Pouvoirs publics et associations issues des minorités : la double méconnaissance

Rédigé le 2 mars 2016 par : Nicolas Bossut

Taille de police réduire police agrandir police

Si les pouvoirs publics se méfient de la société civile issue de la diversité et se montrent réticents à l’idée de la financer, cette même société civile entretient de son côté un rapport ambigu avec ceux-ci, suppliant d’une part qu’on lui apporte un soutien pour structurer ses activité mais craignant de l’autre de perdre son autonomie. Résulte de cette méfiance réciproque une difficulté pour cette diversité à prendre la place qui devrait être la sienne dans notre société démocratique.

Les démocraties ont ceci de particulier qu’elles ont toujours installé autour de ceux qui exercent le pouvoir, des structures visant à limiter celui-ci et à l’empêcher de tomber dans la technocratie ou la démagogie. Ces contre-pouvoirs sont l’une des principales particularités et forces des démocraties dans le sens où ce sont eux qui assurent la stabilité du système.

On peut distinguer des contre-pouvoirs internes tels que les parlements et des contre-pouvoirs externes tels que la presse, les syndicats ou les associations. Le rôle d’un contre-pouvoir externe est d’être le garde-fou du pouvoir, qui empêche la démocratie de ronronner et la force à se surpasser constamment.

La nécessaire représentativité des contre-pouvoirs

Dans une société multiculturelle comme celle dans laquelle nous vivons, les contre-pouvoirs se doivent d’être représentatifs de toute la diversité de la population. On ne peut dès lors que se réjouir de la vitalité associative des minorités en Belgique. Et pourtant, il est difficile de ne pas sentir l’amertume au sein de ces associations localisées en Belgique francophone. Beaucoup ont l’impression de ne recevoir aucun soutien, aucune reconnaissance de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

En effet, si pour jouer leur rôle de contre-pouvoir avec efficacité, les associations doivent être indépendantes du pouvoir, rien ne s’oppose à l’idée que le pouvoir puisse favoriser les contre-pouvoirs pour autant que leur autonomie soit garantie. C’est le cas en Belgique où l’Etat subventionne le secteur associatif. Ce subventionnement permet de renforcer la solidité du secteur mais aussi de toute la démocratie.

Force est de constater que le nombre d’associations issues de la diversité qui bénéficient d’un financement public est faible en Belgique francophone. Cette situation de fait instaure un déséquilibre entre associations et donc, dans la démocratie. Les minorités sont moins visibles qu’elles ne devraient l’être, un comble alors même qu’on exige de plus en plus d’elles, en particulier de la communauté musulmane, qu’elles s’expriment !

Le « communautarisme », une crainte bien francophone

En Flandre, la situation est bien différente. Dès 1998, elle adopte un décret qui encadre le soutien aux minorités ethnoculturelles. Le Minderhedenforum et Kruispunt Migratie-Integratie se chargent d’assurer la communication entre les groupes minoritaires et les autorités et offrent un soutien institutionnel aux différents centres et services d’intégration flamands.

C’est probablement la crainte qu’éprouvent les francophones du communautarisme qui explique cette différence majeure entre la Flandre et la Fédération Wallonie-Bruxelles. Quand on évoque du coté francophone le financement des minorités ethnoculturelles, c’est elle en effet qui surgit immanquablement. Favoriser la structuration des minorités amènerait immanquablement au repli sur soi de celles-ci et constituerait donc une menace pour l’unité nationale et le socle de valeurs commun.

Cette crainte, si présente du côté francophone, n’existe pas en Flandre. La raison en est simple ; le mot permettant de la désigner n’existe pas en néerlandais ou, du moins, il n’est pas associé aux mêmes connotations négatives[1].

Si, dans le contexte flamand, le « communautarisme » désigne, tel en anglais, le primat de la communauté sur l’individu, aucune connotation négative, aucune visée dénonciatrice ne lui sont attachées. Il s’ensuit donc que les commentateurs politiques flamands sont bien en peine d’expliquer à leurs lecteurs les débats francophones autour d’un prétendu communautarisme manifesté par l’un ou l’autre.

Le « communautarisme » serait donc un objet politique relevant de la sphère francophone permettant de disqualifier toute tentative des minorités ethnoculturelles de se structurer afin de défendre leurs droits légitimes. Ce « communautarisme » qu’on est si prompt à reprocher aux autres ne s’applique en effet jamais aux dominants. Seuls les dominés, les minorités, sont communautaristes.

Méconnaissance des minorités

Toutes les minorités ne sont pas frappées par la même crainte du communautarisme. Les communautés italienne ou juive disposent ainsi d’un tissu associatif directement financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles sans que celui-ci n’éveille de quelconque crainte.

Cette différence de traitement entre d’une part les Italiens et les Juifs et d’autre part les Turcs, les Maghrébins et les Subsahariens peut s’expliquer par plusieurs facteurs. L’un d’entre eux semble pourtant déterminant, c’est la meilleure connaissance qu’ont les pouvoirs publics de ces communautés. Les Italiens et les Juifs, de par la proximité culturelle entre la Belgique et leur pays d’origine pour les premiers et de par leur présence millénaire pour les seconds, ont très facilement pu utiliser les mêmes codes, les mêmes références politiques ou idéologiques des pouvoirs publics. De ce fait, ils ont acquis leur confiance.

Il n’en va pas de même pour les Turcs, les Maghrébins ou les Subsahariens. L’histoire et les références de ces peuples sont peu connues en Belgique. Qui sont donc ces associations qui se présentent à nous ? Ne sont-elles pas des extrémistes ? Peut-on leur faire confiance ?

La responsabilité des minorités elles-mêmes

Si les pouvoirs publics ont une responsabilité importante dans le non-financement des associations issues de minorités ethnoculturelles, il serait trop facile de mettre tous les torts sur leurs épaules. Les minorités elles-mêmes portent une part de responsabilité.

Beaucoup de ces associations éprouvent des difficultés de gestion, manquent de cadres compétents qui soient en mesure de piloter avec efficacité leurs associations. Beaucoup méconnaissent également les procédures établies par les pouvoirs publics. Ces difficultés ne facilitent certainement pas leur reconnaissance.

Par ailleurs, nombre d’entre elles entretiennent un rapport ambigu avec l’idée même d’être reconnue et donc, subventionnée. Elles craignent de perdre de leur autonomie, qu’on leur impose une façon de penser, une façon de travailler et d’y perdre leur âme. Le problème de la confiance est donc réciproque.

Quelles solutions pour l’avenir ?

Construire un rapport de confiance réciproque entre pouvoirs publics et société civile issue de la diversité est un enjeu de démocratie essentiel. En effet, notre démocratie ne pourra fonctionner de manière efficace que le jour où tous les citoyens pourront porter leur voix avec la même force. Ce n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui, un effort sérieux doit être entrepris pour corriger le tir.

Les différents acteurs doivent chacun prendre leurs responsabilités. C’est à la Fédération Wallonie-Bruxelles de réfléchir aux options qu’elle veut prendre. Soit suivre le modèle de la Flandre en créant une ligne budgétaire spécifiquement dédicacée aux associations issues des minorités culturelles, soit se donner comme objectif de diversifier les secteurs subventionnés déjà existants tels que celui de la jeunesse ou de l’éducation permanente.

La Commission consultative des organisations de jeunesse et le Conseil supérieur de l’éducation permanente devraient également s’emparer de la question. En tant qu’organisations de pairs impliquées dans les processus d’évaluation des dossiers de financement, ces deux structures pourraient être tentées de protéger le statu quo actuel qui avantage leurs composantes. Cependant, si ces mêmes membres veulent réellement jouer le rôle de contre-pouvoirs qu’ils prétendent jouer, ils doivent accepter de faire de la place pour de nouveaux arrivants et même, prendre un rôle proactif à l’égard de ces derniers pour les inciter à franchir le pas et les aider grâce à des formations et des conseils adaptés à obtenir les financements auxquels ils devraient avoir droit.  

 

Ce texte s’inscrit dans le cadre d’une démarche collective qui a associé plusieurs organismes actifs dans le secteur de l’Éducation permanente : Cefoc, Centre Avec, CESEP, Couples et Familles, Justice et Paix, Media Animation, BePax, SAW-B, Ufapec. Au départ de l’ancrage et des champs d’action qui sont les siens, chaque association a produit, en collaboration avec d’autres, une analyse qui décline un thème commun : l’autonomie associative. 

 


[1] ORBAN Anne-Claire, Pourquoi la Flandre ne connaît pas le communautarisme ?, in www.bepax.org, 16 décembre 2014  

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés.
Accepter