant civilisatrice et salvatrice, ainsi que condescendante et néocolonialiste envers les personnes aidées.

Cette recherche d’obtention d’une conscience tranquille reflète une certaine malhonnêteté intellectuelle surtout quand les actions du ou de la sauveur·se blanc·he permettent à leur auteur·e d’éviter de remettre en question leur part de responsabilité au niveau des injustices raciales, sociales et environnementales. Malgré les avancées en matière de remise en question, les actions liées au syndrome sont encore trop valorisées, et ce, d’autant plus visiblement suite au développement des réseaux sociaux. Il suffit de faire un tour sur Tinder pour constater que l’application regorge de photos de personnes blanches entourées de personnes non-blanches dans une volonté de se montrer aventurier·e et altruiste.

Il va sans dire que le syndrome du ou de la sauveur·se blanc·he touche tout le monde : politicien·ne, travailleur·euse humanitaire, Monsieur, Madame et Mixe tout le monde, etc. La suite de l’article se concentrera sur ces dernier·e·s en abordant le thème qui reflète la majorité des réponses données par les répondant·e·s à savoir les voyages dits humanitaires.

Les voyages dits humanitaires

« Je me souviens que je disais à mes amis en rigolant que j’allais sauver l’Afrique. Comme très souvent dans le racisme, l’humour est utilisé pour dire qu’on ne le pense pas. À force, on se pose la question de pourquoi le dit-on ? Bien sûr que je ne croyais pas que j’allais sauver l’Afrique, mais je croyais quand même que j’allais être l’héroïne de ma propre histoire. »

Les voyages dits humanitaires de personnes qui ignorent la quasi-totalité de la réalité du lieu où ils se rendent est l’exemple le plus commun donné par les répondant·e·s. Certain·e·s ont construit une école, d’autres creusé un puits ou animé des enfants: « Nous sommes partis au Mali pour y apporter des fournitures scolaires ». Il est important de rappeler qu’autant le fait de participer que le fait d’organiser des “voyages humanitaires” avec des personnes nullement qualifiées pour porter les missions peut être en lien avec le syndrome.

Beaucoup parlent d’une gêne au moment du voyage : « je sentais que quelque chose me perturbait sans vraiment arriver à le verbaliser »,  « J'ai réalisé que cette action humanitaire reproduisait des dynamiques coloniales. J'ai honte quand j'y repense ». D’autres témoignent d’un reniement de leur communauté : « Cela faisait plusieurs mois que j’étais là-bas, je ne me considérais plus comme les autres volontaires en visite. Moi, je faisais partie de la communauté. ». Ce qui nous semble intéressant est que pour certain·e·s ce reniement passe souvent par une logique de critique de l’autre, sans remise en question de soi. « Je voyais passer tous ces blancs qui s’arrêtaient à l’orphelinat entre deux safaris. J’ai développé un réel mépris à leur égard. Aujourd’hui, je réalise que je n’avais que peu remis en question  ma propre présence et que je n’avais jamais considéré le potentiel impact émotionnel de mon départ sur les enfants ».

La honte et la culpabilité sont présentes chez beaucoup des répondant·e·s lorsqu’ils ou elles analysent leur ressenti face à ces voyages. Un autre témoigne « À l'époque, [j’avais le] sentiment d'intervenir pour le bien. Aujourd’hui, j’ai accepté ce comportement comme une étape d'apprentissage. »

Le but de ces voyages est généralement de vivre une expérience forte, gonfler le CV et souvent de renforcer l’égo. Ils sont davantage tournés vers les accomplissements personnels du ou de la volontaire que vers ceux ou celles qu’il ou elle est censé·e aider. On observe ces dernières années une amélioration dans la communication utilisée par les ONG belges qui accompagnent ou envoient les jeunes. Les mots “humanitaires” sont de plus en plus remplacés par les termes de “volontariat” ou mieux encore d’“échange culturel”. Mais comment s’assurer d’un échange équitable pour tou·te·s dans une société si peu éveillée et consciente de son propre racisme ?

Le côté positif est que beaucoup de personnes répondant au questionnaire indiquent que ces expériences leur ont permis de se conscientiser malgré les problèmes inhérents au voyage : « Mes parents m’ont fortement soutenu dans mon désir de faire du volontariat en Tanzanie.  Mais là-bas, j’ai rencontré quelqu’un. Leur discours a alors complètement changé. Suite à la découverte du racisme de mes parents, j’ai découvert le mien. Et, aujourd’hui j’essaye de contribuer à la lutte anti-raciste ». Bien que ces développements puissent s’avérer positifs au niveau individuel, il s’agit de toujours remettre le tout dans la balance en fonction du contexte, des projets et de leur impact plus large, notamment par rapport au regard porté sur les personnes aidé·e·s. Les principes comme l’intérêt supérieur de l’enfant ou le fait d’agir sans nuire (do not harm) ne priment-ils pas sur le développement personnel ou même l’éveil politique ?

Une présence y compris dans la coopération ?

« Je me rends compte que le fait même d'avoir choisi cette carrière [dans le domaine du développement et de l’humanitaire] est profondément ancré dans mon désir d'aller sauver la veuve et l'orphelin dans les pays pauvres. J'ai été sensibilisée au concept de white saviorism assez tôt et j'ai pensé un moment qu'en étant qualifiée pour ce genre de métier je ne rentrais pas dans cette catégorie. Aujourd'hui je réalise que (…) [je pourrais] laisser la place aux locaux, bien plus qualifiés pour répondre aux besoins de LEUR communauté. Je ne me sens plus du tout alignée avec mes principes, au contraire j'ai l'impression de perpétuer les pratiques néocolonialistes (…). »

Le secteur de la coopération est de plus en plus dans une remise en question des pratiques traditionnelles - avec une envie de plus en plus répandue de se décoloniser.[3] La décolonisation s’entend comme un « effort pour interroger et transformer les héritages institutionnels, structurels et épistémologiques du colonialisme (...) ».[4]  Cela prend forme notamment via le soutien de partenaires sur place (plutôt que l’envoi d’expatrié·e·s). Mais beaucoup d’efforts restent à faire, notamment au niveau des pratiques de communication, surtout au niveau de la récolte de fonds. Certaines sont encore empreintes d’un néo-colonialisme et d’un syndrome du sauveur blanc effarant du type « vous avez redonné le sourire à un enfant ».

Le syndrome du ou de la sauveur·se blanc·he ne se limite pas à l’action internationale ; il est particulièrement présent dans la communication autour de l’accueil des personnes réfugiées. L’un·e des répondant·e·s témoigne autour du volontariat de ses parents : « Mes parents ont aidé un syrien arrivé récemment en Belgique. Ils l’appelaient « notre » syrien. ».

Mais où commence la solidarité ?

La plupart des répondant·e·s expliquent que les réseaux sociaux[5] et les podcasts[6] les aident particulièrement à prendre conscience de leur place dans les rapports raciaux. La déconstruction nous semble en effet être essentielle pour une contribution individuelle à la lutte anti-raciste et aux injustices mondiales.

Dans le cadre précis du syndrome du ou de la sauveur·se blanc·he, le compte Instagram Nowhitesavior apporte quelques éléments de réponse pour baliser et guider les pratiques qui se veulent solidaires : 1) La recherche de la justice plutôt que de l’émotion ; 2) l’importance donnée à l’impact plutôt qu’à l’intention ; 3) l’importance donnée aux causes d’injustices plutôt qu’aux symptômes.


[1] La rédaction. (2019). Quelques mots sur le complexe du sauveur blanc ou le « white saviorism ». 

[2] de Stexhe, Yannicke. (2019). Du whitewashing au white savior : Au-delà de la présence, l’importance des rôles

[3] Voir par exemple le débat de l’ULB le 18 mars 2021 : Décolonisons la Coopération Universitaire au Développement

[4] SOAS- School of Oriental and African Studies. (2018). 

[5] Sont notamment cités: le compte Facebook: Sans Blanc de Rien, les comptes instagram puissancenoir, nowhitesaviors et soyouwanttotalkabout.

[6] Sont notamment cités : Sans Blanc de Rien, Kiffe Ta Race et Rethinking Development.

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