Hawa Djabali

Rédigé le 1 février 2016

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Co-directrice du Centre Culturel Arabe, Hawa Djabali nous raconte son parcours. Journaliste et écrivaine d'origine algérienne, elle a fui son pays en 1989. Cette femme engagée lutte aujourd'hui pour favoriser l'intégration des arabophones en Belgique. Elle met tout en œuvre pour activer le dialogue entre diverses cultures arabes et européennes.

La soixantaine, de longs cheveux acajou attachés en chignon, Hawa Djabali nous donne rendez-vous au Centre Culturel Arabe à Saint-Josse, qu’elle a fondé avec son ami Ali Khedher il y a plus de 25 ans.« En Algérie, j’ai reçu des menaces de mort. On voulait m’égorger sur la place publique. » C’est dans ce contexte que Hawa a décidé de se sauver avec ses enfants. Journaliste, animatrice radio, écrivaine, conférencière, les positions progressistes qu’elle défendait à l’époque n’étaient pas du goût des intégristes .

« En Belgique, une fois mon visa de trois mois écoulé, je me suis retrouvée sans papiers. J’ai travaillé au noir pour nourrir mes enfants : j’ai fait des ménages. ». Elle fait, en parallèle, une licence européenne à l’ULB et assiste à un module d’Histoire de la Belgique. Ses 20 années d’expérience en tant que journaliste et son niveau d’études ne jouent pas en sa faveur. « J’étais « surqualifiée ». Déjà je ne leur inspirais pas confiance, rien qu’à m’entendre parler sans accent : ce n’est pas normal ça, une Maghrébine qui n’a pas d’accent ! »
 

L’initiative de créer un lieu de culture et d’expression

C’est à cette époque qu’elle rencontre Ali Khedher, qui tenait une librairie arabe à Bruxelles. « Il avait l’idée folle de mettre sur pied un centre culturel, ça m’a passionnée ! »

Grâce à leurs efforts, le Centre Culturel Arabe voit le jour. Point d'ancrage culturel, le Centre Culturel Arabe offre la vue la plus large possible sur le paysage de la culture arabe à tous ceux qui désirent la découvrir. Il privilégie, par décision fondatrice, les expressions et œuvres de la sphère culturelle arabe, tout en favorisant la reconnaissance mutuelle des talents des personnes et des groupes sensibles à des valeurs culturelles communes à cette culture, ou voisines, sans aucune ambition de représentativité de quelque ethnie particulière, groupe linguistique ou confessionnel que ce soit, dans le but avoué de participer humblement à l'élaboration d'une société plus consciente et plus humaine.

Diverses activités sont proposées : des cours d’arabe, de français, de calligraphie, de musique, des concerts, des conférences, le tout sur fonds propres. En effet, malheureusement, ce lieu culturel arabe, laïque et indépendant, unique à Bruxelles, est privé de subsides depuis 5 ans, rendant son avenir incertain.

Hawa ressent beaucoup de colère :

« Le problème, c’est qu’on ne dépend d’aucun pilier, parti politique ou ambassade. Pour faire de la culture, il faut être à la botte d’un parti politique. Ils nous ont gentiment proposé, sans aucune pudeur, d’enlever notre président, d’enlever les fondateurs, de dissoudre le Conseil d’Administration et d’adopter leur façon de voir la culture arabe. »

La question du financement des organisations issues de minorités ethnoculturelles reste en effet en Belgique francophone un tabou. Accusées de communautarisme par les autorités, ces associations n’obtiennent de financement qu’au compte-goutte. D’un côté, elles souhaitent obtenir ces financements, de l’autre, elles craignent que ceux-ci n’ouvrent la porte à une ingérence des pouvoirs publics dans leurs choix et limitent donc leur autonomie associative. Cette situation illustre à quel point les associations comme le Centre culturel arabe et les pouvoirs publics se méfient les uns des autres.

Hawa continue :

« Ça n’intéresse pas la culture arabe. Eux, ce qu’ils aiment bien, c’est quand des petits Maghrébins font badaboum en dansant, couscous merguez. On oublie que le Maroc avait des universités avant même que le nord de l’Espagne ou le Portugal n’aient des universités. Le Maroc a été un lieu éminemment cultivé. Mais ça personne ne veut le savoir. Avant les catastrophes, l’Irak était un pays qui était pour la laïcité, c’est un pays qui avait presque 98% de gens scolarisés. Mais tout a été détruit. »

La méconnaissance de la culture arabe reste un sujet de rancœur récurrent pour tous ceux qui se battent pour sa reconnaissance.

Pour déconstruire les clichés concernant les Arabes et les réfugiés

Elle regrette que trop souvent les Arabes soient d’emblée considérés comme des personnes peu ou pas scolarisées.

« Les jeunes Irakiens et Syriens qui viennent actuellement ici, arrivent avec leurs diplômes, avec quelques années de travail pour certains. Quand ils sortent des centres ou du Petit-Château, ils vont dans les CPAS. Et quel genre de travail leur propose-t-on ? Du nettoyage ! C’est la démolition complète de gens qui pourraient être des piliers pour cette société qui s’organise. »
 

Et d’ajouter :

« Nous sommes là parce que c’était une question de vie ou de mort. Ou pour certains c’était une question d’impasse totale au niveau des études ou dans la vie professionnelle… Tous les immigrés que j’ai rencontrés sont venus pour un certain temps, et puis leurs enfants sont allés à l’école et puis ils se sont mariés et puis on reste et puis voilà ils sont restés. Mais la plupart veulent retourner dans leur pays. Moi je n’aspirerais qu’à une chose, si ça devenait possible, c’est de retourner chez moi. »
 

Pour une société plus consciente de ses potentialités en matière culturelle et plus humaine

La directrice du Centre Culturel Arabe souligne l’importance de la culture dans la société: 

« Quelle que soit la situation des êtres humains, il leur faut un certain nombre de choses pour survivre : il faut qu’ils puissent se protéger du froid et du chaud, il faut qu’ils puissent manger, il faut qu’ils puissent penser. Peu importe qu’on soit réfugié, qu’on soit immigré, on a tous besoin d’expression culturelle. Ce n’est pas qu’un loisir. »

Et de regretter que la diversité culturelle soit un leurre :

« Pour qu’il y ait diversité culturelle, il faudrait qu’il y ait des cultures. Il n’y a pas de culture. Il y a des enfants de l’immigration qui aimeraient bien être en relation avec leurs racines, parce qu’à ce moment-là, forts d’une culture, même si elle est mythique, même si c’est une chimère, ils pourront ainsi s’approprier quelque chose, dans un pays où on leur dit qu’ils ne sont rien ! Quand vous avez une base culturelle quelque part, vous rencontrez la culture d’ailleurs, quand elle existe et quand on vous permet d’y accéder. Il faut que les gens sortent de leur ignorance. Il n’y a pas 36 chemins pour vivre ensemble, il faut s’instruire. »
 

En ces temps de haine et de radicalisations, cette rencontre enrichissante nous ouvre les yeux sur l’importance de la culture et de l’ouverture à l’autre. Comme l’a dit le poète Damien Berrard : « Une société qui ne considère plus la culture ou l'accès à la culture comme primordial est une société qui court à sa perte. »


Ce portrait a été réalisé par Jennifer Crombé et Amina Houha pour Magma.

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