L’immigration turque et marocaine en Belgique : 50 ans d’histoire et constats d’intégration

Rédigé le 4 novembre 2014 par : Laurie Degryse

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A l’occasion de la fête des 50 ans de l’immigration turque et marocaine en Belgique, nous allons brièvement revoir les raisons de l’arrivée des migrants sur ce territoire, ainsi que leurs actions et réactions aux politiques d’intégration. Passant par divers filtres de comparaison, tels que la langue, la religion ou la scolarisation, nous verrons les similitudes et dissemblances dans leur manière de s’adapter à ce pays d’accueil.

Immigration à objectifs variables

Beaucoup l’ignorent, mais les populations turques et marocaines sont présentes en Belgique depuis le début du XXème siècle. A cette époque, les Turcs sont des commerçants, diplomates, étudiants ou réfugiés. Les Marocains sont davantage des travailleurs ouvriers non qualifiés provenant des campagnes.

Ensuite, les années 50’ à 70’ voient la mobilité turque et marocaine dans le cadre d’une immigration de type économique: les hommes sont peu, voire pas lettrés, ruraux et n’ayant jamais eu de contact avec les européens. Les femmes sont scolarisées et viennent des villes. A partir de mai 1963, les Turcs et Marocaines sont recrutés massivement par le patronat de l’industrie minière. Ils travaillent également dans les secteurs du bâtiment, du textile et de la construction automobile. Le 17 février 1964, le Maroc et la Belgique signent une convention bilatérale afin de fournir des travailleurs à l’industrie lourde et aux charbonnages. Le 16 juillet de la même année, une convention similaire est signée avec la Turquie. Le regroupement familial ne se fait qu'à partir de 1975, dans un but politique d'augmentation de la natalité.

Mais suite à la crise économique de 1974, les frontières sont désormais bloquées. Dès lors, l'objectif des travailleurs marocains pensant n'être là que temporairement[1] change, et ils ont une vision d'intégration à long terme. Malheureusement, nous observons que deux générations plus tard, ils sont toujours en phase d'installation. N’oublions pas que le politique n’est pas cohérent et clair quant aux objectifs et attentes envers cette population immigrée: d’un côté l’immigration est temporaire et économique, et de l’autre c’est une immigration démographique, avec donc le souhait de les voir s’installer.

Dans les années 70, l’instabilité de la situation politique en Turquie entraîne une première vague de réfugiés politiques (notamment issus des mouvements d’extrême-gauche), ainsi que d’assyro-chaldéens qui, confrontés à une recrudescence des persécutions religieuses résultant des tensions socioéconomiques et politiques locales, aggravées par le retour de nombreux travailleurs migrants d’origine kurde, qui ont dû quitter le Liban en état de guerre civile, ont dû à leur tour s’exiler, notamment vers Bruxelles et Malines. Cette première vague de réfugiés politiques sera suivie par une seconde, liée au coup d’Etat militaire de 1980, composée de militants de l’extrême-gauche à l’extrême-droite nationaliste, ainsi que de kurdes.

Enfin, depuis les années 90 et jusqu’en 2011, l’immigration se fait dans un but de regroupement familial acté dans une convention internationale entre la Turquie et l’Union Européenne. Et ce, pour des raisons démographiques.

Caractéristiques

Les caractéristiques de ces communautés sont fort semblables :

 · Carte d’identité de ces deux communautés

Ces deux communautés ont une population très dynamique et jeune. En effet, les Turcs sont entre 27 et 38% dans la tranche d’âge 16-35 ans, dont 28% ont moins de 18 ans. Ils parlent beaucoup plus que les autres communautés la langue de leur pays natal. Ensuite, ils habitent pour moitié en Flandre du côté du Limbourg, de Gand et Anvers, 25% sont dans les quartiers défavorisés de Bruxelles-Nord et du Botanique, et le même nombre en Wallonie: Borinage, Charleroi et Liège. La plupart du temps ils vivent dans des quartiers isolés, ce qui renforce leur vie communautaire.

Les Marocains sont à 50% des jeunes de moins de 25 ans. Selon certaines sources, ces communautés ont une bonne parité de genre, et selon d’autres sources, les Marocains sont plus nombreux que leurs consœurs. Pour ce qui est des langues parlées, la première génération parle l’arabe ou le berbère, mais la deuxième génération parle principalement le français. Ils vivent majoritairement en Communauté française : dans l’ordre d’importance, pour plus de la moitié à Bruxelles, puis Liège, et enfin Charleroi.

· Naturalisation, investissement communautaire et désir d’intégration

Même s’ils sont très nombreux à s’être fait naturaliser (42%), et montrent par là une forte volonté d’intégration, les Turcs gardent un solide lien avec leur pays et leur communauté. C’est d’autant plus vrai depuis les nouvelles technologies et les avions low cost. De plus, dès les années ‘70, les médias turcs produisent une édition spéciale pour les ressortissants de leur pays à l’étranger. La continuité du lien est donc bien réelle. En outre, ils sont très actifs dans des activités associatives de leur communauté, principalement de nature culturelle ou religieuse. Malgré leurs efforts, 37% de la population turque active est au chômage[2].

En comparaison, les Marocains sont 25% à être naturalisés et 25% ont fait une demande de nationalité, dont la moitié sont nés en Belgique. Ils sont un tiers à se marier avec un(e) belge, ce qui démontre chez eux une réelle assimilation culturelle. Les jeunes se projettent dans un avenir ici, en Belgique. Dès lors presque la moitié des Marocains sont propriétaires d’un bien immobilier ainsi que 70% des turcs. Enfin, alors que pour 50% des Marocains de première génération le désir est de rentrer au pays, seuls 3% le font réellement.

· Scolarisation, champs investis et petite délinquance

Les Turcs se retrouvent souvent dans les métiers à basse qualification ou bien l’entreprenariat. Leur ascension sociale reste très limitée au niveau professionnel, et ils ne sont que 15% à avoir fait des études supérieures en Belgique[3]. Par ailleurs, ils s’investissent dans la politique de l’Union Européenne où on les retrouve élus à différents niveaux de pouvoir.

En effet, le champ scolaire est beaucoup plus investi dans les familles marocaines: ils sont plus nombreux à être scolarisés et ils sont meilleurs élèves que les Turcs. Les jeunes Marocains sont mieux éduqués que leurs parents non scolarisés. Ces jeunes ont un désir d’intégration et/ou de conformisation avec la culture d’accueil. Ce désir d’intégration harmonieuse n’empêche malheureusement pas une petite délinquance et un plus haut taux de criminalité. Cette dernière est liée à la toxicomanie, qui est une caractéristique de personnes déliées de leurs origines, et à la recherche d’une place dans le pays d’accueil. Ils sont en phase de « socialisation normalisatrice » selon Es Safi et Manço (1996). La contrepartie positive de cette revendication se voit dans une grande participation de leur part à la vie politique locale, principalement sur le territoire bruxellois.

· Religion, art et identité culturelle

Du côté turc, la très forte cohésion sociale est propice au contrôle féminin et aux mentalités conservatrices, et ce, via une appartenance religieuse plus forte que dans leur propre pays. Alors même que l’on y trouve de nombreux sous-groupes très hétérogènes (Turcs et Kurdes sunnites, chrétiens et alévis). Selon les indicateurs d’intégration (scolarisation, langue, mariages mixtes,...), cette communauté serait ‘en retard’ dans son intégration en Belgique, et en repli identitaire. Ils sont en phase de « différenciation-intégration » (Manço, 1999).

Au niveau de la religion, chez les Marocains, ils sont 90% à être croyants et 65% pratiquants. La reconnaissance de l’islam par la loi du 19 juillet 1974 a permis une reconnaissance de l’identité culturelle de ces immigrés. De plus, les artistes marocains ont une grande place dans l’agenda culturel belge.

Constats d’intégration

En conclusion, les personnes immigrées du Maroc et de Turquie n’ont pas eu les mêmes objectifs lors de leur venue en Belgique, et n’ont pas été accueillis pour les même raisons. Mais leur intégration reste difficile, puisque pour certains, ce voyage ne devait rester que temporaire. Leurs liens avec la culture d’origine restent forts, surtout pour les Turcs et ce, via les technologies de communication, la vie en communauté et la religion. Parallèlement, les jeunes marocains sont de plus en plus investis dans la vie politique belge, et savent que leur futur est à construire ici.

 


[1] Ils signaient un contrat de 5 ans.

[2] Et cela ne fait qu’augmenter.

[3] En comparaison, ils sont 25% en Turquie et 50% dans les pays d’Europe. 

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