Les défis du droit international humanitaire

Rédigé le 24 mars 2014 par : Géraldine Duquenne

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L’évolution de l’environnement mondial confronte les acteurs humanitaires à de nombreux défis, tant du point de vue de la complexité des crises, de leurs protagonistes et des personnes touchées qu’en raison des changements que le secteur humanitaire rencontre également. Notre propos est de témoigner de ces différents défis, reflets de l’état des crises contemporaines.

Approche du droit international humanitaire

« Le droit international humanitaire (DIH), également connu sous le nom de « droit de la guerre » ou « droit des conflits armés », est un ensemble de règles qui, pour des raisons humanitaires, cherchent à limiter les effets des conflits armés. Il protège les personnes qui ne participent pas ou plus aux combats et restreint les moyens et méthodes de guerre »[1].

Le droit international humanitaire se fonde sur les Conventions de La Haye de 1907, visant surtout à réglementer la pratique de la guerre, et sur les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977, ainsi que sur une série d’autres conventions et protocoles ayant trait à des aspects spécifiques du droit des conflits armés. Les quatre Conventions de Genève sont universellement ratifiées.

Le DIH couvre principalement deux domaines : la protection des personnes qui ne participent pas, ou plus, aux hostilités et la limitation des moyens et des tactiques employés dans la conduite des hostilités. Le CICR (Comité international de la Croix-Rouge) a pour mission de veiller au respect et à la mise en œuvre de cette branche du droit.

Mais la complexité croissante des conflits armés et de l’identification de leurs acteurs a donné lieu à de nombreuses discussions sur la notion même de conflit armé et sur la véritable portée du droit international humanitaire.

La fin de la guerre froide change la donne

D’après François Bugnion, conseiller diplomatique de la Direction du Comité international de la Croix Rouge, la fin de la guerre froide a représenté un tournant décisif dans la nature et la typologie des conflits armés de notre époque[2].

Selon lui, le facteur décisif est la disparition de la bipolarité des deux blocs qui a entraîné la prolifération des factions et des groupes armés non étatiques, et l’apparition de nouveaux acteurs qui ne reconnaissent pas être liés par le droit humanitaire. Dans certains cas, cette multiplication des factions et des groupes armés se traduit par la mise à mal de l’appareil étatique. Les chefs de guerre se définissent des zones qu’ils contrôlent grâce à la mainmise sur les ressources environnantes, souvent au détriment des populations menacées. La Somalie donne depuis plusieurs années l’exemple extrême d’un État sans État. Ce phénomène démontre un changement dans la nature des violences.

Inversement, le DIH est confronté à une tendance des Etats à qualifier hâtivement leurs opposants de « terroristes », discréditant dès lors toute tentative de protestation à leur encontre. En effet, les suites des événements du 11 septembre ont lancé un énorme défi au DIH, créant la confusion entre guerre et terrorisme, quand ce dernier n’est pas instrumentalisé par le monde politique.

Cependant, il faut reconnaître que les pires exactions impliquent toujours la responsabilité d’un État ou d’un groupe organisé explique Bugnion. « Ni le génocide cambodgien, ni le génocide du Rwanda, ni l’épuration ethnique en Bosnie-Herzégovine, en Croatie, puis au Kosovo n’auraient été possibles sans un plan concerté et sans la volonté politique d’un gouvernement ou d’un parti fortement structuré »[3]. Il en va de même pour la Shoah et pour le massacre des Arméniens au tournant du siècle ou pour la population syrienne aujourd’hui.

Enfin, et c’est sans doute l’un des paradoxes de notre époque, alors que le monde est de plus en plus interconnecté même dans les zones les plus reculées, on assiste aussi à la montée des particularismes et des revendications identitaires. Ces comportements s’appuient bien souvent sur la peur de l’autre qui engendre le rejet, l’exclusion et le racisme. Ce constat porte en son sein la menace d’une fracture sociale pouvant mener à une escalade de violence palpable même dans nos démocraties occidentales.

L’expansion technologique

Les évolutions technologiques actuelles et futures risquent de modeler le champ d’application du droit international humanitaire. Le recours accru à des armes ou à des systèmes d’armes contrôlés à distance et donc presque autonomes, tels des drones, pose la question de la responsabilité et inquiète quant à l’indifférenciation de frappe de ces armes.

La « cyberguerre » constitue un autre risque tant nos sociétés en dépendent. Le lancement d’attaques informatiques pourrait avoir de lourdes conséquences sur les infrastructures (transports, hôpitaux, centrales nucléaires…) et entraîner des pertes dans la population civile.

Difficulté d’application du DIH

Une autre difficulté pour le DIH réside dans sa reconnaissance et son application.

En effet, les parties au conflit ne se reconnaissent pas souvent liées par ces instruments. De plus, pour que les principes du DIH soient respectés, de nombreuses conditions doivent être réunies : connaissance des dispositions par les combattants, volonté de la part des belligérants de les respecter et d’en imposer le respect à leurs troupes, existence d’une structure hiérarchique qui permettrait d’imposer le minimum de discipline sans lequel le DIH n’aurait pas de raison d’être et l’action humanitaire non plus. On est malheureusement très éloigné de cette réalité.

Seule une action qui s’inscrit dans la durée, visant à nouer des contacts avec toutes les factions et tous les groupes armés, afin de faire connaître les principes essentiels du droit humanitaire et de s’assurer de l’acceptation de l’action humanitaire, peut permettre de surmonter progressivement ces obstacles dit François Bugnion[4].

Actuellement, cette volonté se heurte à une méfiance croissante des États quant à la neutralité de l’action humanitaire, parfois accusée d’importer des valeurs occidentales. L’objectif des organisations humanitaires vise la remise en valeur de l’universalité du projet. Dans le même sens, on observe une réaffirmation de la souveraineté des États s’employant à bloquer la réponse humanitaire sur leur territoire au nom d’impératifs discutables.

Les moyens d’action

La question se pose donc en ces termes selon Bugnion: « comment protéger les populations civiles, comment assurer le respect du droit international humanitaire, alors qu’on est confronté à des politiques d’une extrême violence qui sont la négation même de tout principe humanitaire » ?

C’est en premier lieu aux États qu’il appartient d’assurer le respect des traités auxquels ils ont souscrit et qu’ils se sont engagés non seulement à respecter mais à faire respecter. Par la suite, divers moyens de pression existent pour faire fléchir un État : pressions diplomatiques et résolution des organismes internationaux, menace des instruments judiciaires internationaux, sanctions économiques, et finalement l’option militaire.

Mais toutes ces mesures comportent leur envers, notamment des risques de violence accrue pour les populations ou de dépendance aux forces armées pour les acteurs humanitaires, ainsi que la non-réparation des causes des souffrances subies par les populations, du comportement et des politiques des belligérants.

Inversement, il est incontestable que la passivité face à des violations graves et délibérées des lois et coutumes de la guerre ou des droits de l’homme, et cela où que ces faits se produisent, ne peut manquer de ruiner l’autorité du droit international humanitaire et celle du système international de protection des doits de l’homme. De façon plus générale, l’histoire a montré que la passivité face à de telles atrocités ne peut que saper l’autorité du droit international, la stabilité des relations internationales et la paix. L’inaction est porteuse de nouveaux drames, de nouveaux conflits et de nouvelles victimes explique François Bugnion.

Et dans l’avenir ?

Nous n’avons donné qu’un aperçu des défis que le DIH et l’action humanitaire rencontrent. Mais la configuration changeante de notre monde supposera de nombreuses mesures d’adaptation et d’anticipation des crises à l’avenir (réchauffement climatique, nature changeante des conflits, croissance démographique…).

Pour une grande partie des décideurs de l’humanitaire, la difficulté reste de trouver le moyen de faire que les systèmes et les approches traditionnels puissent continuer d’opérer dans de nouveaux contextes, plutôt que de chercher de nouveaux systèmes et de nouvelles approches pouvant opérer dans des contextes changeants nous dit Randolph Kent [5].

Il est évident que des transformations majeures sont à l’œuvre dans le monde et qu’elles exigeront de nouvelles méthodes, de la part de ceux qui exercent un rôle et des responsabilités dans le domaine humanitaire, pour y réfléchir et se tenir prêts à relever les défis futurs dont les prémices sont déjà visibles.

 


[1] Site officiel du CICR, http://www.icrc.org/fre/war-and-law/index.jsp

[2] BUGNION François, « Le droit international humanitaire à l’épreuve des conflits de notre temps », Revue internationale de la Croix Rouge, 1999, http://www.icrc.org/fre/resources/documents/misc/5fzg3g.htm

[3] Ibid

[4] BUGNION François, « Le droit international humanitaire à l’épreuve des conflits de notre temps », Revue internationale de la Croix Rouge, 1999, http://www.icrc.org/fre/resources/documents/misc/5fzg3g.htm

[5] KENT Randolph, “Planifier en se projetant vers l’avenir : un changement de perspective”, Revue internationale de la Croix Rouge, vol. 93,  2011, http://www.icrc.org/fre/assets/files/review/2011/irrc-884-kent-fre.pdf 

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