L’Islam, la nouvelle cible des extrémismes

Rédigé le 31 mai 2013 par : Nicolas Bossut

Taille de police réduire police agrandir police

En quelques années, les extrémismes européens ont connu une vraie révolution copernicienne. Ils ont tourné le dos à leurs vieilles obsessions et sont devenus, en apparence du moins, les plus fidèles alliés des juifs, des féministes et même des homosexuels. Désormais, leur cible, c’est l’Islam, une religion qu’ils accusent de tous les maux. La rhétorique guerrière qu’ils portent connaît un succès grandissant, traversant les anciens clivages politiques, et percole dans toute la société.

« Comment l’Islam menace l’école » titrait en 2008 le Vif. Avec une diffusion de 80.000 exemplaires, c’est l’un des hebdomadaires les plus lus en Belgique francophone. Dès la couverture, la rédaction annonçait la couleur : plus de porc dans les cantines, absentéisme dans les cours de gym, contestation du darwinisme, … Le tableau que le Vif annonce à ses lecteurs semble apocalyptique et propre à instiller l’effroi chez ceux-ci.

Il démontre en tout cas particulièrement le succès avec lequel la lutte contre l’islamisation, nouvelle marotte des extrémismes européens, a pu devenir un thème banal du débat public. On ne compte plus les articles de journaux incriminant les musulmans, s’inquiétant de leur nombre, de leurs modes vestimentaires, de leurs habitudes alimentaires. On ne compte plus les déclarations incendiaires d’hommes politiques, de droite comme de gauche, se targuant de défendre la laïcité de nos États. On ne compte plus non plus les dîners de famille ou entre amis où, la conversation dérivant lentement sur le thème de l’Islam, un convive ne déclare abruptement : « De toute façon, on ne se sent plus chez nous ! ».

La peur de l’islamisation se base sur trois idées[1]. Le nombre de musulmans installés dans nos pays ne cesserait d’augmenter. Ces derniers feraient part d’une volonté concertée, probablement soutenue par des puissances étrangères hostiles, d’en découdre avec la civilisation européenne et finalement, ils seraient aidés dans leur projet par la complicité des élites bien-pensantes. Ces trois idées peuvent être portées indépendamment l’une de l’autre par un grand nombre de personnes. C’est leur conjonction qui peut amener à la radicalisation de groupes ou d’individus.

La peur du raz-de-marée musulman

Selon les chiffres établis par Jan Hertogen, la Belgique compterait 623.000 personnes d’origine musulmane, soit 5,8% de sa population[2]. C’est à Bruxelles que se concentre plus d’un tiers des musulmans de tout le pays. Leur nombre s’y élève à 235.000 personnes, soit 22% de la population. Ce sont des chiffres importants mais justifient-ils l’article publié dans le Soir du 13 novembre 2010 : « Bruxelles, ville musulmane en 2030 » ? En aucun cas, non.

Pour que Bruxelles devienne musulmane en 2030, c’est-à-dire en 20 ans, il faudrait que sa population musulmane double. Une telle augmentation ne pourrait se baser que sur une augmentation radicale de l’immigration, une fécondité exceptionnelle de la population musulmane européenne ou une vague de conversion sans précédent. Or, nous savons tous qu’aucune de ces trois occurrences n’arrivera.

Les pays du Maghreb et la Turquie dont sont originaires la plupart des musulmans établis en Europe ont connu en quelques années un ralentissement sans précédent de leur taux de fécondité. D’après les chiffres de la Banque mondiale, les taux de fécondité du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie et de la Turquie étaient respectivement de 2,24, de 2,22, de 2,06 et de 2,04 ; des taux qui leur permettent tout juste de maintenir le niveau de leur population. Aucun de ces pays, ni même aucun des pays arabo-musulmans qui ont eux aussi été touchés par cette baisse spectaculaire de la fécondité, ne disposera donc plus à l’avenir de réserve suffisante de main-d’œuvre pour se permettre de la laisser partir à l’étranger.

Sauf effondrement économique, social et politique de la région accompagné d’une révolution dans la politique d’immigration menée par les pays européens, nous pouvons dormir sur nos deux oreilles. Rien de neuf n’arrivera de ce côté-là.

Reste la fécondité des populations d’origine musulmane déjà établies chez nous. En octobre 2012, une polémique avait secoué la Belgique suite aux propos du Bourgmestre de Bruxelles, Freddy Thielemans : « Nous avons à Bruxelles beaucoup de familles nombreuses comptant 7 à 8 enfants ». Allez savoir pourquoi, tous les commentateurs ont compris que M. Thielemans visait ainsi les familles musulmanes. Pourtant, toutes les études indiquent que le taux de fécondité des musulmanes établies en Europe est proche de la moyenne du pays où elles sont installées. Pas de craintes à avoir de ce côté-là non plus donc.

Quant aux conversions, soyons honnêtes, leur nombre est trop anecdotique pour avoir une quelconque importance.

Bruxelles, la Belgique et l’Europe ne seront jamais à majorité musulmane.

La crainte du complot musulman

Au-delà de leur nombre, ce qui inquiète beaucoup de nos concitoyens aujourd’hui, ce sont les signes visibles de la présence des musulmans. On craint leur volonté de conquête. Dans ce jeu-là, la paranoïa nous amène bien souvent à voir le mal partout.

Ainsi, le voile n’est plus un simple morceau de tissu, c’est le fanion d’une armée en guerre et le symbole absolu de l’oppression de la femme. La présence de produits halal dans les rayons des supermarchés n’est plus une stratégie de marketing comme le sont les produits bio ou ceux qui affichent des couleurs vives pour attirer les enfants mais une manière de marquer la distance entre bons musulmans et mécréants. Le ramadan quant à lui devient la meilleure façon d’assurer une police du respect de l’Islam.

Mais le voile, le halal et le ramadan ne sont encore rien. Ils ne sont que les premières étapes avant l’imposition définitive de la Charia selon un plan pré-établi dans les déserts arabiques par des cheikhs assoiffés de vengeance et de pouvoir.

Face à cette vision du monde complètement déformée par la paranoïa, il est difficile d’argumenter. En effet, ceux qui la partagent ne cessent de chercher dans le réel la confirmation de leurs pires craintes. Ils n’hésiteront pas à susciter le fait pour confirmer leurs craintes. 

Pourtant, devant l’analyse rationnelle des faits, l’écheveau s’écroule. Tout comme à une autre époque le Protocole des sages de Sion[3] ne tenait pas une seconde l’examen de la critique, la thèse de complot musulman apparaît bel et bien comme une supercherie aux conséquences potentiellement dévastatrices.

La nécessaire trahison des élites bien-pensantes

Malheureusement pour eux, ceux qui luttent contre l’Islam se sentent bien seuls. Du moins, le pensent-ils car, selon un sondage Ifop réalisé en 2011, 76% des Français estiment que l’Islam progresse trop et 42% qu’il est une menace. Rien n’y fait, beaucoup se prennent pour des héros solitaires qui osent dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas, qui n’ont pas peur la langue de bois, etc.

Selon ces derniers, le politiquement correct fait des ravages. Face au danger de l’Islam, les élites ont renoncé à se battre. Elles sont soumises à la loi du silence de peur de représailles. Alain Destexhe, l’ineffable député MR, n’hésitait pas à déclarer récemment : « Je pense que beaucoup de journalistes s'autocensurent. Il ne fait vraiment pas bon aborder ces questions. Vous risquez d'être voué aux gémonies et d'être condamné socialement.[4] »

La banalisation de l’islamophobie

C’est sur Internet que les thèses islamophobes foisonnent le plus. En Belgique, Pierre Renversez anime le site nonali.be qui se présente comme un observatoire de l’islamisation. Il y déclare notamment : « Le racisme est la plus basse forme de stupidité humaine, l’islamophobie est le summum du bon sens[5]» Cette déclaration est caractéristique de l’évolution récente des extrémismes européens.

Selon lui, l’islamophobie, au contraire du racisme qui est déterministe, offre une possibilité de rédemption à celui qui en est victime. Il lui suffit en effet d’abandonner sa religion. C’est donc la religion et uniquement elle qui est en cause. L’amalgame entre Islam et musulman est pourtant proche. La peur ou la haine de l’un peut vite passer à l’autre.

En ce sens, la posture adoptée par Pierre Renversez se rapproche à certains égards du combat, tout à fait légitime, que mènent les tenants de la laïcité. Malheureusement, la défense de la liberté individuelle face à tout dogme peut vite dégénérer et s’apparenter à la discrimination et au rejet d’une population, qui plus est dans une situation de fragilité relative plus forte que la moyenne.

La conjonction des discours extrémistes et laïcs favorise la légitimation de l’islamophobie et sa diffusion dans les médias et les opinions publiques. Dans l’état actuel, cette alliance inattendue déstabilise les mouvements de lutte contre le racisme qui ne savent quelle position adopter. Doivent-ils ou non intégrer la lutte contre l’islamophobie dans le champ de leur travail de sensibilisation et d’interpellation ? Quelle place doit-on réserver au respect de la laïcité acquise de haute lutte tout au long des deux derniers siècles ? Comment valoriser les croyances des uns sans pour autant empiéter sur les libertés des autres ?

Ces questions sont loin d’être résolues et, tant que nous tergiverserons, des milliers de citoyens belges de confession musulmane seront entre le marteau et l’enclume. Rejetés par une société qui les craint, on peut s’inquiéter du renforcement de l’affirmation identitaire, seul refuge d’une fierté bafouée, nourrissant encore plus la paranoïa de ceux qui les rejettent.

 

 


[1] Liogier Raphaël, « Le Mythe de l’islamisation », essai sur une obsession collective, Paris, 2012

[2] Ce qui n’implique pas que toutes ces personnes soient croyantes ou pratiquantes …

[3] Le Protocole des sages de Sion est un document écrit en 1901 par des agents de la police politique tsariste. Il visait à faire croire qu’un conseil de sages juifs avait établi un plan en vue d’anéantir la chrétienté et de dominer le monde. Le Protocole des sages de Sion connut un grand succès, participa au renforcement spectaculaire de l’antisémitisme moderne et servit de pièce maîtresse dans la propagande du Troisième Reich.

[4] Legge J., Destexhe : « Bruxelles est devenue une bombe sociale », in www.lalibre.be, 19.04.2012

[5] http://www.nonali.com/islam-religion-barbare/divers/racisme-ou-islamophobie/

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés.
Accepter