Regard chrétien sur la réconciliation. Un rappel historique de la naissance de BePax

Rédigé le 6 février 2015 par : Françoise Mélard

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BePax fut fondé au lendemain de la Seconde guerre mondiale par Mgr Pierre-Marie Théas, évêque de Montauban, et par une enseignante du Midi de la France, Marthe Dortel-Claudot.

  


BePax fut fondé au lendemain de la Seconde guerre mondiale par Mgr Pierre-Marie Théas, évêque de Montauban, et par une enseignante du Midi de la France, Marthe Dortel-Claudot. Mgr. Théas fut l'un des rares évêques à protester publiquement contre la déportation des juifs. Arrêté en juin 1944, il prêcha auprès de ses codétenus « l'amour de ses ennemis ». C'est avec son support que Marthe Dortel-Claudot fonda un petit groupe de chrétiens catholiques pour prier pour la reconstruction de l'Allemagne et pour la paix.


 « Réconciliation » et foi chrétienne

Durant ce 20ème siècle dans le monde, d’une manière ou d’une autre, nous avons connu des guerres mondiales ou des guerres civiles, des génocides, etc. Finalement, peu importe l’époque, il s’agit d’une source commune : une brouille (plus ou moins tenace) ou une désunion, due à divers facteurs : économiques, énergétiques, ethniques, etc.

Que signifie réconcilier ?  Mot dérivé du latin au 13ème siècle, il est seulement utilisé vers 1350 dans la noblesse. Réconcilier est opposé à un divorce ou une rupture, c’est une action en vue de rétablir l’amitié entre des personnes désaccordées[1].

Ce mot n’est pas identique à concilier, traduit par assembler. Réconcilier n’est pas rabibocher ou «recoller les morceaux». Le terme réconcilier a un préfixe de répétition, il équivaut à une remise en état et implique un pardon obligatoire. Jusqu’où pardonner ?  Jusqu’au scandale de la Croix, du martyre actuel ? 

La réconciliation est un des passages obligé pour que cessent les guerres comme les guéguerres entre voisins. Il s’agit d’un mouvement réciproque, il faut être deux, chaque partie doit accepter et assumer la réconciliation. Pour arriver à une réconciliation non seulement avec son voisin mais aussi avec Dieu, il faut d’abord être réconcilié avec soi-même. Pour les parties en conflit, la réconciliation exige une conversion personnelle, qui conduit à une paix de sa conscience puis à une rentrée en communication[2].

Depuis peu, inspirés par les Lettres de St Paul, les auteurs parlent également d’une réconciliation avec l’Eglise. De plus, celle-ci offre un sacrement de la réconciliation. Il s’agit de rentrer en grâce. Nous n’abordons pas ici la théologie sacramentaire.

Dès l’Ancien Testament, l’homme rétablit des rapports fraternels avec le voisin, avec un autre pays. Par exemple, Jacob, de retour d’Egypte, court à la rencontre d’Esaü son frère et le prit dans ses bras, se jeta à son cou et l’embrassa en pleurant (Gn 33, 4). Ce récit fait immédiatement penser, dans le Nouveau Testament, au retour à la maison paternelle du fils prodigue (Lc 15, 11-32). Par ses Epîtres, St Paul est le chantre de la réconciliation.

Déjà au 6ème siècle, St Benoît demande aux moines de ne pas se coucher avec une amertume sur le cœur; la tradition ecclésiale parle de faire satisfaction, d’une coulpe, une demande de pardon à un membre ou à toute la communauté (RB 23-27).

Aujourd’hui, loin dans sa réflexion, Régine du Charlat se demande si le crime contre l’humanité est un péché contre l’Esprit dont parle Jésus dans son Evangile ?  Autant de questions en vif débat; la réponse n’est pas aisée. Une éventuelle opinion sur le sujet demande du recul : aller dans nos profondeurs, au plus bas de notre cœur[3].

Le concile Vatican II parle de réconciliation dès la première constitution sur l’Eglise, Lumen gentium. Elle se retrouve dans les décrets relatifs aux relations des catholiques avec le monde, dans son aspect missionnaire Ad gentes et dans des relations de tous les hommes entre eux, Gaudium et spes.

La réconciliation concerne le monde, toute l’humanité sans exception. Voyons comment BePax y trouve sa place.

Aux origines de BePax

BePax s’origine dans cette perspective, le mouvement voulait s’inscrire dans la tradition vivante de l’Eglise. Il provient d’une idée née durant la 2ème guerre mondiale, dans une ferme (camp) de prisonniers, le Stalag XIIIc à Wurzburg (Allemagne). Autour de soldats de diverses nationalités, dont des Français et des Belges (Papa y était), les Coriaces, enfin le peuple allemand côtoyé qui vit des conditions toujours plus dramatiques (faim, bombardements), l’aumônier, qui a 30 ans, Bernard Lalande (Paris), prend conscience d’une internationale de la fraternité et d’une catholicité horizontale, le peuple de Dieu en devenir. Mû par un désir immense d’étendre la fraternité ainsi vécue, l’abbé Lalande éprouve sa créativité : un mouvement pour la paix et la réconciliation entre protagonistes du conflit prenait forme. En 1950, le cardinal Maurice Feltin (Paris) donne son «feu vert»[4]. Le Père Lalande met en place une spiritualité chrétienne de la paix. Il devance Vatican II, fait germer la semence de l’encyclique Pacem in Terris (1963) de Jean XXIII; il est expert à la 4ème session du concile pour l’élaboration du décret Gaudium et spes[5] (1965). Il y retrouve une catholicité horizontale par la présence d’évêques et cardinaux du monde entier.

Bernard Lalande veut enraciner le mouvement dans la Tradition vivante de l’Eglise, un évêque est à la tête de chaque équipe nationale, il est le garant de l’unité ou de la communion des catholiques (canon 586 du Code de 1983). Les flux migratoires actuels, l’arrivée de nouvelles croyances sur notre territoire, la présence renouvelée de l’interculturalité comme de l’interreligieux, la promotion de la formation d’acteurs de terrain, tous ces éléments modifient la donne.

Pour Bernard Lalande, il n’y a pas de paix sans réconciliation, la paix est l’affaire de tous. Comment bâtir la paix s’il y a une guéguerre avec son voisin de palier ou sur un héritage familial ?  Pour arriver à une coexistence pacifiée, Bernard Lalande insiste sur la force historique de la prière. La paix est un don de Dieu. Les Béatitudes ne sont pas loin (Mt 5, 3-12 ; Le 6, 20b-26). La paix ne se vit que par la paix du cœur, celle d’un homme déjà réconcilié avec lui-même. Pour lui comme pour Jean XXIII, tous les hommes de bonne volonté collaborent à la paix par un dialogue confiant basé sur un respect mutuel. La paix est une mission de l’Eglise et une compétence de la cité sans distinction de personnes.

Lors d’un exposé au Congrès international de BePax, tenu à Bergame, en 1966, Bernard Lalande précisa que l’art de la réconciliation s’apprend, il fait partie de l’apostolat de tout chrétien. Ecoutons-le.

Le réconciliateur, pour être écouté, suivi, doit d’abord être ou avoir été «l’homme de la différence». A la fois ou tour à tour, ceci et cela : deux patries, deux cultures, deux sensibilités, deux «appartenances», chacune lui appartenant et, en même temps, le faisant appartenir à d’autres, à d’autres communautés, ou réalités collectives, nationales - allemand et français - ou religieuses - catholique et protestant - par le sang, le baptême, l’amitié, internationale ou œcuménique.

Le réconciliateur est celui qui a su non seulement, mais vitalement intégrer, concilier, ses propres différences et divergences, et aboutir ainsi à une situation nouvelle, à un résultat inédit, à une création originale… l’homme de la différence est devenu l’homme de la ressemblance.

Tâche humaine, la paix par la réconciliation ne peut ignorer certains documents du concile : par exemple, Ad gentes (sur la mission et les relations de l’Eglise avec le monde) déjà cité, mais aussi Nostra aetate (sur les relations avec les religions non chrétiennes), qui ne peuvent malheureusement être traités dans ces courtes colonnes. Un nouveau regard sur la paix est dès lors permis.


[1] Petit Robert, p. 1886.

[2] Adnès Pierre Réconciliation, in Rayez A., Derville A., Solignac A., Dictionnaire de spiritualité, fasc. LXXXVI-LXXXVIII, Beauchesne, 1987, col. 236-246.

[3] du Charlat Régine, La réconciliation, pierre de touche du christianisme, DDB, Petite encyclopédie moderne du christianisme, 1997, p. 99.

[4] Rougé Michel, Guérend Jean-Pierre, Gagner la guerre ou réussir la paix ? Une spiritualité chrétienne de la paix d’après la pensée du Père Bernard Lalande, Parole et Silence, 2004, p. 19-21; 43; 77-81.

[5] Wenger Antoine (a.a.), Vatican II. Chronique de la quatrième session, Ed. Centurion, 1966, p. 122.

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