Thémis et les délinquants de l’Internet

Rédigé le 8 juin 2015 par : Guillaume Sneessens

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Avec Internet, la vieille dame (désormais très désargentée) aux yeux bandés n’a jamais été aussi bien représentée qu’avec ce bandeau. Non pour allégoriser son impartialité, qui n’a pas besoin de cet artifice, mais pour démontrer dans le cas qui nous occupe à quel point elle doit jouer sa partition à l’aveugle.

L’existence de l’outil internet n’a pas créé de nouveaux types de faits nuisibles à la société, juste une nouvelle manière de les mettre en œuvre. Pour rester dans le sujet de ce « signe des temps », les discours de haine tenus sur internet restent des discours de haine visés par les mêmes dispositions pénales que ceux qui sont tenus oralement, par voie postale, dans un pamphlet, dans des journaux, sur des tracts, etc. Ces infractions peuvent être en fonction des circonstances propres du cas d’espèce : de la calomnie, de la diffamation, un délit de presse, du harcèlement, des injures, une incitation à la haine et/ou à la violence contre une personne du fait de sa prétendue race, de sa nationalité, de sa couleur de peau, etc.

Par contre, internet offre un nouveau terrain de jeu, gigantesque, vaste comme une plaine sans frontière mais également aux recoins infinis, pour les délinquants du verbe. Le peu de moyens de notre Justice, la grandeur de la tâche et la grande faculté pour les auteurs de proférer leur haine à visage caché, rendent la tâche quasi impossible.

Et quand bien même il y aurait une volonté de contrôler internet, cette volonté se heurterait instantanément à la question de la sauvegarde des libertés fondamentales. Comment contrôler sans attenter à notre vie privée ? Où placer les limites ? Telle est la question qui se pose au moment où j’écris ces lignes dans les débats en cours à l’Assemblée française, qui examine le projet de loi dite du renseignement.

Internet est un outil à la fois porteur du meilleur et du pire, de choses qui nous sont très intimes comme de contenus abjects, et rien ne permet a priori, c’est-à-dire sans prendre connaissance du contenu, de différencier le bon grain de l’ivraie.

Tous ces éléments ont pu conduire à une forme d’impunité, qui a malheureusement libéré plus facilement la parole haineuse.

Il existe des cas sans ambiguïté : la personne qui, sur un site ouvert au public, à visage découvert, tiendra un discours haineux répréhensible, pourra être facilement poursuivie.

A côté de ces rares cas, il y a la masse d’écrits haineux dont l’auteur est difficile à identifier, ou tenus sur des espaces de parole non ouverts à un large public.

Les problématiques liées à l’anonymat des auteurs de discours de haine

Dans le début des années 2000, l’existence de forums s’est développée de façon considérable. Les principaux journaux de la presse écrite s’en sont dotés, ouvrant la voie à des discours plus haineux et plus extrêmes que le discours de la rue, et bien souvent anonymes. Les espaces de parole sous les articles ouverts aux commentaires sont devenus de véritables défouloirs pour gens se vantant de « dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas », puisque telle est l’excuse dont se drapent les hérauts masqués et isolés pour justifier n’importe quoi.

Que peut-on faire contre un discours haineux répréhensible et anonyme tenus sur ce type de forum ?

Notons tout d’abord qu’il n’est en rien interdit de se cacher derrière l’anonymat, ce qui ne facilite certainement pas les choses. L’utilisation de pseudonymes est une pratique permise, dès lors qu’il apparaît clairement que c’est un pseudonyme. Par contre, le port de faux nom est – comme dans la vie courante – interdit. Qu’il s’agisse d’un nom inventé (de manière telle que cela semble être une identité véritable) ou de celui d’un tiers.

L’article 46bis du Code d’instruction criminelle permet au procureur du Roi ou au juge d’instruction de solliciter l’aide d’un opérateur de réseau de communication électronique ou d’un fournisseur pour identifier l’auteur d’une infraction.  Ceci permettra d’obtenir l’adresse IP de l’ordinateur à partir duquel le message répréhensible est posté, et dès lors dans certains cas, de remonter jusqu’à l’auteur.

C’est bien une faculté qui est laissée aux autorités judiciaires et non un devoir.  Vu l’ampleur du travail du Parquet, ceci n’arrivera que dans le cas d’infractions conséquentes. Le véritable obstacle à la lutte contre les discours haineux de tous les jours étant leur abondance.

Les problématiques liées aux hébergeurs de contenu haineux

L’éditeur d’un journal papier est responsable de son contenu. L’ayant intégré dans son document, il ne peut qu’en connaître la teneur, et il n’y a rien d’étonnant à considérer qu’il en soit responsable.  Qu’en est-il de l’hébergeur d’un site sur lequel sont tenus des discours haineux répréhensibles ? 

Il existe en Europe un régime d’exonération, dont on verra rapidement et sans entrer dans les détails – il n’est pas question ici d’analyse juridique poussée – qu’il comporte des exceptions, et ce sont elles qui nous intéressent.

La simple activité de transport est exonérée de toute responsabilité, à condition que le prestataire de ce transport ne soit pas à l’origine de la transmission, qu’il ne sélectionne ni ne modifie les destinataires et les informations transmises. L’activité de transport, mais faut-il le rappeler, est celle de la fourniture d’accès au réseau et de la transmission des données sur le réseau.

De la même façon, le stockage temporaire effectué dans le seul but de favoriser la transmission ultérieure de l’information (system catching servant à décongestionner le réseau) est également exonéré sous diverses conditions précises.

Enfin, l’hébergeur est également exonéré, et ce sont les exceptions à cette exonération qui nous intéressent le plus dans le cadre de la problématique des discours de haine sur internet. Cette exonération n’est qu’une exonération  a priori. On part du postulat que l’hébergeur ne sait pas ce qui est placé sur l’espace d’hébergement, mais dès qu’il en a connaissance il pourra en aller autrement.

Une responsabilité pénale (qui peut donner lieu à condamnation à une peine) pourra être recherchée s’il est démontré que l’hébergeur a eu une connaissance effective de l’activité illicite, à moins qu’il n’ait agi rapidement pour rendre tout accès au contenu visé impossible. Une responsabilité civile (qui peut donner lieu à dédommagement de la victime au civil, sans faute pénale) pourra être recherchée s’il est démontré que l’hébergeur a eu connaissance de faits ou circonstances laissant apparaître le caractère illicite de l’activité ou de l’information, à moins également qu’il n’ait rapidement empêché l’accès au contenu problématique.

Ceci n’est pas sans poser quelques problèmes, ne serait-ce que parce qu’il est parfois difficile pour un hébergeur de savoir si les contenus sont illicites, sans même parler encore de la disparité des illicéités en fonction des Etats. Une tendance au retrait du contenu en cas de simple doute pourrait être favorisée par les règles ci-dessus.

Par ailleurs, en contrepartie de ce régime d’exonération, les intermédiaires d’internet sont tenus de collaborer activement avec les autorités compétentes. Ils sont tenus d’informer d’initiative les autorités judiciaires ou administratives compétentes des activités illicites.

Les particularités des discours de haine sur des réseaux sociaux

Le réseau social ici visé est le site / la page internet dont le contenu n’est accessible qu’à ceux qui font partie du réseau de l’utilisateur d’internet. Si cet utilisateur, ou plusieurs de ceux qui sont dans le même réseau, tiennent dans ce lieu non accessible à tous, des propos haineux répréhensibles par la loi belge, il sera plus malaisé de les poursuivre que s’ils tenaient les mêmes propos sur un site public.

C’est une difficulté supplémentaire qui, là aussi, concourt à la libération de la parole haineuse, laquelle n’est pas sans conséquences.

Je l’écrivais d’entrée de jeu, il n’y a pas de nouvelles infractions créées par l’existence d’internet, juste une nouvelle manière de pouvoir les exprimer. Nous devons réfléchir à de nouvelles manières de pouvoir les encadrer.

La question pourrait donc se poser en Belgique de nous munir d’une législation adaptée, permettant la cyberinfiltration, comme c’est déjà le cas en France.  Il conviendrait d’entourer bien entendu cette possibilité d’un cadre très strict, respectueux de nos droits fondamentaux et des libertés individuelles. 

Nous ne pouvons abandonner le vaste espace qu’est le net aux discours haineux. Hélas, ce ne sont pas avec les nouvelles coupes sombres qui sont prévues dans les financements de la Justice que les choses vont s’améliorer. Et pourtant, quelle meilleure machine de paix sociale qu’une justice équitable qui fonctionne bien et dont les rouages sont correctement huilés ?

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