Trauma Racial : l’impact du racisme sur la santé mentale

Rédigé le 21 décembre 2020 par : Estelle Depris

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Les personnes exposées au racisme et aux abus discriminatoires dans les médias expérimentent une forme de « traumatisme racial », qui peut affecter de nombreux aspects de la vie. Alors qu’aux Etats-Unis, plusieurs chercheur·euse·s travaillent sur cette question et suggèrent des pistes de définition intéressantes, rares sont les études qui abordent ce sujet en Europe.

Les personnes exposées au racisme et aux abus discriminatoires dans les médias expérimentent une forme de « traumatisme racial », qui peut affecter de nombreux aspects de la vie (capacité à avoir des relations, à se concentrer à l'école ou au travail). Alors qu’aux Etats-Unis, plusieurs chercheur·euse·s travaillent sur cette question et suggèrent des pistes de définition intéressantes, rares sont les études qui abordent ce sujet en Europe. Dans le cadre d’un travail de sensibilisation à l’antiracisme sur les réseaux sociaux via la page Instagram Sans Blanc de Rien,[1] j’ai réalisé une publication dans le but d’informer et d’interroger mon audience sur le thème méconnus du Trauma Racial. À la suite de cela, j’ai reçu des témoignages éloquents prouvant que ce mal de société est bel et bien présent en Belgique et en France. Cette analyse est réalisée dans le but de mettre en lumière le trauma racial et les personnes qui en sont atteintes. À cet effet, le texte comportera des extraits[2] de ces expériences de vies obscurcies par l’impact psychologique du racisme.

Le traumatisme racial (Race based Trauma), est défini comme une réaction traumatique à une accumulation d'expériences négatives liées au racisme[3]. Les principales recherches sur le sujet ont été menées par Robert T. Carter, docteur en médecine légale et professeur de psychologie de l'université de Columbia USA. Elles indiquent que les expériences de discriminations raciales sont susceptibles de provoquer des symptômes similaires à ceux du Stress post-traumatique. L’exposition directe (agressions verbales, physiques) ou indirectes à ces expériences négatives a le pouvoir de déclencher un trauma. Aussi, le simple fait d'être témoin d'une discrimination à l'encontre d'un membre d'un groupe racisé peut déclencher ce phénomène. De plus, la particularité du traumatisme racial réside dans son impact intergénérationnel. Selon Maryam Jernigan-Noesi, une psychologue de l'Institut du Boston College, le fait de savoir que ses parents ou ses ancêtres ont vécu des mauvais traitements liés au racisme peut également nourrir le trauma[4], ce qui interpelle indubitablement quant à l’impact psychologique du traumatisme historique lié à la colonisation et à l’esclavage

Liste non exhaustive des causes et formes multiples du trauma racial 

En 2013, l’équipe de Robert T. Carter réalise une enquête[5] pionnière sur le trauma racial, à l’aide d’un questionnaire comportant des exemples réels d’expériences de discriminations. Les personnes racisé.e.s sollicité.e.s devaient indiquer si elles avaient été victimes d’une expérience similaire, ainsi que leur niveau de stress en réaction à ces exemples. La synthèse des réponses obtenues a permis de localiser les causes et de mesurer l’impact du trauma lié au racisme[6].

En juillet 2020, je me suis inspirée de cette méthodologie pour sonder l’impact psychologique du racisme au sein de l’audience - principalement belge et française – de « Sans Blanc de Rien » [7]sur Instagram. J’ai lancé un appel aux témoignages auprès des personnes racisées en posant ces questions : « Avez-vous un trauma lié à une expérience raciste ? Si oui, pouvez-vous me décrire cette expérience et l’impact psychologique résultant de celle-ci ? ». J’ai ensuite relié la liste des principales causes du trauma racial répertoriées dans l’article scientifique du Medical News Today What to know about Racial Trauma[8], avec celles des témoignages recueillis sur Instagram[9]. Cette typologie donne à voir la variété des formes que peut prendre ce trauma, ainsi que ses déclencheurs :

On trouve tout d’abord, l'exposition à des stéréotypes raciaux lorsque des manuels scolaires affirment que certains groupes raciaux sont meilleurs ou mauvais dans certaines tâches, ou par un processus d’invisibilisation de l’histoire de l’esclavage ou de la colonisation. C’est le cas de Chris, qui me confie : « Lorsque que j’avais dix-huit ans à la fin de mes études secondaires, je me suis rendu compte que je ne connaissais pas l’histoire de mon pays d’origine, la République Démocratique du Congo. J’avais conscience de la colonisation sans vraiment comprendre ce que cela impliquait réellement. Un jour dans ma chambre j’ai mis sur YouTube un documentaire qui expliquait l’histoire de cette période. Le choc fut intense, j’ai pleuré pendant plusieurs jours. Je ne comprenais pas pourquoi des exactions produites par mon autre pays d’origine, la Belgique, avaient été maintenues sous silence durant toute ma scolarité. Je ne pourrai jamais oublier ce moment-là de ma vie et ma solitude face à ce que j’ai appris ». Il est intéressant de noter combien ce trauma semble avoir créé un malaise identitaire entre les deux appartenances de ce répondant.  

On trouve ensuite la crainte pour sa sécurité personnelle qui se traduit en peur et hypervigilance des personnes racisées face aux contrôles de police, ou en peur d’une agression par un tiers dans la rue. C’est notamment le cas de Leila, qui explique : « Je fais des crises d’angoisse constamment. En particulier, quand je sors avec ma mère qui est une femme voilée. J’ai peur qu’on nous agresse sans raison car cela s’est produit dans le passé ». Ici, la « peur sexuée »[10] intériorisée par les femmes lorsqu’elles se rendent dans les espaces publics est redoublée pour les femmes racisées.

Or, il suffit d'être témoin dans la vie réelle, ou par le biais des médias, de mauvais traitements infligés à des membres de son groupe ou à un être cher, pour développer cette peur. Ainsi, Cécile témoigne : « Je n’ai pas encore vécu de racisme proprement dit, mais je le vis par procuration. C’est une charge mentale et j’en souffre encore plus depuis que j’ai des enfants. Rien que d’imaginer qu’une personne raciste ou un policier pourrait leur faire du mal un jour, j’en pleure la nuit ; c’est pour vous dire, je me sens en deuil. Je me suis rasée les cheveux en voyant la vidéo du crime d’Ahmaud Arbery puis celle de George Floyd m’a brisée. Je ne sors plus. J’ai peur pour mon conjoint et mes enfants à qui je limite les sorties ».

Dans le cas de Laura T.W, on apprend comment une agression physique directement vécue s’imprègne dans la mémoire corporelle : « Ce jour-là en sortant du cinéma avec ma mère nous avons remarqué que notre voiture Scénic avait été vandalisée avec de la peinture noire. Ma mère est gabonaise-camerounaise. En face de la rue où nous étions garées elle avait remarqué une maison dont un couple peignait ses volets avec une peinture similaire. En allant gentiment les interroger l’homme lui a répondu en disant “ casse-toi sale n- “. Ma mère a répondu et de là, iels l’ont tabassée. La rue était remplie, mais il a fallu attendre trente minutes pour que des personnes interviennent et transfèrent ma mère à l’hôpital. Depuis ce jour, je fais régulièrement des crises d’angoisse, j’ai un rapport compliqué avec les personnes blanches, je me méfie et je suis vigilante si je ne vois pas de personnes noires ».

Si la scène rapportée par Laura T.W. peut sembler peu ordinaire, l’exposition directe à des abus ou à des discriminations racistes au quotidien, à travers des stéréotypes entendus au travail ou des insultes rencontrées dans l’espace public, peut également se muer en source de traumatisme racial. Mehdi nous explique que : « Durant deux ans « j’ai écouté » des collègues faire des réflexions racistes. J’ai fini par quitter la France parce que la charge mentale était insupportable. Bien que la situation se soit améliorée là où je me trouve aujourd’hui, ça me donne encore des insomnies et des sueurs froides la nuit ». Cet exemple souligne encore une fois combien le traumatisme habite les personnes racisées longtemps après les situations directes d’exposition.

Un autre type de cas rencontré est déclenché par le manque de prise au sérieux des expériences de racisme, qui vient en quelque sorte raviver d’autres traumas et entrainer de la détresse psychique, à l’instar de Zélia qui témoigne : « Je suis Afro-descendante. C’était peu de temps après la mort de George Floyd, j’étais dans un bar bruxellois avec des ami.e.s et on parlait du mouvement social que cet évènement malheureux avait déclenché. Un ami m’a fait une réflexion : « Vous ne trouvez pas que vous exagérez ? Jusqu’à retirer des statues ? ». Pendant que j’essayais d’argumenter, de défendre le mouvement j’ai commencé à hyperventiler et à pleurer de façon incontrôlée tout mon corps tremblait. Aujourd’hui dès que je pense à cet événement je ne peux m’empêcher de pleurer, et je ne fréquente plus ce groupe de personnes ».

Enfin, on trouve tous les exemples qui relèvent de micro-agressions et qui, selon Robert T. Carter, seraient les plus dangereuses car elles provoqueraient une somatisation :

« Les humiliations quotidiennes ou les micro-agressions, peuvent produire des dommages ou des blessures lorsqu’elles ont un impact mémorable d'effet durable ou par une exposition cumulative voir chronique aux différents types ou classes de racisme.

Les formes les plus graves [ de racisme ] ne sont pas forcément les agressions physiques. Dans la section sur les réactions physiologiques au racisme, les formes flagrantes de discrimination ne sont pas souvent liées à l'augmentation du risque de maladies cardiaques, mais ce sont plutôt les actes plus subtils qui sont liés à des réactions physiques potentiellement nuisibles. »  [11]

Symptômes et traitements du trauma racial 

À partir des témoignages reçus, il m’a également été permis de reconnaître un certain nombre de symptômes Stress Post-traumatique identifiés par Robert T. Carter[12]. D’une part, la détresse liée au traumatisme impacte le sommeil par des flashbacks, des cauchemars ou encore des insomnies. D’autre part, les personnes font preuve d’hypervigilance et établissent des stratégies d’évitement des situations négatives. Ce comportement, qui résulte du besoin d’éviter tout contact avec ce qui peut rappeler le traumatisme, se traduit le plus souvent par une sensibilité et une réactivité accrues. Ces deux exemples sont les signes d’une anxiété intense.  On trouve également des symptômes de dépression car l’estime de soi est impactée avec des fortes pensées négatives chroniques ou épisodiques. Dans les formes les plus graves, on rencontre également une forme de dissociation psychique : une personne peut avoir une expérience hors du corps entraînant de lourdes pertes de mémoire. Enfin, la santé mentale se répercute au niveau physiologique, et le stress chronique participe à un affaiblissement physique global.

Selon les différentes études citées dans cette analyse, certaines personnes présentant un Race Based Trauma peuvent avoir du mal à trouver des clinicien·ne·s racisé·e·s ou des praticien·ne·s capables de traiter leurs mal-être. En effet très peu de praticien·ne·s de la santé sont formé·e·s à diagnostiquer ce type de trauma chez leurs patient·e·s.[13] Aux Etats – Unis, lorsqu’une personne souffrant d’un trauma racial est prise en charge, le traitement est similaire à celui du Stress Post Traumatique. La psychothérapie et les médications sont requises pour soulager la dépression ou aider une personne à dormir[14]. Toutefois, les traumatismes psychiques typiques sont généralement liés à des événements ponctuels, contrairement au cas du trauma racial.  Cela implique qu’il est difficile d’envisager une guérison si cette personne subit encore d’autres discriminations.

En conclusion, l’exposition au racisme est une expérience que les personnes racisées peuvent endurer au quotidien, que cela soit sur leur lieu de travail, dans leurs relations interpersonnelles ou simplement en regardant les informations à la télévision. Les études sur le trauma racial nous donnent des pistes de réflexion sur ce qui se présente comme un véritable problème de santé publique. Elles donnent à voir la dimension systémique du racisme, et la nécessité de le considérer par-delà les actions individuelles, pour avoir des prises d’action collectives. En effet, seule une prise en considération, par le monde politique, du racisme comme une structure englobante qui a des impacts sur la santé, permettrait aux institutions médicales de sensibiliser les praticien.ne.s de la santé dans le but de les former à soigner les effets néfastes de l’impact psychologique et physique du racisme[15].

Bibliographie

  • CAMH. (s. d.). Les traumatismes psychiques. https://www.camh.ca/. Consulté 27 octobre 2020, à l’adresse https://www.camh.ca/fr/info-sante/index-sur-la-sante-mentale-et-la-dependance/les-traumatismes-psychiques
  • Carter, R. T., Mazzula, S., Victoria, R., Vazquez, R., Hall, S., Smith, S., Sant-Barket, S., Forsyth, J., Bazelais, K., & Williams, B. (2013). Initial development of the Race-Based Traumatic Stress Symptom Scale : Assessing the emotional impact of racism. Psychological Trauma : Theory, Research, Practice, and Policy, 5(1), 1‑9. https://doi.org/10.1037/a0025911
  • Jernigan, M. M., & Daniel, J. H. (2011). Racial Trauma in the Lives of Black Children and Adolescents : Challenges and Clinical Implications. Journal of Child & Adolescent Trauma, 4(2), 123‑141. https://doi.org/10.1080/19361521.2011.574678
  • Jillian Wilson, J. W. (2020, 7 janvier). HuffPost. Huffington Post. https://www.huffpost.com/entry/what-racial-trauma-does-body-brain_l_5efa43b1c5b6acab28459220
  • Lieber Marylène, (2008) Genre, violences et espaces publics. La vulnérabilité des femmes en question, Sciences Po, Paris.
  • Témoignages ‘Story’ récupérés via la page Instagram Sans Blanc de Rien du 09 juillet 2020
  • Williams, Monnica & Ching, Terence & Printz Pereira, Destiny & Wetterneck, Chad. (2018). Assessing PTSD in ethnic and racial minorities: Trauma and racial trauma.. 38.
  • What to know about racial trauma. (2020, 23 juillet). Medical News Today https://www.medicalnewstoday.com/articles/racial-trauma#diagnosis

[1] Depris Estelle Sans Blanc de Rien, (2019 à aujourd’hui.) :  Page Instagram et Facebook belge de sensibilisation à la blanchité et à l’antiracisme.

[2] Témoignages ‘Story’ récupéré via la page Instagram Sans Blanc de Rien du 09 juillet 2020. IL est important de préciser que ces personnes, anonymisées, n’ont pas été diagnostiquées atteinte du Race Based Trauma.

[3] Carter, R. T., Mazzula, S., Victoria, R., Vazquez, R., Hall, S., Smith, S., Sant-Barket, S., Forsyth, J., Bazelais, K., & Williams, B. (2013). Initial development of the Race-Based Traumatic Stress Symptom Scale : Assessing the emotional impact of racism. Psychological Trauma : Theory, Research, Practice, and Policy, 5(1), 1‑9. 

[4]  Jillian Wilson, J. W. (2020, 7 janvier). HuffPost. Huffington Post.

[5] Intitulée « Développement initial de l'échelle des symptômes du stress traumatique fondé sur la race : évaluation de l'impact émotionnel du racisme ».

[6] Carter, R. T., Mazzula, S., Victoria, R., Vazquez, R., Hall, S., Smith, S., Sant-Barket, S., Forsyth, J., Bazelais, K., & Williams, B. (2013). Initial development of the Race-Based Traumatic Stress Symptom Scale : Assessing the emotional impact of racism. Psychological Trauma : Theory, Research, Practice, and Policy, 5(1), 1‑9. 

[7] Depris Estelle,  Sans Blanc de Rien, (2019 à aujourd’hui.) :  Page Instagram et Facebook belge de sensibilisation à la blanchité et à l’antiracisme.

[8] What to know about racial trauma. (2020, 23 juillet). Medical News Today. 

[9]  Témoignages ‘Story’ récupéré via la page Instagram Sans Blanc de Rien du 09 juillet 2020. IL est important de préciser que ces personnes, anonymisées, n’ont pas été diagnostiquées atteinte du Race Based Trauma.

[10] Marylène Lieber, Genre, violences et espaces publics. La vulnérabilité des femmes en question, Sciences Po, Paris, 2008.

[11] Jernigan, M. M., & Daniel, J. H. (2011). Quote  Robert. T. Carter in  Racial Trauma in the Lives of Black Children and Adolescents : Challenges and Clinical Implications. Journal of Child & Adolescent Trauma, 4(2), 123‑141.

[12] Carter, R. T., Initial development of the Race-Based Traumatic Stress Symptom Scale : Assessing the emotional impact of racism. Psychological Trauma : Theory, Research, Practice, and Policy, 5(1), 1‑9. What to know about racial trauma. (2020, 23 juillet).

[13] Carter, R. T., Mazzula, S., Victoria, R., Vazquez, R., Hall, S., Smith, S., Sant-Barket, S., Forsyth, J., Bazelais, K., & Williams, B. (2013). Initial development of the Race-Based Traumatic Stress Symptom Scale : Assessing the emotional impact of racism. Psychological Trauma : Theory, Research, Practice, and Policy, 5(1), 1‑9. 

[14] What to know about racial trauma. (2020, 23 juillet). Medical News Today. 

[15] Williams, Monnica & Ching, Terence & Printz Pereira, Destiny & Wetterneck, Chad. (2018). Assessing PTSD in ethnic and racial minorities: Trauma and racial trauma.38.

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