La lutte contre la pauvreté et cohésion sociale : un combat collectif et quotidien

Rédigé le 14 mai 2008 par : Katheline Toumpsin

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Petits boulots, pertes d’emploi, fins de mois difficiles… près d’un million et demi de Belges vivent dans la précarité, avec la situation d’insécurité que cela entraîne. La lutte contre la pauvreté a été un combat de tous les temps, mais aujourd’hui, elle est une réalité qui touche de plus en plus de personnes.
Pour BePax, l’enjeu est simple : lutter contre la pauvreté est un défi pour améliorer le quotidien de ceux et celles qui en sont victimes, mais c’est aussi un défi pour l’évolution de la société : lutter contre la pauvreté, c’est lutter contre l’exclusion sociale et pour le développement d’une cohésion sociale qui se base sur le respect de la personne.

Dans le cadre du développement de notre nouvelle thématique de travail ciblée sur les enjeux de société, cette analyse fait le point sur une situation qui touche une part croissante de la population belge, et qui est intimement liée au respect ou non de la dignité humaine. Elle présente également une stratégie d’action collective pour passer de l’observation à l’action, dans une démarche d’éducation permanente.

Notre objectif ici est d’analyser pour mieux comprendre, et pour mieux pouvoir agir.

Etre et devenir pauvre

La lutte contre la pauvreté est un combat qui l’on pourrait croire interminable, un combat de tous les temps dont on n’a jamais su venir à bout.

En 2008, 15 % de la population belge vit sous le seuil de pauvreté. L’évolution de la situation traduit non seulement une évolution dans le nombre des personnes touchées, mais aussi dans le profil des personnes qui deviennent pauvres : on retrouve comme d’habitude les personnes issues de familles « traditionnellement pauvres », mais aussi les allocataires sociaux (personnes bénéficiant d’allocations de chômage, d’indemnités maladie / invalidité, de pensions…), et les travailleurs à bas revenus. Le fait d’avoir ou d’avoir eu une activité professionnelle ne met personne définitivement à l’abri.

Lorsqu’on analyse le parcours de personnes vivant en situation de pauvreté, on constate  qu’il y a souvent une conjonction des mêmes facteurs : précarité de l’emploi (emplois instables, temporaires, offrant de trop bas revenus), hausse du coût de la vie (notamment du coût des produits de première nécessité, de l’énergie et du logement). Ces difficultés deviennent un véritable calvaire pour les personnes les plus vulnérables : personnes isolées (en particulier les femmes et les jeunes), familles monoparentales. Et quand un imprévu arrive (accident, divorce, maladie…), c’est l’engrenage. La pente est terriblement glissante, et on ne trouve pas toujours le bon appui au bon moment.

Mais les personnes en situation de pauvreté ne sont pas sans ressources : hormis l’appui des travailleurs sociaux, l’action se met en place, la lutte contre la pauvreté s’organise, prise en charge par les personnes pauvres elles-mêmes.

Agir avec les pauvres 

Lutter contre la pauvreté, c’est s’efforcer de travailler pour le respect des droits des personnes et pour la cohésion sociale. Un tel projet politique doit être mené avec et pour les personnes marginalisées. Grâce au fait que les personnes pauvres sur le plan économique ont bien souvent un vaste réseau de relations humaines, un capital social important, ce type de projet collectif bénéficie d’une connaissance concrète des diverses facettes de la pauvreté, ainsi que d’une large base de soutien.

La charité bien pensante ne peut être qu’une étape passagère dans ce processus, un coup de pouce pour (re-)lancer la machine, faute de quoi elle ne fera qu’enliser la situation dans un rapport de dépendance. 

Lutter contre la pauvreté, c’est aussi collectiviser les vécus individuels en vue d’organiser l’action, et permettre à chacun de devenir acteur de changement de la société. C’est un projet de nature politique qui prend du temps, la construction d’une stratégie d’action qui nécessite d’être réfléchie et structurée.

En effet, l’action collective ne se résume pas à la somme des témoignages individuels.

Construire une action collective nécessite de commencer par la construction d‘une parole commune, et de points de repères reconnus valables par tous.

Dans un processus d’éducation permanente qui implique des acteurs de terrain, les personnes précarisées elles-mêmes, le groupe devra élaborer une vision commune de ce qui est juste et de ce qui est injuste, se donnant ainsi les outils nécessaires pour poser les limites distinguant ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, et donc de cibler l’action. Cette vision commune devra trouver le juste milieu entre les intérêts individuels et collectifs, entre la liberté de chacun et l’égalité de tous. Elle est à la base de la construction d’une « intelligence collective ».

Ce processus de collectivisation de la parole nécessite évidemment un climat de respect et d’écoute, accueillant le témoignage des personnes avec l’empathie nécessaire pour se laisser toucher par la situation que vit l’autre, mais tout en gardant le recul critique nécessaire pour analyser la situation racontée, la resituer dans son contexte, et identifier les points sur lesquels il faut agir.

Majo Hansotte, formatrice et philosophe, a animé des ateliers de travail en vue d’organiser une mobilisation collective. Cette démarche offre à BePax une piste d’action possible. Voici les grandes étapes qu’elle propose :

  1. Raconter et comprendre la situation de l’autre : le récit individuel, par lequel la personne raconte ce qu’elle vit et livre ce qu’elle ressent (quelle injustice vit-elle, et comment elle la vit ?).

  2. Potentialiser les récits :

    1. passer de l’individuel au collectif : en quoi ce récit me touche-t-il (sur le plan pratique et sur le plan de l’émotion), en quoi ce récit me donne-t-il envie d’agir ? (le sentiment partagé d’injustice mobilise l’action.)

    2. la création d’images symboliques traduisant cette injustice (créer des images qui traduisent la situation injuste, créer des slogans pour se donner les outils de communiquer le message au-delà du groupe et mobiliser l’attention)

  3. Analyse et mobilisation : remise en contexte des récits, analyse des causes et effets des différentes situations, et proposer des solutions pour changer la situation.

On le voit, la lutte contre la pauvreté est un enjeu politique dans lequel s’impliquent les plus pauvres eux-mêmes.

Pourtant, dans l’opinion publique, les pauvres sont souvent considérés comme coupables de leur situation, voire comme responsables de certains malaises de la société  (violences, insécurité…).

Parallèlement à cela, le monde politique ne se mobilise pas suffisamment.

Dès lors, ce combat urgent et nécessaire n’est pas légitimé.

Contre-culture et mobilisation politique

Notre société actuelle est construite sur la valorisation à outrance du capital économique, de l’individualisme, de la consommation, et de l’image.

En marge de cette tendance dominante se développe une culture de la solidarité, de l’échange, de l’engagement collectif et bénévole, où l’économie est mise au service de l’humain, et non plus un objectif en soi. Cette tendance pourrait être qualifiée de « contre-culture ». Cette contre-culture, les associations et les acteurs de terrain la construisent et la valorisent. Elle est à la fois la force des mouvements sociaux, mais aussi leur faiblesse : en tant que contre-culture, elle doit d’autant plus faire un effort de communication et d’ouverture à l’égard de la culture dominante. En effet, l’image de la pauvreté et des pauvres qui y est véhiculée est l’une des difficultés majeures auxquelles se heurtent les politiques sociales et les acteurs sociaux. Cette image négative, empêche de légitimer leur action aux yeux du grand public, et dès lors d’inciter le politique à mettre en place les mesures nécessaires pour mener une lutte durable et efficace contre la pauvreté, et de donner les moyens d’aboutir à ceux qui la mènent.

Il faut donc travailler à une revalorisation sociale des personnes vivant en situation de pauvreté, casser l’image de « profiteurs » ou de « fainéants » qu’on veut trop souvent leur coller à la peau. Il est dès lors important de montrer la complexité des situations et montrer les difficultés qu’elles vivent ainsi que l’origine de ces difficultés, mais aussi montrer et valoriser leurs combats, et la force de leur mobilisation collective.

Dénoncer donc, et valoriser l’énergie de l’action positive. Mais créer de la sympathie aussi, pour que l’opinion publique puisse s’approprier ces vécus (témoignages) qu’elle ne vit pas, ou qu’elle ne connaît pas.

Voici quelques temps, médias et associations se mobilisaient pour changer l’image de la personne handicapée. Des grandes campagnes de mobilisation, comme par exemple « Cap 48 » ont su mobiliser l’opinion publique et encourager des changements politiques. La valorisation des personnes en situation de handicap, tout comme le développement d’un sentiment de sympathie à leur égard a changé les comportements et débloqué des budgets.

C’est un combat similaire qu’il faut mener pour aider les acteurs sociaux et les personnes vivant en situation de pauvreté à donner à leur combat l’écho qu’il mérite. Mais le combat est différent, et peut-être encore plus difficile, car la situation de ces personnes est marquée par la culpabilité dont on les accuse (alors que les personnes handicapées sont spontanément reconnues comme victimes, nous ne contredisons certainement pas cela). Les discours politiques actuels accablent les personnes en situation économique difficile de ne pas être suffisamment flexibles, pas suffisamment qualifiées…. Dans les médias, on parle également souvent de la pauvreté en termes négatifs, et de manière incomplète, voire simpliste : le sujet intervient à l’occasion d’un faits-divers, rarement pour prendre le temps d’une analyse approfondie, ou encore pour donner la parole aux plus pauvres eux-mêmes.

Se profile donc la nécessité d’un changement culturel, impliquant une modification dans les domaines politique, économique, et social : replacer au centre du jeu le politique dans sa dimension de gestion de la société ; mettre l’économie au service de l’humain et non l’inverse, et collectiviser non seulement les coûts du développement économique, mais aussi ses bénéfices.

Et enfin, faire de la solidarité, du respect et de l’ouverture une valeur fondamentale de notre société. Ingrédients indispensables de la cohésion sociale, ils permettent également de construire une société plus riche sur le plan humain, moins violente et moins insécurisante pour ceux qui subissent l’injustice due à la précarité dans laquelle ils vivent, et plus conviviale pour tous.


Sources : Colloque « Pauvreté, regards croisés » organisé par le CEDORES à Charleroi 22.01.2008

Illustration : Roman Bonnefoy

 

 

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