Ne pas ajouter au malheur du monde

Rédigé le 1 février 2016

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Dès qu’est évoquée en Belgique francophone l’idée de financer les associations émanant des minorités ethnoculturelles – soit de manière spécifique, soit en les aidant activement à entrer dans les rouages complexes des dispositifs déjà existants –, est invoqué le spectre du communautarisme, avec toutes les connotations péjoratives qu’il charrie.

Reconnaître et valoriser la diversité ethnoculturelle par le soutien public reviendrait, selon ceux qui agitent cette menace, à « ghettoïser », enfermer les populations dans des « identités meurtrières » ou favoriser le repli communautaire. Autant de perspectives qui dans le climat délétère actuel prennent une allure particulièrement alarmante.

Et pourtant craindre ces identités ou les ignorer en faisant mine de les noyer dans l’indifférenciation, c’est lire la Belgique avec des lunettes françaises, c’est appliquer la devise du duc de Clermont-Tonnerre (« Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ») à un pays qui a toujours favorisé les corps intermédiaires et les compromis entre identités plutôt que l’universalisme abstrait. Bref, c’est essayer de penser une société pilarisée avec une logique de jacobin.

Obnubilés que nous sommes par le débat français, nous en finissons par méconnaître notre propre histoire, nos spécificités et notre tradition de pragmatisme décentralisé et de Pacte culturel, à mille lieues du jacobinisme de notre voisin. Qui se souvient encore que « L’union fait la force » ne renvoie pas à un hypothétique accord entre Flamands et francophones, mais à un compromis – typiquement « communautariste » – entre libéraux et catholiques ? « Mal nommer les choses, disait Albert Camus, c’est ajouter au malheur du monde. » Que dire alors de ce tropisme belge francophone consistant à penser sa situation spécifique dans les termes d’un système qui n’est pas le sien ?

Si la société pilarisée ne constitue pas l’horizon indépassable des politiques publiques et qu’elle montre – c’est le moins qu’on puisse dire – de nombreux signes d’épuisement, elle n’en constitue pas moins le point de départ de toute réflexion quant à la prise en compte, y compris financière des minorités ethnoculturelles.

C’est aussi à cette déliquescence qu’il faudra s’attaquer pour cesser d’être surpris par le prévisible.


Le dossier de la revue

Le portrait

Hawa Djabali

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