Le racisme comme système : situer, ancrer, nommer

Rédigé le 8 décembre 2021 par : Yasmine Kaddouri

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Ces dernières années, des voix historiquement marginalisées portent une parole dans l’espace public, charriant avec elles des concepts tels que racisme systémique, racialisation, privilèges ou blanchité. Que nous disent ces concepts ? Pourquoi les mobiliser ? Que nous disent les critiques dont ils sont l’objet ? Retour sur notre perception, certes partiale, partielle et située.

Racisme systé…quoi ? Ces termes peuvent sembler inaccessibles, abstraits, lointains.  Pourtant, ce concept  est une réalité tangible, chiffrée, qui produit des effets constants dans les rapports sociaux, dans les trajectoires sociales, dans nos représentations du monde. Comprendre ces concepts, c’est mieux comprendre la société dans laquelle on évolue. Comprendre ce concept, c’est aussi comprendre la mission de BePax, ses luttes, sa vision politique du racisme. Deux mots qui demandent un travail réflexif que nous vous proposons d’entreprendre ici.

Cet écrit nous permet de prendre le temps de décrire une grille de lecture qui s’appuie sur notre travail de recherche de ces dernières années[1], mais également sur notre travail de formation et d’animation, véritable matériel vivant sur ces thématiques.

Préalable, pourquoi racisme et pas xénophobie ?

Nous voulions commencer par aborder cette question, car elle nous est souvent posée en animation : pourquoi racisme et pas xénophobie ? La xénophobie nait de la rencontre avec l’altérité humaine et se traduit étymologiquement par une hostilité à ce qui est étranger, une peur de ce qui vient de l’extérieur. Le racisme est également une lecture de l’altérité, de la différence, sauf qu’elle exclut, hiérarchise et rejette l’autre sur base d’une idéologie raciale. Le marqueur utilisé pour différencier le « Nous » des « étrangers/barbares/inférieurs », c’est la race (et non le lieu de naissance par exemple).

Le racisme ne peut se réduire à la xénophobie, ce n’est pas une simple peur de l’autre. Le racisme est une organisation sociale basée sur une hiérarchisation des individus et nous y reviendrons tout au long de cette analyse.

Du racisme scientifique au racisme contemporain

Il n’est pas possible d’envisager le racisme sans prendre en compte sa dimension historique. Le racisme a une histoire qui peut être retracée. Une histoire qui démarre à la fin du XVème siècle, avec l’arrivée des Européens dans les Amériques et le développement du capitalisme. À partir de là, constamment, il s’agira justifier l’exploitation des ressources par l’infériorisation et la déshumanisation des populations non blanches, par la destruction des cultures et savoirs extra-occidentaux.

A partir de la seconde moitié du XVIIIème siècle émerge l’idée de race entendue comme l’existence de différentes races humaines hiérarchisées entre elles. Le racisme prend alors une dimension scientifique : il s’agit de démontrer, par des arguments scientifiques, l’infériorité des populations colonisées. Ces théories scientifiques sont maintenant obsolètes ; elles ont été totalement invalidées par la science. Mais avant de l’être, elles ont été utilisées comme des outils de justification à la domination, à l’exploitation coloniale, à la déshumanisation continue des populations non-blanches. En d’autres mots, elles ont servi d’assises à des systèmes criminels de violences, d’exploitation, où les humains sont des marchandises, des objets, sur lesquels on a droit de vie ou de mort.   

Malgré le caractère obsolète de ces théories sur le plan biologique, ce système et cette vision du monde se sont adaptés en recyclant les anciennes croyances. On le voit, il importe de ne pas penser le racisme comme étant le produit spécifique des théories racialistes ayant émergé à partir du 18ème siècle. Un tel raisonnement permet de considérer que la disqualification scientifique de ces discours débouche sur la fin du racisme.  Loin de se réduire à ces théories racialistes, la race, en tant que mécanisme de hiérarchisation des êtres humains et de production d’inégalités, est un élément structurant qui émerge avec la modernité et qui s’adapte pour se maintenir. Après la Seconde guerre mondiale et le consensus scientifique sur l’unicité de la race humaine, ce processus a évolué et a conservé l’idée d’une hiérarchie qui reposerait cette fois, non plus sur l’existence des races, mais sur une hiérarchisation entre des cultures.

On utilise d’autres concepts que celui de race, pour exclure, essentialiser et hiérarchiser les mêmes groupes avec des mécanismes identiques. Le marqueur de différenciation entre eux et nous sera « la culture de l’autre » versus « ma culture ». On va parler de la culture arabe ou musulmane qui serait incompatible avec « nos valeurs », de la culture africaine qui ne permet pas aux afro-descendant.es de « s’intégrer », on va nommer un groupe « les chinois » pour parler de personnes issues de l’ensemble de l’Asie du sud-est. Toutefois, derrière ces discours qui se présentent comme dénués de considérations raciales, on retrouve les mêmes mécanismes :

Homogénéisant  (LA culture) : on va globaliser la culture en un bloc, par exemple LA culture arabo-musulmane, qu’on imagine identique, sans nuance, sans contradiction, sans donner de point de comparaison.
Essentialisation (en tout temps et en tout lieu) : la culture arabo-musulmane serait identique qu’il s’agisse d’une personne née et qui a vécu en Syrie ou d’un belgo-marocain qui est né et qui a grandi en Europe. Ils auraient la même culture, les mêmes références, les mêmes normes, les mêmes croyances et pratiques religieuses.

La race est un marqueur qui n’est certes plus justifiable d’un point de vue scientifique, mais dont les effets n’ont pour autant pas cessé. On va hiérarchiser des différences, les homogénéiser et essentialiser ces groupes. Ce processus a des impacts sur les représentations individuelles et partagées, sur le fonctionnement de nos appareils institutionnels, politiques et sécuritaires, sur l’accès aux biens et aux services, sur l’accès aux soins…

Une perception majoritaire du racisme : un racisme individuel et extérieur

A l’heure actuelle, la vision du racisme la plus commune que nous pouvons entendre lors de nos animations est celle d’un racisme explicite et violent : 

  • Des insultes, des cris de supporters/supportrices dans les stades de foot
  • Des moqueries entre enfants dans une cour d’école concernant la couleur de peau d’un camarade de classe
  • Des « blagues » entendues à une réunion de famille
  • Des actions menées par des groupes anti-migrants, milices racistes aux frontières italiennes et françaises
  • Des agressions racistes

Il s’agit d’une série de faits et violences que l’on imagine assez ponctuels, portés par des personnes avec des visions extrêmes, par des individus à la moralité gênante, dérangeante. Bref, de mauvaises personnes[2] qui vont avoir des attitudes violentes et explicites.

Mais le racisme ne se limite pas à des personnes individuelles qui vont avoir des propos ou attitudes racistes. Cette caricature de personnes qui portent le racisme en elles, de manière violente et honteuse nuit à la lutte contre le racisme[3]. Nous allons donc nous intéresser aux manifestations les moins visibles du racisme, la partie immergée de l’iceberg.

Pour cela, il faut d’abord sortir d’une vision morale. Le racisme n’est pas une question exclusivement morale. C’est une construction sociale, un système dans lequel nous évoluons. Ce sont des actes, des manières d’envisager le réel que nous tous/toutes pouvons porter en nous et que nous pouvons déconstruire. Plus encore, ce sont des normes, des valeurs, des habitudes, des pratiques et règlements qui peuvent sembler neutres, mais qui dans les faits sont le produit d’une histoire avec laquelle il n’y a pas eu de rupture et qui, de facto, reproduisent des violences et inégalités indépendamment des attitudes et intentions des individus. Un racisme caché, invisible, insidieux. C’est une lecture des angles morts au sein de notre société :

  • Qui est visible ?
  • Qui est représenté ?
  • Quelle est la norme implicite ?
  • Qui est valorisé ou valorisable ?

Et qui ne l’est pas ?

C’est aussi une lecture qui refuse de minimiser les violences quotidiennes institutionnelles et étatiques :

  • Qui a le droit au respect des droits humains ?
  • Qui a le droit à la sécurité de la police ?
  • Qui a le droit au bien-être au travail, à la valorisation professionnelle ?
  • Qui a le droit d’incarner le pouvoir politique, la parole médiatique ?
  • Qui a le droit à la présomption d’innocence ?

Et qui n’y a pas droit ?

Sortir de cette lecture morale et individuelle permet une prise de recul nécessaire, permet de faire un pas en arrière pour commencer à percevoir l’ensemble de l’image et de voir en quoi la question du racisme nous traverse tous.tes. Le racisme, ce sont des relations de pouvoir et de domination rarement manifestes (du moins pour celles et ceux qui ne les subissent pas).

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[1]  Principalement les deux études suivantes : « Racisme Anti-Noir, entre méconnaissance et mépris » de Mireille-Tsheusi Robert et « Etre blanc·che : le confort de l’ignorance » de Nicolas Rousseau et Betel Mabille.

[2] « Racisme Anti-Noir, entre méconnaissance et mépris » de Mireille-Tsheusi Robert.

[3] « Racisme Anti-Noir, entre méconnaissance et mépris » de Mireille-Tsheusi Robert.

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