Théories complotistes, comment y répondre ? Le cas de jeunes séduits par le discours de Daesh

Rédigé le 12 janvier 2016 par : Le groupe de travail « radicalisation des jeunes »

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L’Etat islamique auto-proclamé, soit Daesh, possède une extraordinaire capacité de séduction, surtout chez les jeunes. Face à une Europe en crise, ce discours s’appuyant sur l’argumentaire complotiste fascine. Comment faire comprendre aux personnes influencées par de telles idées qu’elles font fausse route ?

Les enseignants, éducateurs, parents, peuvent parfois se trouver sans voix devant des jeunes en voie d’embrigadement. La première étape de cet embrigadement passe par le complot. Ce dernier fait rentrer le jeune dans un monde où il accède à une vérité cachée aux yeux des autres, où il est un de ces rares élus à avoir compris la vaste supercherie dans laquelle nous vivons tous. C’est ce complotisme qui permet à l’idéologie simpliste et binaire de Daesh mais aussi à d’autres extrémismes aussi dangereux d’entrer dans les esprits. S’offrent au jeune deux choix : soit il est contre le complot, soit il est pour.

Sûrs de leur fait, réticents à dialoguer avec ceux qu’ils estiment être soit des victimes du complot, soit des complices de celui-ci, ces jeunes peuvent paraitre déjà « perdus », « inatteignables ». Et pourtant, il est possible de créer des brèches dans ces discours et d’ainsi semer le doute dans l’argumentaire du jeune. Semer le doute, c’est briser la cohérence d’une rhétorique bien pensée. Semer le doute, c’est ramener le jeune dans le monde de la discussion, c’est le rapprocher un peu de l’enseignant, du parent, de l’éducateur en quelque sorte.

 Il faut semer le doute pour briser la cohérence des discours complotistes
 

Nous avons ici traité le cas de jeunes désirant s’investir dans le combat djihadiste mais ce texte a une portée plus large. Il reprend quelques idées et conseils destinés à toute personne se trouvant face à une autre, jeune ou moins, tombée dans les antres du discours complotiste.

Une propagande bien rodée

La rhétorique des recruteurs de Daesh se base sur une binarité simple : l’occident d’une part, l’islam de l’autre. Dans ce schéma de pensée, les occidentaux sont considérés comme dépravés, fous d’alcool et de sexe, racistes, face à des musulmans honnêtes et justes.

Ricardo Roméro, coordinateur des éducateurs de rue de Schaerbeek, a analysé le film de propagande islamiste « 19HH[1] », disponible dans son entièreté sur youtube. Il dresse 5 caractéristiques du discours de propagande dont : un appel au spectateur à devenir acteur, un puissant effet hypnotisant, une vision manichéenne du monde, définissant le mal et le bien.

Cette propagande fonctionne car elle offre un discours fort, sans faille, où toute situation peut être jugée bonne ou mauvaise. Via cette rhétorique, est entretenue l’illusion  que les adhérents appartiennent à « l’élite ». Ce qui facilite la fracture sociale et familiale. A cela s’ajoute une dimension complotiste, s’illustrant sous des discours tels : « ils vont essayer de te reprendre à eux », « ils n’ont pas compris », « ils ne veulent pas ton bien ». Dimension favorisant également la rupture de tout lien social et renforçant la force et la cohérence des discours de propagande.

Face à cette forme d’embrigadement, contrecarrer en bloc le discours salafiste violent et contredire les dires du prédicateur ne sera d’aucune aide. Que répondre alors ? Si Ricardo Roméro prétend que « la bataille des savoirs est perdue d’avance », telle n’est pas l’opinion de Hicham Abdel Gawad. Ce dernier pointe au contraire différentes techniques pour créer des failles sur la face lisse de la rhétorique islamiste, surfant sur l’argumentaire complotiste. Car c’est bien comme cela que le nouvel embrigadé pourra prendre du recul et prendre distance avec ces discours. Si la personne accepte et reconnait la contradiction, c’est tout son système de sens qui s’écroule, avec toute la légitimité du discours salafiste violent. Comment créer ces brèches ? En réconciliant science et religion, en revenant au réel, en déconstruisant la vision manichéenne du monde. 

1/ Réconcilier science et religion

Une puissante arme se trouve dans la réconciliation entre science et religion. Dans un contexte non islamique, tel que celui de la Belgique, le besoin se fait profondément ressentir de former les cadres musulmans aux théories scientifiques, juridiques, sociologiques. Certains imams prêchent des discours se référant exclusivement aux textes sacrés, sans prendre le temps d’ancrer ces dispositions et valeurs dans le contexte institutionnel belge, garantissant les droits et libertés de chacun. Il est nécessaire que les orateurs islamiques réconcilient savoir scientifique et foi et délivrent une interprétation des textes sacrés en regard du contexte social dans lequel la religion évolue.

2/ Revenir au réel

Une autre porte de déstabilisation est de pointer les incohérences des discours.

Un fin connaisseur des textes sacrés peut se permettre d’entrer dans le jeu de l’interprétation des textes sacrés. Faire prendre conscience aux personnes séduites par Daesh que les prédicateurs instrumentalisent la parole du Prophète et qu’ils n’en donnent qu’une interprétation parmi d’autres. En rien ils ne « révèlent » « la vérité ». Un connaisseur des textes sacrés peut revenir sur l’interprétation donnée du djihad par exemple. S’il convient d’encourager les personnes à « faire un effort » pour établir la Justice sociale, il faut les faire réfléchir sur le type d’effort à fournir. N’est-ce pas un peu trop facile que de partir sur les terres de combat ? Ne serait-ce pas un plus bel effort que de s’instruire et se former au maximum pour ensuite prendre part aux projets humanitaires ? Le vrai djihad ne serait-ce pas de faire 10 ans d’études, devenir chirurgien, accepter un salaire très bas et venir en aide à des populations dans le besoin ?, nous dit Hicham Abdel Gawad. Il est important de rappeler que les paroles des prédicateurs ne sont qu’une interprétation des paroles du Prophète parmi d’autres. Il s’agit d’un discours partial et sélectif.

Une personne ne maitrisant pas les textes sacrés et leurs interprétations possibles peut s’attacher à mettre en avant les probables réalités de terrain. Confronter les discours de propagande à la realpolitik et au quotidien des terres de combat.

Réconcilier science et religion, revenir au réel et déconstruire la vision manichéenne sont les trois voies pour raccrocher le jeune au monde réel

Derrière le discours de propagande religieuse se trouvent des intérêts économiques et politiques. Faire prendre conscience des intérêts dissimulés des prédicateurs est une manière de semer le doute dans le chef des personnes séduites par ces discours.

Faire prendre conscience également que les nouveaux arrivés sur les terres de combat, parfois très jeunes, sans expérience de maniement d’armes ni de techniques de combat, ne seront pas élevés en héros. Loin de là. Les nouveaux arrivés seront soit placés sur le front, soit se verront relégués aux tâches ingrates : nettoyage, cuisine, voire esclavage sexuel…

Confronter les illusions aux réalités de terrain peut permettre d’ouvrir des brèches dans la rhétorique complotiste et, de ce fait, faire tomber tout l’argumentaire.

3/ Déconstruire la vision manichéenne

Enfin une troisième voie de fracture de la rhétorique complotiste se trouve dans la déconstruction d’une vision binaire du monde. Faire prendre conscience que les blocs « occident » et « islam » n’existent pas sur le terrain et montrer au contraire la complexité du monde qui nous entoure.

Rappeler aux belges séduits par Daesh qu’ils sont nés en Belgique. Ils ont donc grandi dans un environnement occidental. Ils ont une grosse part « d’occidental » en eux : goûts musicaux, séries, alimentation, modes vestimentaires, la langue, … Faire réfléchir la personne séduite sur sa propre identité et montrer que les identités sont plurielles et complexes. Les blocs n’existent pas.

Montrer que d’autres initiatives existent pour combattre l’injustice. Il existe des mouvements de lutte pour plus de Justice sociale en Belgique. Peut-être n’est-il pas nécessaire de partir loin. Ouvrir le champ des possibles en exposant l’éventail des possibilités d’engagement contre le racisme et les discriminations en tous genres, pourrait pousser les personnes séduites par Daesh à s’engager en Belgique.

Valoriser les acquis sociaux tels que la démocratie, les droits humains, la liberté d’expression, le système judiciaire, etc. en vigueur en Belgique. Ces droits ont été créés pour chaque citoyen. Ces droits permettent également la contestation et la révolte ! Utiliser la liberté d’expression pour toucher les médias et se faire voir par exemple. Oser s’approprier ces droits et s’engager dans la lutte sociale au lieu de salir le mode de vie occidental.

Ces différentes approches permettent de montrer aux jeunes que le modèle « occident » pointé par les djihadistes auto-proclamés n’existe pas, ni n’existe d’ailleurs le modèle « islam authentique », base sur laquelle repose toute la rhétorique.

***

Face à une personne séduite par un type de discours manichéen de la sorte, rien ne sert d’entrer dans la bataille des opinions et de le convaincre de laisser tomber ces idées. Au contraire, il convient de donner à ces personnes les outils pour réfléchir par elles-mêmes au discours auquel elles croient en pointant les contradictions et en ouvrant les yeux sur les réalités de terrain. Donner les outils de complexification du monde et faire redescendre les imaginaires sur terre, telles seront les clés qui permettront de fracturer les rhétoriques lisses et manichéennes, telles que le sont les rhétoriques complotistes.

 

[1] https://www.youtube.com/watch?v=BS5oBmZ0YP0 

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