La haine, ce virus

Rédigé le 25 août 2020 par : Julia Mozer

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Le discours de haine est un concept que nous connaissons tous, ou que nous pensons tous connaître, mais il est plus complexe qu'il n'y paraît à première vue. Les recherches sur le sujet se sont multipliées ces dernières années, la haine étant de plus en plus présente sur Internet.

La pandémie de coronavirus n'a pas été sans avoir un impact sur les minorités : de nouveaux types de discours haineux sont apparus et une quantité inimaginable de désinformation a inondé les médias sociaux - et malgré tous les efforts des décideurs politiques, des sociétés de médias sociaux, de la société civile et des militants, la question du discours haineux a persisté. Pourquoi en est-il ainsi et que pouvons-nous faire pour y remédier ? Nous en discuterons plus loin.

Qu'est-ce que le discours de haine ?

Même si le concept est de plus en plus utilisé, il manque encore une définition universelle de ce qu’est un discours de haine : il est défini différemment dans la législation internationale, la législation nationale, dans les conditions générales des entreprises de médias sociaux ou dans les cercles de la société civile et des militants. Comme il n'existe pas de définition unique, il est préférable de considérer la variété des définitions sur un spectre où les définitions juridiques plus strictes se trouvent d'un côté, tandis que les définitions plus larges, préférées par les ONG et les services d'aide aux victimes, se trouvent de l'autre côté du spectre.

Les définitions plus larges tendent à inclure une approche centrée sur la victime en lui permettant de décider si un contenu ou un certain discours est haineux ou non. C'est également la raison pour laquelle il est difficile de définir le discours haineux de manière universelle : le préjudice qu'il implique peut être perçu de manière très subjective, car souvent ceux qui n'appartiennent pas au groupe cible ne pourront pas le saisir pleinement. C'est naturel : nous comprenons tous mieux le contexte et les nuances lorsqu’il s’agit de quelque chose que nous connaissons. 

Les définitions juridiques sont fortement encouragées à des fins d'enregistrement mais aussi afin de pouvoir promouvoir des politiques basées sur des données chiffrées. Les autorités publiques, les procureurs et la police ont tendance à préférer ces définitions plus strictes qui sont moins subjectives, mais qui donnent également moins d'espace et de crédit à la victime. Toutefois, il est utile de rappeler que les définitions juridiques plus strictes peuvent omettre une quantité importante de discours de haine qui doivent pourtant également être combattus parce que le discours de haine cause un préjudice indépendamment de sa légalité.

Qu'il soit illégal ou légal (dans la "zone grise", comme on l'appelle souvent), le discours de haine n'existe pas pris isolément. Pour qu'il devienne haineux, il doit souvent être replacé dans son contexte, car sans celui-ci, le message haineux, pourtant présent, peut ne pas apparaître. Un exemple simple est l'image d'une bombe qui explose et qui, lorsqu'elle est publiée dans un article sur la migration, peut transmettre un message haineux. Le contexte est également la raison pour laquelle les modérateurs, qui peuvent avoir des origines culturelles différentes de celles du contenu qu'ils regardent, peuvent avoir du mal à identifier si quelque chose est haineux ou pas. Enfin, le contexte peut également être compris comme le contexte plus large du monde en ligne où le discours de haine s'entremêle à d'autres phénomènes.

Discours de haine dans le contexte du web

La haine a toujours existé et il est peu probable qu'elle disparaisse un jour. Cependant, avec l'essor des médias sociaux, les discours de haine sont devenus beaucoup plus visibles et ont pris de nouvelles formes et orientations. Lorsqu'il est combiné à d'autres méfaits en ligne, il devient encore plus nuisible. Il va souvent de pair avec le harcèlement et la cyberintimidation, lorsque des personnes sont ciblées et reçoivent de façon répétée des messages au contenu haineux qui s'attaquent à une ou plusieurs de leurs caractéristiques. Ces attaques peuvent être particulièrement douloureuses car elles ont tendance à viser l'essence même de l'individu, la répétition et l'escalade aggravant l'impact. Le discours de haine a également été un élément essentiel de la radicalisation, appliqué méticuleusement pour créer un récit du "nous contre eux".

Enfin, les discours de haine, implicites ou explicites, ont fait partie de la désinformation, contribuant à un environnement hostile à l'égard de certains groupes et canalisant les idées marginales vers le courant dominant. Lorsqu'on lit des « fausses nouvelles » sur les "sales migrants qui apportent des maladies" ou sur un "groupe international qui en tire d'énormes profits", ces déclarations jouent sur nos préjugés inconscients et permettent, au goutte à goutte, le développement de sentiments négatifs envers un groupe donné. De tels messages contribuent à un environnement hostile et lorsqu'on appartient à une communauté ciblée, cela peut accroître le sentiment d'insécurité et d'aliénation. En fin de compte, les discours de haine causent de graves dommages au tissu social en sapant la confiance mutuelle.

Discours de haine pendant la crise du covid-19

La crise actuelle a mis, à un niveau mondial, nos populations dans une situation sans précédent, affectant d'une manière ou d'une autre la vie de chaque individu. Nos sphères en ligne ne font pas exception à la règle. Quel est l'impact de cette pandémie sur la haine en ligne et où cela nous mènera-t-il ?

Alors que le virus et sa propagation s'intensifiaient en Europe, avec l'introduction du confinement, d'abord en Italie, suivie bientôt par d'autres pays, il semblait y avoir une pause dans la haine en ligne. Comme si les gens, qui diffusent habituellement la haine, étaient trop occupés pour savoir comment agir face à un ennemi inhabituel, invisible à l'œil nu et qui ne peut être relié à un groupe de personnes. Pendant une courte période, il y a eu de la place pour respirer, alors que nous essayions tous de nous adapter à une série de nouvelles mesures visant à protéger tout le monde : il semblait que pour une fois, nous étions tous dans le même bateau. 

Cela n'a pas duré longtemps

Dès que les gens ont pris conscience des défis posés par la crise et de ses conséquences économiques, ils se sont précipités sur Internet pour trouver un responsable et une explication à ce qui se passait. La désinformation en ligne a connu un pic comme jamais auparavant alors que les entreprises de médias sociaux tentaient dans le même temps d'accélérer leurs activités de vérification des faits et d'accroître leur transparence. La haine, comme d'habitude, se cache en arrière-plan. De vieux stéréotypes ont été ravivés, blâmant les groupes minoritaires pour la propagation du virus, depuis les mythes selon lesquels les Juifs ou les minorités asiatiques sont derrière tout cela jusqu'à la responsabilité des Roms et des réfugiés pour avoir introduit le virus et l'avoir propagé en Europe.  Dans une étude récente[5], le projet SCAN, dont CEJI est partenaire, a examiné en profondeur les tendances actuelles des discours de haine à la lumière de la crise du coronavirus, en étudiant les différentes façons dont les boucs émissaires apparaissent dans les pays, en faisant souvent porter la responsabilité à un groupe plutôt qu'à un autre, ou à différents groupes simultanément. La résurgence de l'antisémitisme et des sentiments anti-élite s'est intensifiée dans les pays de l'UE, parallèlement à un type de haine spécifique contre les asiatiques.

Depuis le tout début de la pandémie, les communautés asiatiques du monde entier ont été la cible d'attaques haineuses, tant verbales que physiques, car les gens cherchaient désespérément quelqu'un à blâmer en période d'incertitude. Les communautés chinoises et asiatiques ont fait état de comportements racistes et hostiles nettement plus nombreux qu'auparavant, ce qui a conduit à la naissance du hashtag #JeNeSuisPasUnVirus en France. Comme les crimes de haine ne sont souvent pas signalés, on peut supposer sans risque que le nombre de cas est encore plus élevé dans la réalité.

Il est certain que la crise sanitaire actuelle sera suivie d'une crise économique encore plus grave, qui touchera des millions de personnes sur tout le continent. Nous savons que, historiquement, les dépressions économiques sont un terreau fertile pour la haine et la recherche de boucs émissaires. Nous ne pouvons donc que redouter une poursuite et une escalade de la haine en ligne, certainement dans les mois, voire les années à venir.

Que pouvons-nous faire ?

Tout d'abord, il est essentiel de sensibiliser toutes les couches de la société aux discours de haine, aux phénomènes en ligne connexes et à leurs méfaits, non seulement auprès des jeunes, mais aussi via l'éducation des générations plus âgées qui sont les plus susceptibles de partager des informations erronées en ligne.

La société civile, qui joue un rôle important dans la surveillance des médias sociaux et dans le soutien aux victimes, doit être renforcée afin de pouvoir poursuivre son travail essentiel. Il existe un besoin évident de formations spécialisées sur le sujet pour les organismes chargés de l'application de la loi, combinées à une formation sur les préjugés inconscients, afin qu'ils puissent remplir le rôle qui leur incombe dans le traitement et le rapportage des discours de haine. Alors que nos systèmes de santé et économiques chancellent, les décideurs politiques doivent également donner la priorité à la lutte contre la haine, car il y aura inévitablement une résurgence lorsque la récession frappera.

Enfin, que pouvons-nous faire, en tant qu'individus ? Chacun d'entre nous a ses propres sphères d'influence où il peut apporter un changement. Nous pouvons commencer par nous éduquer, par exemple en suivant l'un des cours "Facing Facts Online" sur le discours de haine, qui est disponible en anglais, français, allemand et italien. Nous pouvons également encourager les autres à ne pas rester spectateurs en ligne lorsqu'ils voient un commentaire haineux. Le travail peut sembler écrasant, mais nous n'avons pas besoin d'être un expert en matière de lutte contre les discours de haine ; nous pouvons simplement commencer par exprimer notre solidarité avec ceux qui sont visés afin que, lentement, pas à pas, nous puissions renforcer notre immunité mentale collective et vaincre le virus de la haine.

 

 

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