L’approche « Forum ouvert » pour une gestion non violente des conflits dans les groupes ?

Rédigé le 30 avril 2010 par : Laure Malchair

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Qui n’a jamais assisté à des réunions importantes ou à des conférences devant aboutir à des conclusions précises et où, en fin de compte, les discussions les plus fructueuses avaient lieu au moment des pauses, entre un café et un biscuit ? Qui nierait aujourd’hui, dans bien des milieux professionnels, l’importance d’une simple conversation pour faire avancer le travail et éviter les conflits ?

C’est sur la base de ce constat que Harrison Owen, consultant indépendant américain, a élaboré l’approche du « Forum ouvert » dans les années 1980, tout en précisant : « En vérité, je la (la technologie du Forum Ouvert ) soupçonne d’exister depuis que les homo-sapiens ont commencé à se rassembler, pour une raison ou pour une autre, autour d’un feu. Seulement, notre sagesse moderne a occulté ce que nous savons déjà et que nous connaissons par expérience depuis les temps les plus lointains. »[1]  

Owen, redécouvrant donc cette méthode, l’a appliquée dans tous les continents, pour des grandes corporations comme des groupes communautaires, des groupes de 5 à 2000 personnes. Et aujourd’hui, nous pouvons nous appuyer sur l’expérience de ces centaines de groupes en tous genres pour conclure à la capacité de cette méthode de favoriser les solutions créatives, tant pour des programmations institutionnelles que dans les cas de résolution de conflits au sein d’une organisation.

A la même époque, Marshall Rosenberg théorise et formule les principes de la communication non violente. La CNV s’appuie sur des règles simples mais précises qui visent à prévenir ou briser la spirale de la violence, à amener l’homme à comprendre que sa façon de communiquer doit être respectueuse de l’autre et de ses besoins. Voyons de plus près en quoi l’approche « Forum ouvert » qui s’inspire  et rejoint des principes de la CNV, peut constituer une piste pour résoudre les conflits dans une entreprise ou une association.

L’approche « Forum ouvert » : de quoi s’agit-il ?

Il s’agit, avant tout, d’une méthode destinée à faciliter l’organisation de rencontres ou réunions stratégiques, en les rendant dynamiques et productives et ce, en limitant au maximum les règles et principes. Le but est de créer une atmosphère où la communication peut être franche, ouverte et respectueuse, et où tous sont mis sur un pied d’égalité en termes de prise de parole et de proposition.

Pendant un Forum Ouvert, les participants créent et gèrent eux-mêmes un ordre du jour sur la base d’un thème précisé au départ et d’importance stratégique, comme par exemple: «quel programme stratégique pour les 10 prochaines années ? Quelle place pour notre organisation dans le monde actuel ?». L’ordre du jour s’organise autour de divers groupes de travail qui ont lieu en séances simultanées ou successives.

L'approche Forum Ouvert parvient particulièrement à d'importants résultats quand le travail à réaliser est complexe, que le groupe de participants est varié, que leurs idées sont différentes, que la passion pour la résolution (et le potentiel de conflit) est élevée et que le temps pour obtenir des résultats est très restreint.

N’appliquez jamais l’approche « Forum ouvert » si vous pensez avoir déjà la solution à la question posée. Lorsqu’un tel espace est créé, il faut, en tant que leader, être prêt à voir émerger des idées nouvelles, et être ouvert au changement. Une bonne compréhension de la philosophie qui sous-tend le travail est essentielle pour que la préparation soit soignée et les résultats obtenus.

Remise en cause de nos habitudes

Contrairement à toute réunion « classique », les tables disparaissent de l’espace « forum ouvert » et les chaises sont disposées de façon à créer un cercle. Il s’agit d’un des premiers éléments dont les participants se rendent compte en entrant dans la salle et qui peut les interloquer. Cette disposition est essentielle pour permettre à chacun de voir les autres et de se sentir de façon égale partie du groupe. L’absence de table permet en outre une plus grande fluidité dans l’espace.

Ensuite, second sujet d’étonnement : aucun ordre de jour ou de programme n’est annoncé ni prévu. Les participants ne connaissent que le thème de la réflexion du jour et devront construire le reste. C’est d’ailleurs la première tâche à laquelle ils s’attèleront ensemble.

Troisième élément inhabituel : les participants sont autorisés à « butiner » ou à « papillonner ». Entendez : passer d’un groupe de travail à l’autre pour participer à différentes discussions (abeille) ou faire une pause, écouter son besoin de s’arrêter pour un café, une promenade, etc. (papillon). Ces éléments sont essentiels et ce, pour plusieurs raisons. Les abeilles d’abord créent des liens, des ponts entre les différents participants et groupes. Elles permettent donc à l’information de circuler librement d’un groupe à l’autre. La possibilité de papillonner offre ensuite aux participants la liberté de suivre leur rythme et d’être plus présents aux endroits où ils décident d’être. Des conversations importantes peuvent naître de la rencontre de plusieurs papillons et faire l’objet de rapports. 

La « Loi des deux pieds » renforce cet aspect en posant comme base de travail l’autorisation, voire la responsabilité, de se lever pour aller vers un autre endroit (autre groupe de travail par exemple) quand le participant sent qu’il n’apprend plus rien ou ne contribue d’aucune façon au processus en cours. La liberté de mouvement, comme la liberté de parole, est donc cruciale dans ce processus.

Chaos ?

Au premier abord, sans doute un peu. Pas d’ordre du jour, pas de « responsable », pas de table, pas d’obligation de rester à un même endroit, tout ceci est pour le moins inhabituel dans le mode de fonctionnement de nos sociétés.

Et pourtant, le secret de cette architecture délicate réside dans une préparation et un déroulé extrêmement rigoureux, qui fournissent le cadre à l’émergence des idées et pistes de solutions. Si la spontanéité et la fluidité peuvent régner au cours de la journée dans les ateliers et mises en commun, ce n’est qu’au prix de cette précision en arrière-plan.      

On ne peut pas exactement savoir ce qu’il va se passer lorsqu’on ouvre un espace où chacun doit prendre sa place, donner ses idées ou expliquer ses problèmes. Toutefois, quelques résultats sont garantis :

  1. Toutes les questions mises en avant par les participants seront explorées par les personnes les plus intéressées par le sujet. Ceci favorise l’émergence de solutions et permet à chacun de sentir qu’il a sa place dans le processus.

  2. Au terme de l’atelier, tous les participants reçoivent un rapport écrit du travail accompli, ainsi que la liste des personnes y ayant contribué. La diversité et la richesse d’expérience du groupe guident ce cheminement.

  3. A l’issue de l’atelier, des priorités sont fixées et des plans d’action sont élaborés.

Selon Diane Gibeault, consultante en facilitation et transformation organisationnelles, « le Forum ouvert favorise la transformation positive au sein des organismes, augmente la productivité, inspire des solutions innovatrices, améliore la communication et accroît la coopération. Cette méthode allie passion et responsabilité, créativité et réalisme »[2].

En effet, chaque personne doit s’être présentée spontanément, parce que le thème lui semble crucial et qu’elle veut sincèrement y apporter sa contribution. Partant de cet engagement positif, les chances de réussite s’accroissent considérablement.

Résolution de conflits

Comme dans le cas de la CNV où nous sommes invités à « dés-apprendre » ce que nous avons intégré depuis notre plus tendre enfance en termes de communication, ce sont ici différents aspects de gestion (de groupes, de réunions, de crise, etc.) qui sont abordés sous un jour nouveau. Il est en effet souhaitable d’oublier quelques-unes des règles dites « de politesse » des réunions classiques (où quitter une salle serait mal vu), de (ré-)apprendre à faire confiance au groupe - à commencer par soi - et, enfin, d’accepter de se laisser emporter dans le flux d’un apparent chaos, pourtant hautement orchestré.

Les raisons pour lesquelles l’approche du forum ouvert peut s’avérer tout à fait efficace dans le cadre de la résolution de conflits apparaît donc clairement à ce stade. Elle permet en effet de mettre en présence toutes les parties et de les inciter à communiquer dans un esprit constructif, sans que certains participants ne puissent se prévaloir d’une quelconque place dominante sur les autres. Toutes les personnes présentes sont, par définition, les bonnes personnes pour résoudre la question posée et toutes s’engagent à y travailler, dans le cadre proposé (puisqu’elles sont là). Le résultat atteint à la fin de la (ou des) journée(s) de travail sera le fruit de l’engagement de chacun et cet élément est essentiel pour éviter que certains participants ne s’en dissocient en estimant, comme cela arrive régulièrement, n’avoir pas eu voix au chapitre, ou n’avoir pas été entendu. Cette technique permet (et oblige) en fait chacun à prendre ses responsabilités.   



[1] Owen, H., Opening Space for Emerging Order, 1997.
[2] Gibeault, D., « Le Forum Ouvert… une technologie ? une démarche de groupe ou une nouvelle façon de penser ? » 
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