Psychologie de l’internaute et manipulations sur la toile

Rédigé le 26 mai 2015 par : Laurie Degryse

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L’individu moyen a perdu son sens critique et se retrouve dans une position de consommateur de biens, de services et de médias. A l’ère de l’Internet, la manipulation psychologique pour induire des comportements se fait aussi bien par les politiciens dans un but de vote, par le commercial dans un objectif de consommation que par les dictatures pour récolter des fonds ou des partisans supplémentaires. Comment en sommes-nous arrivés là?

Internet: lieu de manipulation et d’expérimentation du «Soi »

Je ne vous l’apprends pas, la grande nouveauté qu’a permis l'essor d’Internet est de permettre les échanges en dehors du réel et de tout contexte. Dans ce hors-cadre inhabituel, l’individu peut désormais se permettre une manipulation identitaire jusque-là jamais réalisée. Il va pouvoir construire une identité fantasmée, différente de son identité sociale[1]. Dans la vie quotidienne, le «moi» se construit par la socialisation qui cadre l’individu et le limite selon les attentes de son milieu. Dans la vie rêvée, ce cadre explose et personne ne va censurer l’essai du nouveau «soi». De là découlent deux issues: l’enfermement dans le virtuel à cause du réel social qui ne répond pas aux attentes de l’individu, ou au contraire, le questionnement du réel à cause du virtuel vécu.

Dans le premier cas, un sentiment de déception fait son apparition, en lien avec notre société qui encourage l’autonomie individuelle par la capacité de distance critique, et une impulsion à devenir «soi-même» de par sa propre volonté.

«On n’espère plus collectivement dans le futur : il faut réussir personnellement dans le présent» nous dit Francis Jauréguiberry[2].

L’individu se trouve alors face à l’espace entre l’idéal de lui-même et ce qu’il constate être réellement. Cette tension peut conduire à la dépression, une «pathologie de l’estime de soi». Ce sentiment de déception est un des produits de l’hypermodernité[3], et la conscience de soi amène parfois à l’insatisfaction de n’être que soi-même, qui devient producteur de vide ou d’angoisse. Ces «sois virtuels» désorientés risquent d’attendre des gratifications comme tranquillisants. Autrui n’est recherché que pour conforter l’identité virtuelle. Dès lors, les forums et chats sont l’espace béni pour expérimenter ce désir de fusion et le besoin d’appartenance: Internet devient un exutoire à une vie fade. Par ailleurs, ces lieux sont moins axés sur le débat et l’ouverture d’esprit que la reconnaissance et valorisation de soi. La fusion avec la communauté donne l’impression d’une présence qui permet de rompre la solitude. L’internaute y trouve des égaux pour partager les mêmes passions, et naît parfois le sentiment d’être utile ou indispensable à cette communauté.

Les médias de masse et nouvelles technologies : outils de manipulation, conformisme et image de soi

L’individu est capable du meilleur, comme du pire, et sous l’influence du collectif ou d’une autorité qu’elle estime légitime, il peut perdre son libre-arbitre ainsi que sa capacité de réflexion, risquant parfois de commettre le pire. Yves Thiran nous dit que «Le politique, c’est l’art de conquérir le pouvoir et de le conserver»[4]. Le premier principe pour une «bonne» manipulation est dans la constitution d’un savoir exclusif. Mais la nécessité actuelle d’informer pour garder sa place provoque indéniablement le cynisme et l’hypocrisie dans la manière d diffuser l’information. De plus, l’insistance sur l’image au détriment du contenu «est le premier conseil du gourou en dissimulation».

Selon la théorie de la «mimesis», les médias seraient le modèle dont les individus s’inspireraient et qu’ils imiteraient dans leur réalité quotidienne. Offrant une organisation sociale basée sur la loi du plus fort, la violence dans les relations serait devenue normale et automatique, niant par là la capacité de prise de distance dudit individu influençable et manipulé inconsciemment. Tandis que la théorie de la «catharsis» prône la violence dans les médias comme exutoire de la violence interne à chacun d’entre nous. Nous serions apaisés de ces pulsions suite à la vision d’horreurs sur les écrans. Mais c’est en oubliant que l’émotionnel est le langage le plus primaire, le plus irrationnel et le plus dangereux s’il est manipulé. Et si cette soif d’émotionnel était le reflet du manque de lien social dans notre société occidentale? Paradoxalement, les images axées sur les émotions accroissent le sentiment d’impuissance du spectateur, ainsi que le fatalisme, le défaitisme et la peur. Cercle vicieux qui enferme le consommateur de médias dans la négativité...

C’est pourquoi internet, outil dont l’objectif principal était l’ouverture et l’expression de la parole du citoyen, se retrouve vecteur de propagande raciste. Dès lors, l’utilisation de la répétition sur les réseaux sociaux, forums et autres canaux d’informations médiatiques permet de garder une emprise sur l’individu. Le spectacle hypnotise l’individu et le transporte dans une réalité altérée de la vie. Les politico-people prônant un conformisme généralisé et un renoncement au libre-arbitre, l’instinctif et l’émotionnel l’emportant alors sur la liberté de penser, d’être et de créer.

L’exemple du Fan Art et des Selfies

Mais l’exemple du Fan Art montre positivement le retour à «l’agir» sur ce flux d’images imposées. Ce sont des adolescents collectionneurs de photos de leur célébrité préférée, où la toile a remplacé le classeur, et qui, finalement, se rendent maîtres de l’image. Ils la modifient à loisir et la publient sur des sites spécialisés, imprimant par-là une esthétique personnalisée. Malheureusement certains producteurs ont trouvé le filon pour commercialiser ces albums photos numérisés alimentés par l’internaute...

Les Selfies, quant à eux, sont des autoportraits numériques partagés sur les réseaux sociaux. Sa caractéristique est qu’on y voit l’indice de l’autoproduction, et que cette gestuelle implique une déformation des perspectives. Faisant partie de la conquête progressive du droit à l’image par les masses anonymes, certains y voient le culte de l’individu, le «nouvel eldorado de l’ «ego trip» »[5]. D’autres, plus rares, estiment qu’il s’agit d’une réappropriation émancipatrice de ses moyens: chacun a désormais le droit de se construire lui-même sa propre image. Cela démontre tout de même un malaise profond: permettant à un individu anonyme de devenir le héros d’un jour, les masses gardent néanmoins la vision d’une hiérarchie sociale immuable.

L’éducation à l’esprit critique

Internet est un formidable espace de créativité et de parole citoyenne, mais également un lieu d’expérimentation et de reconnaissance de soi. Ce deuxième point peut entraîner les personnes plus vulnérables dans le tissu social du réel à chercher une valorisation dans le virtuel, sans regard critique sur Autrui qui lui parle. Cela peut mener à une manipulation, et dans les cas extrême, à l’endoctrinement. Il est donc important d’éduquer les jeunes au regard critique et à l’analyse de la source du «qui parle», pour une juste prise de distance face à ce qui est montré dans les médias. L’éducation permanente des adultes est également essentielle, pour qu’ils puissent accompagner leurs jeunes, et principalement les adolescents en décrochage du réel qui se réfugient dans le virtuel...


Biblio

Bolka-Tabary Laure, «La télévision au prisme de l’Internet : Transferts et réappropriations d’images par les internautes», Colloque International EUTIC 2007, «Enjeux et usages des TIC», Médias et diffusion de l’information : vers une société ouverte, novembre 2007, Athènes, Grèce, pp. 108-116.

Hagelstein Maud, «Mise en scène de soi dans les médias sociaux - autour des selfies», Culture, Université de Liège, septembre 2014

Jauréguiberry Francis, «Internet comme espace inédit de construction de soi», Internet, nouvel espace citoyen?, l’Harmattan, 2003, pp. 223-244

Jauréguiberry Francis, «Hypermodernité et manipulation de soi» dans l’ouvrage «L’individu hypermoderne», édition Nicole Auber, Toulouse, Erès, 2004, pp 155-168

Martinez Luis, «Structure, environnement et basculement dans le djihadisme», Cultures et conflits n° 69, 2008

Mary Laville Mireille et Leneveu Jacky, «Les risques du mirage de la nouvelle utopie politico-people : manipulation des foules, prêcheurs du fétichisme de la marchandisation», C@hiers de Psychologie politique, 2014

Thiran Yves, «Sexe, mensonges et Internet. Réseau et transparence», éditions Labor, 2000

Tondeur Kim, «De la Belgique au djihad: cette idée horrible d’un Occident «barbare»», BePax, 2014

Toumpsin Katheline, «De l’éducation aux médias à l’éducation à la paix», BePax 2007

 


[1] On se distingue ici des jeux de rôles où chacun sait que le lieu est irréel et propice à l’invention de personnages.

[2] Il est professeur de sociologie à l’Université de Pau et chercheur au CNRS.

[3] L’hypermodernité s’entend pour l’auteur comme la modernité exacerbée.

[4] Yves Thiran, p. 39

[5] Maud Hagelstein, p. 5

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