Les Marocains résidants à l’étranger, une mine d’or pour Rabat

Rédigé le 19 novembre 2014 par : Jennifer-Christelle Essolomwa Botewa

Taille de police réduire police agrandir police

Les MRE (Marocains résidants à l’étranger) constituent un enjeu financier et de développement majeur pour Rabat. Comment dès lors s’assurer de la pérennité des liens avec les descendants des migrants marocains installés en Europe ? Différentes politiques volontaristes ont été mises en place afin de faciliter la circulation du capital humain mais aussi de l’épargne de ces migrants.

A l'échelle du globe, le Maroc compte près de 10% de sa population hors des frontières du Royaume. L'Europe absorbe environ 85 % de l'effectif migrant quand le reste est réparti entre les Etats-Unis, le Canada et les Pays Arabes (Algérie, Tunisie, Libye, Arabie Saoudite,...). Les 6 principaux pays d'immigration que sont la France, les Pays-Bas, l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne et la Belgique comptent les contingents les plus importants de ressortissants marocains[1].

L'année 2014 marque les 50 ans de la convention de travail belgo-marocaine signée le 14 février 1964 qui s'inscrivait dans le cadre du plan de relance de l'industrie charbonnière, dont les résultats médiocres, dans l'après-guerre, entravent lourdement les objectifs de reconstruction nationale. Son objectif était de fournir une main-d’œuvre d'appoint à cette industrie. Originaire en large partie des régions rurales du Riff (au Nord du Maroc), elle constituera l'une des premières générations de migrants extra-européens sur le territoire.

L’identité socio-culturelle de la diaspora marocaine s'est vue accompagnée au fil des années d'un ensemble de mutations significatives dont notamment le passage d'une migration provisoire de travail à une migration familiale de fixation. Ainsi en 2012, on estime à 429.500, le nombre d'individus d'origine marocaine[2] vivant en Belgique[3]. L'intégration progressive dans les pays d'accueil, et par ailleurs, l'attachement au pays d'origine contribuent à l'élaboration d'un espace transnational au sein duquel s'organise la circulation des compétences des MRE (Marocains résidants à l’étranger) vers le Maroc. Cet exposé est un tour d'horizon des différentes politiques mises en place par le gouvernement marocain afin de faciliter l'intégration de ses expatriés dans l'économie locale.

Diversification progressive de la diaspora marocaine

L'intégration de la communauté marocaine en Belgique au cours du demi-siècle écoulé a emprunté 2 canaux principaux que sont le regroupement familial et la naturalisation. Ces 2 indicateurs offrent une clé de lecture du phénomène d'intégration pouvant être défini comme la capacité d'un Etat ou d'une communauté allochtone à "faire sienne" les spécificités culturelles du pays d'accueil. Voie intermédiaire entre l'insertion et l'assimilation, elle suppose la volonté pour l'immigré de ne pas nier ses particularités ethniques et culturelles conservant ainsi ses liens avec son pays d'origine.

Sur le territoire national, les premières politiques d'intégration consécutives à la signature de l'accord-cadre de 1964 prennent effet dès 1968. Elles portent surtout sur des aspects de sécurité sociale. A titre d'illustration, on peut citer l'égalité de traitement des travailleurs belges et marocains sur des aspects liés à l'accès aux allocations familiales des enfants restés au pays. Cependant, jusqu'en 1980, il s'agit avant tout d'une émigration ponctuelle principalement masculine employée essentiellement comme mineurs de fond en Wallonie. Cette première génération de migrants bénéficie d'une représentation syndicale faible et fait l'objet d'une double discrimination du fait de ses caractéristiques socio-culturelles; population ouvrière non qualifiée de confession musulmane[4]. Les politiques de regroupement familial mises en place après 1974 vont permettre d'accélérer l'installation permanente des première et deuxième générations. Celles-ci sont un moyen pour le gouvernement belge non seulement de faciliter l'insertion socio-professionnelle des individus mais aussi de limiter l'émigration des travailleurs marocains vers les pays limitrophes. 1974 marque aussi le début d'une féminisation des migrations avec à l'heure actuelle une quasi-parité homme/femme. Sous l'impulsion des réformes du droit à la nationalité de 2000, près de 80 % de l'effectif marocain a acquis la nationalité belge. Les années 80 marquent l'émergence des deuxième et troisième générations dans l'espace public.

La structure sociale de la communauté marocaine de Belgique reflète très largement les différentes vagues d'immigration. Celles de 1964 à 1974 pour lesquelles la relation au pays d'accueil se construit autour de la mythologie "du retour au pays" et qui maintiennent des liens profonds avec les traditions et coutumes du pays d'origine. Et les troisième, voire quatrième générations, qui ont un sentiment d'appartenance au pays d'accueil plus important.

Reflux des transferts financiers

Les transferts d'argent de la communauté marocaine en Belgique représentent 5% des 57 milliards de Dirhams envoyés par les MRE vers le Maroc. La part la plus importante des fonds envoyés est le fait des première et deuxième générations. Les relations entre les MRE et le Royaume connaissent un tournant dès la fin des années 90. On assiste alors à une stagnation des transferts financiers laissant craindre un futur déclin, ce qui à terme mettrait à mal les investissements publics.

Le gouvernement marocain met en place une série de mesures afin de faciliter le transfert d'argent et les investissements des MRE. Ces outils impliquent la redéfinition des notions de citoyenneté et de nationalité. C'est que ces transferts d'argent sont une source de revenus non négligeable pour le pays, dépassant largement ceux générés par le tourisme. Si les première et deuxième générations investissaient massivement dans le secteur foncier, on observe peu à peu une diversification des postes d'affectation des transferts financiers vers le secteur tertiaire (agriculture, commerce, tourisme, ...). Les nouvelles générations, quant à elles, investissent préférentiellement leur épargne dans les pays de résidence[5].

Stratégies mises en place par le gouvernement marocain

La Fondation Hassan II est une institution paraétatique à but non lucratif qui a pour but de pérenniser les relations entre les MRE et le Maroc. Institué par décret royal en juillet 1990, elle a pour mission d'accompagner les projets d'investissement des MRE en sensibilisant les pouvoirs gouvernementaux sur les difficultés rencontrées par les investisseurs. Elle comprend 6 unités, à savoir, l'assistance juridique, la promotion économique, le partenariat avec les ONG, la communication et l'administration. Au-delà de ces éléments, la fondation Hassan II a joué un rôle important dans la maîtrise des dynamiques migratoires des MRE. En effet, les politiques de co-développement sont largement influencées par la capacité du gouvernement marocain à fluidifier les échanges transnationaux par les adaptations suivantes;

·Disposer d'informations sectorielles sur les possibilités d'investissement à l'échelle du pays pour susciter l'esprit entrepreneurial

·Faciliter le transfert de la couverture sociale du pays d'accueil au pays d'origine pour les MRE désireux de retourner s'installer dans le pays d'origine

·Faciliter les démarches d'obtention du titre de séjour

·Multiplier les contacts entre les structures associatives mises en place au sein des pays d'accueil et la fondation Hassan II afin de mieux appréhender les attentes de la diaspora marocaine.

Le Ministère chargé des affaires des MRE est une structure équivalente à la fondation Hassan II et qui a néanmoins pour charge de mettre en œuvre les politiques gouvernementales envers les MRE pour des questions relatives notamment à la réinsertion des MRE dans leur pays d'origine, encouragement de la participation associative des MRE dans les pays d'accueil ou encore participation à la négociation des accords bilatéraux et internationaux signés par le Maroc relatifs à la diaspora marocaine.

Les canaux de transfert de fonds les plus plébiscités par les MRE sont les banques marocaines, à hauteur de 62%. C'est qu'un grand nombre de ces banques possèdent des filiales dans les pays d'accueil. A cela s'ajoutent, un ensemble de politiques mises en place par le gouvernement marocain afin d'assurer la durabilité des transferts financiers. On citera notamment  les primes de change ou la possibilité de contrer les risques de dépréciation du dirham par la constitution de comptes en devises. Par ailleurs, la proximité culturelle et linguistique est un autre élément qui explique l'engouement des MRE pour ces établissements alors même que les coûts de transferts sont très souvent colossaux.

La création de la banque Al Amal s'inscrit dans une volonté de canaliser les transferts financiers vers des secteurs plus productifs. Créée en 1989, près de 75 % de son actionnariat est détenu par des MRE. Véritable banque des migrants, elle facilite la levée de fonds pour les projets d'investissements des MRE au Maroc.

Le programme FINCOME marque une nouvelle ère dans les relations transnationales entre les MRE et le Maroc. C'est que la diversification des profils socio-professionnels des nouvelles générations induit le développement de compétences dans des disciplines très larges. Ce projet permet dès lors la mobilisation de ces compétences dans des chantiers publics ou privés ou dans toute initiative de développement.

L’enjeu de la binationalité

L'identité et la transmission du lien national sont des outils cruciaux dans la construction de l'appartenance à une communauté humaine. Il existe à ce niveau deux écoles; le droit du sol et le droit du sang. Le premier est plus spécifiquement rencontré dans les pays européens quant à la filiation par le sang, elle est une pratique courante dans de nombreux pays maghrébins. Au Maroc, l'attribution de la nationalité se fait  par filiation indépendamment du sexe du parent.

Pour les Marocains vivant à l'étranger et ayant acquis la nationalité du pays d'accueil, il est possible de conserver la nationalité marocaine. Ce principe dit de binationalité est un autre moyen de préservation du lien national et est souvent mal perçu par les autorités européennes, justifiant une série d'adaptations comme la possibilité pour l'enfant de renoncer à sa nationalité marocaine à sa maturité.

Ainsi, par l’ensemble de ces mesures, le Maroc assure une constante circulation du capital social et financier dans l'espace transnational de même que le maintien des liens avec ces communautés MRE à travers le monde.

 


[1] H. M. Benkouchi, 2003. Diaspora marocaine: une chance ou un handicap. Casablanca: EDDIF.272p.

[2] Individu qui possède au moins un parent marocain.

[3] Q. Schoonvaere, 2014. Belgique-Maroc: 50 années de migration. UCL: Centre de recherche en démographie et sociétés. 94p.

[4] CFS asbl,2014. Immigration marocaine: 50 ans d'histoire associative à Bruxelles. Les Cahiers du fil rouge n°20. 92p.

[5] N. Perrin & al., 2011. Les pratiques transnationales des migrants en Belgique. Fondation Roi Baudouin.94p.

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés.
Accepter