Le droit de vote des étrangers en Europe : des situations contrastées

Rédigé le 10 septembre 2012 par : Benjamin Petteau

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En Belgique, le droit de vote des étrangers aux élections communales est un acquis depuis la révision de l’article 8 de la Constitution intervenue en 1998. Résultat d’un compromis politique qui reflétait l’évolution des mentalités quant à la participation des allochtones à la vie publique locale. Qu’en est-il chez nos voisins directs ? L’avènement de la citoyenneté européenne a uniformisé les droits politiques des ressortissants européens à travers toute l’UE. La situation des étrangers non-européens est bien plus contrastée. Analyse à la lumière des expériences britannique, française et néerlandaise.

En France, nationalité et citoyenneté

La citoyenneté est intrinsèquement liée à la question de la nationalité. Toute personne disposant de la nationalité d’un Etat y a le droit d’exprimer son suffrage et de se présenter aux élections. N’appartenant pas à la communauté de citoyens qui forment la nation, le ressortissant étranger s’est vu refuser ce droit politique fondamental depuis l’avènement des démocraties modernes. A quelques rares exceptions près, parmi lesquelles la Constitution « montagnarde » de 1793. Etait alors admis à l’exercice des droits du citoyen français « tout étranger de vingt et un ans, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard, tout étranger enfin qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'Humanité ». En filigrane, l’octroi du droit de vote est conditionné à l’intégration au sein de la collectivité. Cette conception innovante de la citoyenneté restera toutefois lettre morte.

Le débat sur l’octroi du droit de vote aux ressortissants étrangers refait surface dans le courant des années 1970. Les pays d’Europe occidentale connaissent alors des modifications démographiques fondamentales. Suite à la disparition des empires coloniaux, à l’immigration massive des trente glorieuses, les sociétés évoluent vers davantage de multiculturalisme. Nombreux sont les ressortissants étrangers établis de manière permanente dans un pays dont ils ne disposent pas de la nationalité. Au contraire des nationaux, leurs droits politiques sont drastiquement limités. Ce qui fait d’eux des citoyens de seconde zone, payant leurs impôts mais n’ayant pas voix au chapitre lorsqu’il s’agit de se prononcer sur l’orientation à donner à la politique locale ou nationale. La société civile s’empare du débat, bientôt relayé par certains partis politiques.

En France, durant la campagne présidentielle de 1981, le candidat Mitterrand inscrit le droit de vote aux élections municipales pour les ressortissants étrangers dans son programme électoral. Confronté au rejet massif de l’opinion publique, il doit renoncer à implémenter cette mesure durant son mandat. Lors de la campagne présidentielle de 1988, François Mitterrand réitère sa position de principe, mais exprime son regret « que l’état (des) mœurs ne le permette pas ». La droite voit dans cette mesure « électoraliste » une atteinte à la souveraineté nationale. La citoyenneté va de pair avec la nationalité. Un ressortissant étranger, s’il désire pouvoir participer à la vie publique, se doit d’acquérir la nationalité française.

En Grande-Bretagne… la Citoyenneté du Commonwealth

Cette conception de la citoyenneté n’est pas universelle, loin s’en faut. En Grande-Bretagne, le « British Nationality Act » octroie depuis 1983 un statut particulier aux ressortissants des pays du Commonwealth. A ce statut sont attachés les mêmes droits politiques que ceux dont disposent les citoyens britanniques. Les citoyens du Commonwealth (à l’instar des ressortissants irlandais) résidant sur le territoire britannique peuvent voter et se porter candidats aux élections organisées à tous les niveaux de pouvoir (élections législatives, européennes et locales). Ce droit n’est subordonné à aucune condition de réciprocité. Si un Etat du Commonwealth n’accorde pas ce droit aux ressortissants britanniques vivant sur son territoire, les ressortissants de cet état résidant en Grande-Bretagne disposeront malgré tout des droits de vote et d’éligibilité.

Qu’est-ce qui justifie cette décision d’intégrer certains ressortissants étrangers au corps électoral? Culpabilité face au passé colonial, volonté de maintenir un lien entre l’ancienne métropole et les citoyens de son empire déchu ou réelle intention de favoriser le multiculturalisme ? Les intentions sont multiples. Plus de trente ans après son entrée en vigueur, la mesure est largement acceptée par les citoyens britanniques. Et le débat sur l’immigration qui secoue la vie politique insulaire ne semble pas la remettre en cause.

Aux Pays-Bas, l’intégration par la participation

L’octroi de droits politiques est une chose. Mais l’exercice de ceux-ci par leurs titulaires en est une autre. Aux Pays-Bas, les ressortissants étrangers âgés de plus de 18 ans, résidant légalement dans le pays depuis au moins 5 ans ont le droit de participer aux élections municipales, en tant qu’électeur ou candidat. Ce droit leur est acquis depuis plus de vingt-cinq ans. Sans compter les citoyens européens, les allochtones  représentent désormais 9% de l’électorat. Toutefois, le taux de participation au sein de cette frange de la population est largement inférieur à celui des citoyens néerlandais. De même, seuls 3% des mandataires communaux sont allochtones.[1] Que peut-on déduire de ces statistiques ? La mesure n’aurait-elle pas atteint son objectif ? L’intégration par la participation à la vie politique serait-elle un échec ? Argument souvent avancé par les détracteurs du droit de vote des étrangers. Bien davantage qu’un désintérêt pour la chose publique, la justification se trouve sans doute dans le manque de sensibilisation ou d’éducation à la citoyenneté. D’ailleurs, le taux de participation diffère selon les communautés allochtones. Une étude réalisée par ‘Forum’, l’institut néerlandais des questions liées au multiculturalisme, démontre que les allochtones issus de la communauté turque exercent davantage leurs droits politiques que les membres d’autres communautés. La culture démocratique turque l’explique sans doute ainsi que le maillage étroit des associations de la diaspora turque…

Maastricht et la citoyenneté européenne

Avec l’avènement de la citoyenneté européenne en 1992 (introduite par le traité de Maastricht), les ressortissants européens ont désormais le droit de voter et d’être élus aux élections européennes et municipales dans l'Etat membre où ils résident. Le lien entre citoyenneté et nationalité s’atténue. Il n’est désormais plus nécessaire de disposer de la nationalité d’un Etat pour pouvoir y exercer des droits politiques. Si l’octroi du droit de vote aux citoyens européens est légitimé par des principes de réciprocité et de non-discrimination, il vise également à accélérer l’intégration de l’Union européenne.

Etablir la citoyenneté européenne, c’est reconnaître qu’une démocratie ne peut se contenter d’exclure une part importante de sa population hors de toute participation aux affaires publiques. Les citoyens européens résidant dans un Etat membre dont ils ne sont pas ressortissants y paient leurs impôts, participent à la vie locale et influent sur son développement au même titre que les nationaux. Pourquoi devraient-ils s’abstenir d’exprimer leur suffrage pour approuver ou désapprouver la politique locale ?

Ce qui est vrai pour les citoyens européens, l’est également pour les ressortissants de pays tiers. Fort de cette conviction, le Conseil de l’Europe adopte, en 1992, la convention quant à la participation des étrangers à la vie publique au niveau local[2]. Partant du postulat que « la résidence d'étrangers sur le territoire national est désormais une caractéristique permanente des sociétés européennes et que les résidents étrangers sont, au niveau local, généralement soumis aux mêmes devoirs que les citoyens », le Conseil de l’Europe est convaincu que leur intégration dans la communauté passe notamment par l'accroissement des possibilités de participation aux affaires publiques locales. Vingt ans après son adoption, la convention n’a été ratifiée que par quelques pays membres, parmi lesquels les Pays-Bas. Le Royaume-Uni l’a signée, mais pas ratifiée. Quant à la France, le débat qui l’agite est encore trop animé que pour envisager de ratifier la convention.

Quoique... depuis l’adoption par le Sénat d’une proposition de loi constitutionnelle visant à octroyer aux étrangers non-européens le droit de vote aux élections municipales, le vent semble tourner. Il aura tout même fallu plus de dix ans pour que cette proposition adoptée par l’Assemblée nationale en 2000 ne passe l’écueil du Sénat, majoritairement conservateur. Aux élections législatives de septembre 2011, la majorité change et la situation se débloque. Dans un élan de populisme pré-électoral, Nicolas Sarkozy, alors président, se prononce contre cette proposition de loi constitutionnelle (alors qu’il s’y était déclaré favorable en 2005). Motif invoqué ? La nécessaire cohésion nationale que l’octroi du droit de vote aux étrangers viendrait mettre à mal en cette période de crise… L’avènement de la gauche au pouvoir marquera sans doute un tournant définitif dans ce dossier. La proposition de loi constitutionnelle doit désormais passer le cap d’un vote organisé au Congrès[3]. A moins que la majorité ne décide de soumettre la question à un référendum dont les résultats pourraient en surprendre plus d’un… Un sondage organisé en novembre 2011 démontre qu’une nette majorité de Français est favorable (61%) au droit de vote des étrangers.[4] L'acceptation a progressé de plus de 6 points depuis janvier 2010, particulièrement auprès des sympathisants de droite (+15 points).

Les arguments invoqués par la droite extrême et la droite populaire perdent du terrain. Le lien « immuable » entre nationalité et citoyenneté se délite peu à peu au fur et à mesure que de nouvelles formes de citoyenneté apparaissent (citoyenneté européenne, citoyenneté sociale à laquelle sont rattachés des droits de vote et d’éligibilité au sein d’organes sociaux,…). L’expérience d’autres pays européens démontre que la souveraineté et l’identité nationales n’ont pas été mises à mal suite à l’attribution de droits politiques aux allochtones. Enfin, elle a beau être justifiée par le principe de réciprocité – les ressortissants européens disposent des mêmes droits politiques à travers toute l’UE –, la différence de traitement entre les étrangers européens et les étrangers non-européens est de plus en plus difficile à défendre. En quoi un étranger non-européen serait-il moins à même qu’un ressortissant européen d’exprimer son vote pour approuver ou désapprouver la politique menée dans sa commune? A l’heure où les questions d’intégration sont toujours plus prégnantes, il est grand temps que la patrie des droits de l’homme reconnaisse aux ressortissants étrangers ce droit d’expression démocratique fondamental. Octroi du droit de vote ne rime pas toujours avec intégration. Mais son déni rime souvent avec frustration et exclusion…

 

 


[1] Statistiques reprises au sein de l’analyse réalisée par Forum, l’institut néerlandais traitant des questions liées au multiculturalisme. Cette analyse peut être consultée à l’adresse suivante : http://www.forum.nl/Portals/0/Publicaties/Factsheet%20Politieke%20Participatie.pdf

[2] Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 5.II.1992.

[3] Le Congrès désigne la réunion des deux chambres du Parlement, l'Assemblée nationale (chambre basse) et le Sénat (chambre haute), qui siègent habituellement à Paris. Ces réunions ont généralement pour objet le vote d'une révision de la Constitution.

[4] Sondage BVA du 26 novembre 2011 

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