L’Église, entre misogynie et doctrine sociale

Rédigé le 16 décembre 2013 par : Françoise Mélard

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Dès que le monde fut créé par un dieu, au départ de la boue de la terre, dans les mythologies ou par Dieu, à partir d’un humain Adam dans la Bible (Gn 1.2), il fut question de l’homme et de la femme.

Dans les différents mythes, la femme ne tarde pas à être dépréciée. Hésiode pense qu’elles sont oisives et remplissent leur ventre des produits récoltés par les hommes. Pour les Grecs, le vote des femmes conduit à un état de sauvagerie.

Dans la Bible, dès la Genèse (Gn 1, 27), Dieu créa homme et femme égaux, faits «à son image et à sa ressemblance»; il n’en fait pas des dieux. Adam, l’Humain, a ses limites.

Dans l’Ancien Testament, la femme vit dans une société patriarcale. Cependant, il existe des femmes au caractère fort, elles sont prophétesses, interprètent des situations, disent une Parole de Dieu. A côté des patriarches, les matriarches jouent un rôle prépondérant dans l’enchaînement des événements qui marquent les étapes vers le Salut, l’arrivée de Jésus.

Dans le Nouveau Testament, Jésus s’adresse indistinctement à tous les enfants, à la Samaritaine, l’étrangère, à Marie-Madeleine, la pécheresse, au pharisien rempli d’orgueil. Dépassant les apparences, il n’exclut personne; il reconnaît l’égalité des êtres et des sexes.

Durant le premier millénaire, en liturgie, la  femme vierge, vouée à Dieu, joue un grand rôle de gardienne du temple, d’animatrice de la prière, d’enseignante. A ce titre, elle est docteur de l’Eglise (docere).

Par la suppression du diaconat féminin, la femme perd sa place dans le culte, à l’autel. Après ce fait, les abbesses, dans les monastères de vierges cloîtrées, en assurent la charge.

Au Moyen Age, la malencontreuse différenciation des sexes se marque. Malgré les oppositions, notamment des Bénédictins, non entendues par la hiérarchie ecclésiastique, la première femme, Eve, est trouvée responsable de la faute au jardin paradisiaque. A l’heure actuelle, demandons-nous si Adam n’a pas manqué à la «correction fraternelle». Marie, nouvelle Eve, sera la femme par excellence; le modèle à suivre et à imiter; par sa maternité, elle contribue à la mission salvifique de son Fils.

Pourtant, en littérature spirituelle, à travers les siècles, des femmes vont émerger. Citons, entre autres : Hildegarde von Bingen, médecine et botanique, 12e siècle; Catherine de Sienne, qui rappelle le pape d’Avignon à Rome, 14e siècle; Thérèse d’Avila, réformatrice du Carmel, 16e siècle; Thérèse de Lisieux, missionnaire en son carmel, 19e siècle. Aucune laïque, une distinction s’est installée à l’intérieur même du féminisme : les religieuses sont appelées à la sainteté au détriment du laïcat. Jusqu’à Vatican II et la Constitution Lumen gentium, où l’Eglise reconnaît l’égal appel à la sainteté.

Malgré les imperfections, de Rerum Novarum (1891, Léon XIII) à Quadragesimo Anno (1931, Pie XI), les papes ont mené des combats pour le respect du travailleur, du travail et du juste salaire. Par l’intermédiaire de prêtres, l’Eglise a également réclamé le respect de la femme au travail. Il faut aussi penser aux dentellières, dans les régions de Gand et Bruges, le clergé a engagé des procès contre un type de patronat exploiteur. L’Eglise a construit des maisons pour les travailleuses âgées, comme les godshuizen brugeoises.

N’oublions pas les initiatives de l’abbé Joseph Cardijn, futur cardinal, en faveur de la jeunesse au travail, celles de l’abbé Potier (à Liège) et, malgré les condamnations romaines, celles des prêtres ouvriers qui retroussent leurs manches pour agir en usine, etc.

Pendant la 2ème guerre mondiale de 1940-45, face à l’évidence (maris soldats ou déportés), la femme est obligée d’agir. Le 21 octobre 1945, Pie XII fait un discours réaliste, il est destiné directement aux femmes[i] : Votre entrée dans la vie sociale s’est produite soudainement par l’effet de bouleversements sociaux auxquels nous assistons. Peu importe !  Vous êtes appelées à y prendre part. Allez-vous donc laisser à ceux qui se font complices et promoteurs de la ruine du foyer domestique le monopole de l’organisation sociale dont l’élément principal, par son unité juridique, économique, spirituelle et morale est la famille ?  Le sort de la famille est entre vos mains. Le pape continue à demander aux femmes de s’investir dans l’action. Pour l’Eglise, la famille est le noyau central et moteur de toute la société civile.

Les histoires ne manquent pas pour dire que la femme est inférieure, en «incapacité juridique», considérée comme une mineure légale. A l’époque, la religieuse est juridiquement morte. Née au 19ème siècle, l’idée de la promotion de la femme fait son chemin. En France, la loi du 18 février 1938 pose le principe de la pleine capacité juridique de la femme mariée. La loi du 22 septembre 1942 met ce principe en œuvre[ii]. En Belgique, la femme a le droit de voter en 1947.

Dans l’Eglise, Jean XXIII marque un tournant par la promulgation de Mater et Magistra (1961). Ses différents discours annoncent l’encyclique Pacem in terris (1963)[iii]. Dans ce document[iv], le pape constate : […] l’entrée de la femme dans la vie publique, plus rapide peut-être dans les peuples de civilisation chrétienne; plus lente, mais de façon toujours ample, au sein des autres traditions ou cultures. De plus en plus consciente de sa dignité humaine, la femme n’admet plus d’être considérée comme un instrument; elle exige qu’on la traite comme une personne aussi bien au foyer que dans la vie publique (§ 41).

La Constitution conciliaire Gaudium et spes approfondit la réflexion sur la discrimination raciale ou fondée sur le sexe. Le début du paragraphe 29, intitulé Egalité essentielle de tous les hommes entre eux et justice sociale, se situe dans la continuité des prédécesseurs. Il y est dit : Tous les hommes doués d’une âme raisonnable et créés à l’image de Dieu, ont même nature et même origine; tous, rachetés par le Christ, jouissent d’une même vocation et d’une même destinée divine : on doit donc, et toujours davantage, reconnaître leur égalité fondamentale.

D’autre part, en 1964-65, les pères conciliaires demandent la présence accrue de religieuses et de femmes laïques, surtout comme intervenantes ou expertes.

Le 13 juillet 1994, Jean-Paul II rappelle le document Christifideles laici (§ 51)[v] : les femmes participent à la vie de l’Eglise sans aucune discrimination, même pour les consultations et l’élaboration des décisions. Il ajoute qu’elles doivent être associées à la préparation des documents pastoraux et des initiatives missionnaires, et elles doivent être reconnues comme coopératrices de la mission de l’Eglise dans la famille, la profession et la communauté civile. En reconnaissant les traditionnelles qualités de la femme (sagesse, douceur, ferveur, etc.), Jean-Paul II envisage le rôle de la femme pour le bien de l’Eglise. Sont-elles conscientes de ces possibilités offertes, à découvrir et à déployer ?

Le processus de la promotion du laïcat et de la femme est engagé. Paul VI et les papes successifs prolongeront la réflexion, comme le Pape François.

Dès la fin du concile, les femmes ont accès aux formations en théologie et en droit des religions (Judaïsme, Islam, etc.) dans les universités pontificales ou non. La théologie veut renouveler les manières pour que l’Eglise soit une institution où hommes et femmes puissent se réconcilier et s’enrichir de leurs différences[vi].

Au-delà des appartenances religieuses, les femmes entrent à l’université et dans les Grandes Ecoles, pour des professions jusqu’alors réservées aux hommes. Les carrières scientifiques ou politiques s’ouvrent à la féminisation, jusqu’au plus haut niveau de l’administration des affaires.

A l’heure actuelle, l’Eglise s’érige, avec véhémence, contre le trafic des êtres humains, le viol comme arme de guerre, la prostitution. Elle exige le respect de toutes les formes de la vie.

Certes, tout n’est pas dit, tout n’est pas fait. Un long chemin reste à parcourir, dans l’Eglise et dans la société civile. Une chose est toutefois positive : un retour en arrière semble impossible. Continuons la route.

 


[i] Porcile Santiso Maria Teresa, La Femme espace de Salut, Cerf, 1999, p. 42-43.

[ii] Jacquemet G., Catholicisme, Tome 4ème, Ed. Letouzey et Ané, 1956, col. 1165-1166.

[iii] Porcile Santiso Maria Teresa, La Femme espace de Salut, op. cité, p. 45-46.

[iv] Jean XXIII, Encyclique Pacem in Terris, Commentaire et index analytique par l’Action Populaire, Ed. Spes, 1963, p. 55.

[v] Jean-Paul II, Les nombreuses possibilités d’action de la femme dans l’Eglise, Audience générale du 13 juillet 1994, in La Documentation catholique, 2100(1994), p. 757.

[vi] Loades Ann, Femme, in Lacoste Jean-Yves, Dictionnaire critique de théologie,PUF (3e éd.), 2007,p. 559. 

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