Le féminisme islamique : un oxymore en (dé)construction

Rédigé le 22 novembre 2013 par : Hajib El Hajjaji, Sakina Ghani

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Comment osent-ils parler d’un « féminisme islamique » ? Cette question illustre les interrogations, voire la suspicion, dans certains mouvements féministes chez nous en faisant couler beaucoup d’encre. Paradoxalement, la littérature scientifique sur le sujet est plutôt discrète. Tentative de démystification d’un concept tantôt compris comme un oxymore, ou comme un mouvement d’émancipation au sein du référentiel musulman.

Une décennie de féminisme musulman ?

Cela va sans doute surprendre mais il y a dix ans naissait aux Etats-Unis le mouvement féministe musulman comme on le connaît dans sa forme contemporaine. Celui-ci fut initié par Amina Wadud, entre autres, avant-gardiste et figure de proue du mouvement féministe. Elle a été rendue célèbre en 2003 en étant la première femme à diriger la prière d’une assemblée mixte. Elle a notamment permis d’ouvrir au pied de biche le débat sur la question de l’imamat des femmes[1]. Une revendication considérée comme progressiste par certain(e)s et provocatrice par d’autres estimant que les limites de l’orthopraxie étaient franchies et que les priorités étaient à l’unité de la oumma[2]. Les principales revendications de ce mouvement en Occident, sont l’égalité de droits entre les genres, la lutte contre l’illettrisme des femmes et la promotion de leur droit à l’éducation.

En réalité, déjà en 1906, des mouvements de femmes musulmanes s’étaient créés pour réclamer plus de justice sociale et l’accès à l’emploi... en Iran[3] ! Plus tard, en Egypte, Hoda Shaarawi a mené un double combat à la fois contre le protectorat anglais et pour la promotion des droits des femmes égyptiennes. Ceci venait en claire opposition au discours colonial qui utilisait déjà à l’époque la femme musulmane dans la stratégie discursive de sa mission pour tenter de la légitimer. A ces deux époques, les luttes des femmes s’imbriquaient dans des combats politiques plus globaux, et la dimension féministe de ces résistances n’était pas « emblématique ». Après l’accession à la liberté dans certains pays arabes, des femmes musulmanes se sont rendu compte qu’il restait des traitements inégalitaires trouvant leur justification dans les Textes Scripturaires[4] et plus précisément dans certaines interprétations qui en découlèrent.

« Femmes et Hommes dans le Coran : quelle égalité » ?

Dans son ouvrage du même titre, Dr Asma Lamrabet[5], Directrice du Centre d’Etudes et de Réflexion des Femmes en islam, revient sur les discriminations sacralisées par certaines exégèses. Elle revisite ainsi les interprétations liées à l’éducation, aux leaderships politique, intellectuel et familial ainsi qu’au droit à l’autonomie financière des femmes musulmanes. Par exemple, elle dépeint Bilqîs, Reine de Saba[6], comme un modèle de dirigeante, taclant ainsi les interprétations interdisant aux femmes l’accès aux plus hautes fonctions, les considérant « naturellement plus émotives et inaptes à maîtriser leur raisonnement objectivement ». Elle démontre aussi que, dès l’avènement de l’islam dans les sociétés tribales de la péninsule, l’égalité des genres fut posée comme principe mais que les interprétations au cours des siècles, majoritairement misogynes et patriarcales, ont dénaturé certains de leurs droits.

Contrairement à beaucoup d’idées reçues, les académiciennes musulmanes ne souhaitent pas « féminiser » ou apporter « un regard féminin » aux Textes Scripturaires. Elles préfèrent utiliser les outils classiques de la théologie et les outils modernes des sciences sociales, dont la linguistique. La langue arabe, aux multiples subtilités, tient un rôle-clé dans l’interprétation des Textes. En effet, c’est en s’intéressant à l’étymologie ou encore à la définition précise des mots et à la manière dont ils étaient compris dans un contexte donné, que ces femmes apportent une nuance et proposent une lecture plus émancipatrice et égalitariste. 

En Belgique… des tentatives en mutation

En Europe, le mouvement se forme timidement mais préfère ne pas arborer l’étiquette de « féminisme » pour préférer celui de « mouvement féminin ». En effet, beaucoup de femmes restent sceptiques car le mouvement féministe historique leur semble plutôt hostile à toute forme d’expression du religieux.

En Belgique, la mobilisation des femmes musulmanes est impressionnante. Néanmoins, il est assez rare de trouver des personnalités musulmanes qui se revendiquent ouvertement féministes... Dans les faits, les revendications sont claires et s’inscrivent dans une double lutte : intracommunautaire et extracommunautaire. D’une part, les activistes musulmanes luttent contre les discriminations et les freins exercés par la société majoritaire, notamment leur exclusion de l’école, du travail et des loisirs. De l’autre côté, elles luttent contre les lectures patriarcales recouvertes plus ou moins bien d’un vernis religieux, qui font notamment que les conseils d’administration des mosquées sont bien souvent exclusivement masculins ou encore que les femmes sont reléguées dans les organisations à la préparation des repas et à l’arrière-scène.

Ainsi, le féminisme islamique ne s'est jamais appelé tel quel dans la sphère référentielle musulmane : il résulte d'un travail comparatif lié à la présence durable des musulmanes en Belgique, d'une volonté de concilier ses valeurs et un combat citoyen pour l'égalité. Ce qui différencie le féminisme islamique, c’est la conviction forte de ses partisan(e)s, que l’Islam possède les ressources théologiques qui peuvent fonder aussi un combat pour plus d’égalité et pour plus d’émancipation. Le fait qu’en islam, il n’y a pas de Pape qui détienne seul l’autorité de l’interprétation du Texte, a permis la diversité des interprétations par un accès direct aux Textes sacrés puisque le Coran reste une source d’éthique et de guidance pour de nombreux musulman(e)s[7].

Pendant plusieurs années, une association nationale fédérait les femmes musulmanes autour du double combat : Femmes Musulmanes de Belgique (FMB). Cette association organisait des activités de sensibilisation destinées aux femmes musulmanes. Cette structure n’existe plus aujourd’hui, bien qu’entretemps, plusieurs autres organisations transnationales aient émergé : le GIERFI[8], basé à Barcelone, ou encore l‘EFOMW[9], basé à Bruxelles.

Une des leaders de FMB et pionnière du féminisme musulman en France et en Belgique est Malika Hamidi, Doctorante à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), dont les recherches portent justement sur l’organisation des mouvements féminins et féministes musulmans en Belgique. Hamidi a mis en évidence à la fois les convergences (le refus de toute imposition du foulard, des mariages forcés ou de l’excision, etc.) et les divergences avec les mouvements féministes traditionnels, sur notamment la question de l’autodétermination, avec le choix librement consenti de porter un foulard, qui représente une véritable épine dans le pied de certaines féministes. Ces réflexions doivent être approfondies bien qu’elles démontrent à la fois l’impact du religieux dans le processus émancipateur des féministes en Europe et l’impact du religieux dans la démarche émancipatrice en construction des féministes musulmanes.

Un changement de mentalité également au sein des communautés musulmanes

Le féminisme islamique est aussi en train de bouleverser les dynamiques sociales au sein des communautés musulmanes de Belgique, dans une mesure dont nous ignorons encore l’ampleur. A titre d’exemple, la volonté de poursuivre de hautes études pour des Belges musulmanes impacte à la fois les stratégies matrimoniales dans le choix du conjoint, les exigences d’un engagement citoyen dans les structures associatives ou les parcours de carrière professionnelle au sein des couples. Ceci a un impact considérable sur le schéma traditionnel de la famille musulmane des premières immigrations, la distribution des tâches ménagères ou encore sur l’éducation des enfants.

La contestation d’interprétations patriarcales tendancieuses fait également l’objet de remises en question de plus en plus régulièrement bien qu’à notre connaissance, il n’y pas à ce jour d’ouvrage académique écrit en Belgique à ce sujet et qui trouverait sa place dans un Institut de théologie musulmane en Belgique qui se fait attendre.

En conclusion, le féminisme islamique s’inscrit donc dans une histoire, au confluent des luttes féministes occidentales mais en se nourrissant des interprétations émancipatrices fondées sur le patrimoine religieux musulman. Il possède différentes tonalités et doit trouver sa propre voie entre l’Occident et l’Islam que l’on met très souvent en opposition mais qui présente vis-à-vis du féminisme musulman une même caractéristique : la remise en question à la fois des catégories de pensée de l’action dans les mouvements féministes classiques et certaines interprétations patriarcales qui prévalent dans les discours ou dans les actes au sein des communautés musulmanes.

 

 

 

 


[1] qui est certes reconnu mais comprend des restrictions

[2] ce débat est présent aussi pour les autres religions monothéistes : ordination des femmes prêtres, femmes pasteurs

[4] Coran et Sunna

[5] www.asma-lamrabet.com

[6] mentionnée dans la Sourate 27 du Coran

[7] Cette phrase doit être nuancée puisque dans de nombreux pays musulmans, la volonté d’harmoniser ou d’uniformiser le code religieux à l’ensemble du territoire, a aussi entraîné la mise en place d’autorité religieuse centralisée. La mondialisation et Internet ont remis en question leur crédibilité et leur fondement.

[8] Groupe International d’Etudes et de Réflexion sur les Femmes en islam : gierfi.org

[9] European Forum of Muslim Women : efomw.eu 

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