Les féminismes musulmans et les afroféminismes : Entre convergences nécessaires et contentieux historique

Rédigé le 15 mai 2018 par : Betel Mabille

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Les vendredi 20 et samedi 21 avril avait lieu le premier colloque international sur les Afroféminismes et les Féminismes musulmans à Bruxelles. Les deux thématiques ont été abordées ensemble comme des luttes en parallèle avec des points de convergence mais également de divergence.

La société belge commence de plus en plus à se familiariser avec les concepts du féminisme. Les thématiques les plus abordées sont généralement le partage des tâches domestiques, l’écart salarial, les violences physiques et sexuelles ou encore le harcèlement. Ces thématiques ont cela en commun qu’elles touchent toutes les femmes. Cependant, certaines femmes vivent des discriminations, des oppressions particulières. En effet, la lutte féministe a historiquement eu tendance à se concentrer sur les questions de classe ou de genre, excluant la question dite raciale. Pourtant, une femme afro-descendante et/ou musulmane pourra vivre des oppressions et des discriminations liées à la fois à sa couleur de peau mais également à son genre et sa religion (et parfois également à sa classe, son orientation sexuelle, son handicap, etc.).

L’afroféminisme, qu’est-ce que c’est ?

L’afroféminisme se place dans une lutte intersectionnelle, prenant en compte la question raciale mais également toutes les autres oppressions auxquelles les femmes noires et afro-descendantes peuvent être confrontées. Ainsi, l’afroféminisme se présente comme un féminisme porté par les femmes noires pour mettre en avant et lutter contre les oppressions spécifiques qu’elles vivent. Ce type de féminisme est à distinguer du féminisme porté par les femmes noires en Afrique qui, ne vivant pas dans une société dominée par les personnes blanches (cette domination est plutôt indirecte), doivent faire face à d’autres types de discriminations. L’afroféminisme aurait plus tendance à être mis en parallèle au black feminism, le féminisme des femmes afro-américaines. De ce fait, l’afroféminisme a de particulier qu’il s’agit d’une lutte se faisant dans des pays et des continents où les femmes ne sont pas en majorité noires.

Le féminisme musulman, qu’est-ce que c’est ?

Dans notre société, l’idée d’un féminisme musulman semble pour certain-e-s être un non-sens. Cependant, le féminisme musulman est un courant de pensée et d’action qui date de plusieurs décennies.

Le terme « musulman » renvoie à de nombreux courants de pensée. Chaque féministe musulmane  vit sa foi ainsi que sa position et condition de femme d’une manière qui peut être différente de ce que vivent ses consœurs. Aussi, les luttes des femmes féministes et musulmanes s’inscrivent intrinsèquement dans l’environnement dans lequel elles s’organisent. En effet, un féminisme musulman en Belgique ou en France ne correspondra pas forcément au féminisme des femmes iraniennes ou marocaines. Par exemple, en Iran, les femmes musulmanes luttent pour avoir le droit de ne pas porter le foulard. En Occident, les féminismes musulmans luttent pour que les femmes voilées soient respectées et intégrées dans la société. En Occident, les féminismes musulmans se présentent donc comme des luttes pour permettre aux femmes musulmanes de s’émanciper de la norme dominante patriarcale et blanche.

Leurs actions visent principalement en une relecture et une réinterprétation des textes religieux traduits par les hommes. La volonté est de sortir de la misogynie et du patriarcat, que la traduction des textes propose actuellement, pour se réapproprier le discours religieux.

Convergence des luttes ?

Il est indéniable que dans le contexte occidental, les féminismes musulmans et les afroféminismes sont des luttes à considérer en miroir. Plusieurs points de convergence de ces luttes sont à mettre en lumière :

La décolonisation du féminisme : Il s’agit ici de sortir de l’approche où les féministes viendraient sauver d’autres femmes comme les colons pensaient le faire en gagnant des colonies dans un but d’expansion, mais également dans un but impérialiste et en se définissant comme des sauveurs. Les afroféministes mettent en lumière les conséquences de la colonisation, leur impact à l’heure actuelle, et ce dans un objectif de lutte et d’émancipation. Il en est de même pour les féministes musulmanes, notamment par le contexte religieux qui, pour les féministes mainstream, serait un prétexte à une soumission des femmes menée par le patriarcat.

La position de minorité : Qu’il s’agisse des femmes musulmanes et des femmes afro-descendantes, il s’agit de femmes en minorité dans les pays occidentaux tels que la Belgique. Ainsi, le féminisme porté par ces femmes a souvent été invisibilisé en faveur d’un féminisme soutenu par les femmes blanches, se plaçant en majorité dans les mouvements de lutte et d’émancipation des femmes.

Le statut de minorité a entraîné une invisibilisation de ces féministes musulmanes et/ou noires. Si nous regardons la presse, nous voyons que les journalistes parlent d’une émergence d’un féminisme musulman ou d’un afroféminisme. Or, ces féminismes sont pluriels et présents depuis de nombreuses décennies, que cela soit dans notre pays ou dans d’autres. Cependant, ceux-ci n’ont jamais été mis en avant et les rares fois où  ils étaient évoqués, ils devaient faire face à des adjectifs stigmatisants comme « communautariste[1] ».

L’émancipation des mouvements féministes mainstream : Le féminisme dit majoritaire (ou plutôt dominant) est un féminisme proposé par les femmes blanches occidentales. Les questions et les luttes amenées par ce féminisme sont généralement orientées sur les questions de sexisme sans prendre en compte la question raciale. Dès lors, les féministes noires et/ou musulmanes ont pu éprouver des difficultés à trouver leur place dans les féminismes mainstream car ceux-ci n’abordaient qu’une partie de leur identité, celle concernant le genre.

Depuis des siècles, le féminisme mainstream se bat contre des oppressions patriarcales et se montre en décalage avec les femmes noires et/ou musulmanes vivant en occident. Un exemple historique est la volonté des Suffragettes[2] d’obtenir le droit de vote pour les femmes blanches, notamment car celui-ci allait passablement être accordé aux hommes noirs.  Dans les années 70 en France, les luttes pour la légalisation de l’avortement voient le jour, portées par des féministes blanches soucieuses du sort et de la condition des femmes. Au même moment, L’Etat français pratiquait des avortements forcés auprès de femmes noires dans ses colonies. Actuellement, des féministes mainstream luttent pour un recul du religieux alors que les féministes musulmanes luttent pour avoir le choix de porter ou non le voile en Occident. Ces trois exemples montrent la distorsion et le fossé pouvant exister entre les luttes féministes mainstream et les luttes intersectionnelles portées par les femmes noires et/ou musulmanes.

Il était donc nécessaire que les femmes ne se retrouvant pas dans les luttes du féminisme blanc puissent s’organiser elles-mêmes dans la lutte contre le patriarcat et le racisme. Par ailleurs, les féministes musulmanes et afro-descendantes doivent composer avec le fait que certains mouvements féministes mainstream les identifient comme communautaristes, car ne voulant pas s’inclure dans la lutte. Malheureusement, une telle inclusion ne pourra se faire qu’une fois que les féministes des mouvements dits majoritaires auront réalisé un travail d’introspection sur le privilège blanc[3] mais également sur la prise en compte intersectionnelle des oppressions vécues par les femmes noires et/ou musulmanes.

Il reste des sujets qui fâchent…

Malgré la volonté de se réunir et de lutter ensemble contre le racisme et le sexisme (mais également le classicisme[4] ou encore le validisme[5]), les féminismes des femmes afro-desendantes et les féminismes musulmans ont quelques points sensibles sur lesquels il est nécessaire de travailler pour envisager une lutte commune.

Les femmes noires et asiatiques musulmanes : Au sein des féminismes dit « minoritaires » en Occident, certaines femmes peinent encore à être représentées. C’est notamment le cas des femmes noires musulmanes ou des femmes asiatiques musulmanes qui sont les grandes invisibilisées de ces luttes. Rokhaya Diallo, femme noire et musulmane, met d’ailleurs en avant le fait que sa couleur de peau a tendance à effacer tout le reste de son identité. Le fait d’être noire passe avant le fait d’être musulmane, surtout si la personne ne porte pas le foulard.

« Puisque nous sommes ici à parler des alliances possibles, nous devons admettre que les mouvements féministes ne sont épargnés ni par l’islamophobie ni par le racisme et la négrophobie en particulier. Il nous faut parler de l’imaginaire collectif dans lequel la femme musulmane est arabe mais jamais noire ni même asiatique. [6]» 

Cette situation permet de faire la transition sur un autre sujet difficile à aborder dans les communautés féministes, la négrophobie et le racisme au sein même des féministes racisées.

La négrophobie des pays arabes : Une partie des féministes musulmanes est arabe. En Occident, ces femmes comme les femmes noires sont soumises au patriarcat et au racisme à leur encontre. Cependant, l’histoire des pays arabes met en avant 13 siècles d’esclavage et de traite négrière.

« Si nous voulons travailler ensemble, nous ne pouvons pas faire l’économie d’un travail en profondeur sur le passé commun des arabo-musulmans et des noirs : treize siècles d’esclavage. Nous ne pouvons pas non plus taire le phénomène de négrophobie.[7] » 

L’esclavage, tout comme la colonisation, ont encore des impacts aujourd’hui dans les communautés. Il en ressort toute une série de stéréotypes mais également de discriminations et d’oppression. Il n’est par exemple plus possible de nier le racisme anti-noir-e-s dans les pays du Maghreb, comme nous l’ont encore montré récemment les journalistes de la CNN ayant obtenu des preuves vidéo d’une vente d’esclaves noir-e-s en Libye.

Les populations issues de l’Afrique du Nord venant s’installer en Belgique (ou ailleurs en Europe) peuvent donc arriver sur le continent avec toute une série de représentations sur les personnes noires. Ainsi, dans les milieux féministes dits « minoritaires » les femmes noires peuvent également subir une oppression venant des féministes blanches mais également de féministes non blanches.

Avancer ensemble en prenant conscience de ses privilèges.

Les féminismes musulmans et les afroféminismes n’ont plus à prouver leur nécessité dans un contexte postcolonial et occidental. La lutte des femmes noires et/ou musulmanes est à prendre en compte au même niveau que la lutte des femmes blanches contre le patriarcat. Il est possible d’imaginer une lutte conjointe et inclusive mais la société actuelle est encore trop divisée sur les questions d’oppression et de racisme que pour penser utopiquement à un seul féminisme qui se voudrait inclusif et intersectionnel.

Il est nécessaire que les associations anti-racistes et féministes travaillent ensemble pour aller à la rencontre de toutes les oppressions vécues par les femmes et pour mettre en avant des luttes invisibilisées.

Pour terminer, une citation de Mireille-Tsheusi Robert lors du colloque sur les afroféminismes et les féminismes musulmans : « Pour mettre en place des alliances pérennes entre des groupes aux histoires et priorités différentes, il faut d’abord prendre le temps de se connaître, de savoir d’où on parle et quels sont les "privilèges" des unes par rapport aux autres. » 

 

Sources :

 

 

 


[1] Les féminismes musulmans et afroféminismes revendiquent le côté communautariste et la non-mixité. Cependant, le terme « communautariste » est souvent utilisé dans la presse pour mettre en avant une exclusion de la majorité, ce qui est généralement perçu négativement par la population. http://www.bepax.org/publications/analyses/la-non-mixite-outil-d-auto-enfermement-ou-d-auto-emancipation,0000875.html

[2] Féministes anglaises du début du 20ème siècle militant pour le droit de vote des femmes blanches.

[3] http://www.bepax.org/publications/analyses/le-privilege-blanc,0000900.html

[4] Le classicisme est l’idée d’une hiérarchie au sein des classes sociales. Cette hiérarchie peut entraîner un mépris de classes venant généralement des classes dites supérieures envers les classes dites inférieures.

[5] Le validisme est une discrimination à l’encontre des personnes en situation de handicap qui considère et construit la société autour de la croyance que chaque personne la composant à une totale autonomie physique et/ou intellectuelle.

[6] Aichatou Ouattara, auteure du blog Afrofeminista, lors du colloque sur les afroféminismes et féminismes musulmans

[7] Mireille-Tsheusi Robet, présidente de Bamko, lors du colloque sur les afroféminismes et les féminismes musulmans. 

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