Harcèlement, une législation inefficace…

Rédigé le 16 septembre 2009 par : Eric Watteau

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En 2006, le Bureau international du travail (BIT) dénonçait une augmentation importante des cas de violences physiques et psychologiques sur les lieux de travail . Menaces, intimidations et harcèlement se multiplient. Les services médicaux appartiennent aux secteurs désormais exposés à cette violence, relève également le BIT.
Malgré les efforts des gouvernements successifs pour protéger les travailleurs belges des actes de violence et de harcèlement moral et sexuel, nous sommes forcés de constater l’inefficacité relative de ceux-ci. Nous avons recueilli le témoignage d’un employé d’un hôpital bruxellois.

L’hôpital, un secteur sous pression

La logique de l’hôpital, nous explique notre témoin, n’est plus celle du non-marchand où la compassion à l’égard de la souffrance devrait avoir la part belle. On a introduit dans le secteur hospitalier des logiques issues du secteur privé. Désormais, l’hôpital doit être concurrentiel pour assurer sa pérennité. Les volets économique et financier priment sur le bien-être des patients dans les choix des décideurs. Tout doit aller vite et le réconfort des malades passe au second plan. Le personnel soignant éprouve de plus en plus de frustrations en raison du manque d’attention qu’il peut encore porter aux malades.

Les syndicats dénoncent aujourd'hui une situation où l’hopital a instauré un mode de gestion qui génère du stress. Le basculement vers cette politique a eu lieu depuis que l’hopital, en difficulté, a exigé une rentabilité accrue de la part d'un personnel en diminution. Pour deux personnes hier à un poste, il n’y en a plus qu’une aujourd'hui. D’une part, on ne remplace plus les départs ; de l’autre, la quantité de travail ne diminue pas. Cette politique se fait au détriment de la formation et des relations humaines. Les membres du personnel les plus faibles comme les personnes sortant d’une maladie ou revenant d’un congé de maternité sont moins acceptés ; ils risquent d’entraver l’efficacité. Le phénomène de harcèlement prend de l’ampleur.

Dans sa phase la plus aiguë, la souffrance, si elle n’est pas exprimée, peut même conduire au suicide. Cela a été le cas dans l’institution où travaille notre témoin. Même si on peut toujours s’interroger quant aux causes multiples d’un suicide, il est évident que le travail peut en être une. Désapproprié de son travail, l’individu fait face à une perte de sens qui engendre elle-même la souffrance.

La loi contre le harcèlement

En 2002, le législateur belge introduisit une loi visant à prévenir et réprimer les actes de violence et de harcèlement moral et sexuel au travail[1]. Elle préconise notamment une approche informelle suivie le cas échéant d’une procédure plus formelle. Il s’agit de rechercher la conciliation au sein de l’organisation. Si la conciliation n’aboutit pas, le plaignant peut introduire une plainte formelle et motivée auprès du conseiller en prévention compétent.

L’hôpital où travaille notre témoin a mis en place, comme la loi le prévoit, un conseiller en prévention externe à l’institution. Celui-ci est chargé de la gestion des plaintes du personnel.

La plupart du temps, les plaintes sont écartées sous prétexte de leur manque de fondement[2]. Le conseiller communique alors sa décision au plaignant et à la direction de l’hôpital. Cette dernière envoie donc une lettre-type d’avertissement au plaignant qui fait office de sanction.

Bien entendu, le plaignant ignore tout du contenu de la communication du conseiller en prévention à la direction. Dans ce contexte, le conseiller en prévention peut, aux yeux du personnel, paraître manquer de transparence, voire même d’équité. Hiérarchie et personnel ne sont pas à égalité des armes. Les représentants syndicaux sont également exclus de l’information, donc dans l’impossibilité de réagir.

La crainte d’être sanctionné

Le personnel craint ainsi les plaintes écrites[3], affirme notre témoin, et cherche des solutions alternatives pour exposer ses problèmes sans risquer de sanction. La peur d’être licencié est présente. Le personnel hésite à utiliser des procédures mises en place par la loi. Les gens vont donc mal.

Officiellement, la procédure a été mise en place pour éviter les abus du personnel. Pourtant, elle laisse à penser que tout a été fait pour éviter que des plaintes, même justifiées, soient déposées. Pourtant, si la plainte est reconnue non fondée, cela veut-il dire que les plaignants abusent ? Il n’en est pas moins vrai que dans ces cas les plaignants de bonne foi restent avec leur souffrance et que leur statut de victime n’est même pas reconnu. Que faire dans ces conditions ?

Refuser de voir le problème du harcèlement, laisser la décision qu’une plainte est fondée ou non fondée uniquement dans les mains d’un conseiller en prévention n’est pas sain. Nier la plainte n’empêchera pas le personnel de se sentir harcelé. Même si le harcèlement n’existe pas, la plainte révèle un malaise. La nier est une erreur.

Fondamentalement, la loi sur la charge psychosociale oblige l’employeur à résoudre ce genre de problème au sein de l'entreprise. Mais l’employeur aidé par le conseiller en prévention ne montre qu'un seul chemin. Or les données sont délicates et il faut beaucoup de doigté pour permettre à des gens de retravailler ensemble. Cela exige des facultés de médiation. Le rapport interne du conseiller en prévention montre sa faiblesse à ce niveau alors que les plaintes sont nombreuses.

Un système coercitif

Les évaluations périodiques peuvent aussi être utilisées comme mécanisme de coercition. En règle générale, pré-remplies, elles ne permettent pas un réel échange d’idées selon notre témoin. On n’y est pas entendu. Elles peuvent même être un couperet disciplinaire ne laissant aucune place à la critique constructive. Certains chefs sont retors mais cela ne concerne  heureusement pas tous les services

Même se confier au syndicat est considéré comme dangereux par certains membres du personnel. Certains travailleurs de l’hôpital ne veulent rencontrer leur délégué syndical qu'en dehors des murs de l’institution, pour éviter d’être vus.

Certains cadres estiment en effet inopportun que le personnel consulte le syndicat pour leurs problèmes professionnels. Pourtant, l’appartenance à un syndicat est un droit fondamental, inscrit dans la Constitution, repris dans des grands pactes internationaux et d’application directe en droit belge.

Le manque de soutien institutionnel du Ministère de l’emploi et du travail interpelle également. La délégation syndicale de l’hôpital souhaiterait rencontrer l’inspection du travail qui refuse sous prétexte de l’existence de procédures internes de conciliation.

Enfin, il y a la question de la prévention. La délégation syndicale attend de la formation des cadres qu’ils soient bien formés pour gérer les tensions au sein du personnel. Une attente par rapport au management est qu’il faut de la bonne volonté et que les responsables prennent les attitudes adéquates quand le passionnel prend le dessus. La délégation syndicale éprouve de la frustration quant au mode de résolution des problèmes des gens. Elle veut éviter une procédure trop rigoureuse, qui conduit malheureusement à des mécanismes de sanction.

Une nécessaire réforme

Les procédures légales mises en place dans l’hôpital ne résolvent pas les souffrances au travail. Il n’y a pas de vrai recours au bénéfice du personnel et il manque une vision objective des instances de prévention. Cela reflète l’absence de volonté de l’entreprise de mettre sur pied une organisation de prévention. Toutefois, la bonne conscience est de rigueur. Par ailleurs, la hiérarchie renâcle devant l’organisation collective de la défense des travailleurs. La syndicalisation n’est pas bien acceptée particulièrement dans ce domaine et le personnel a peur qu’on le sache syndiqué. L’entreprise s’est donc dirigée vers un mode d’organisation basé sur la sanction des plaignants, la Direction veut bien tout au plus parler de comportement inadéquat mais pas de harcèlement et elle considère mal la défense des travailleurs. Il n’est pas certain que cela corresponde à la meilleure forme de management…

Les syndicats devraient évaluer le rôle et l’action des conseillers en prévention à la lumière des enseignements tirés par les délégués syndicaux qui sont sur le terrain. De cette évaluation pourrait naître le souhait de recadrer la fonction de conseiller dans une optique tripolaire. Le conseiller devrait donc travailler tant avec le plaignant que la délégation syndicale et la direction. Ne l’oublions pas, dans la mesure où la plainte pour harcèlement n’a pas un caractère pénal, cela signifie qu’elle a un caractère civil, où les deux parties doivent apporter leurs éléments. Le plaignant donne les éléments qui lui ont fait penser qu’il était harcelé. La personne mise en cause par la plainte doit apporter des éléments de réponse montrant qu’elle n’a pas harcelé. Ce n’est qu’au pénal, la présomption d’innocence aidant, que la démarche peut rester unilatérale. En toute équité, le conseiller ne peut conclure l’absence d’harcèlement que s’il a eu des informations probantes en provenance de la personne accusée de harcèlement. L’égalité des armes voudrait que ces informations probantes soient aussi communiquées au plaignant.

 


 

Cette analyse a fait l’objet d’un article dans notre trimestriel, Signes des Temps, de septembre 2009.

 

 
 


[1] Loi du 11 juin 2002 relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail.

[2] Pourtant, dans cet hôpital, un seul cas d’abus a seulement été mis en évidence. Qu’en est-il de tous les autres cas écartés ?

[3] Voici une ébauche de discussion que nous lançons sur la place publique. Un infirmier a confié à l’auteur de ces lignes un fait intéressant. Les femmes selon lui utilisent la parole, les hommes par contre préfèrent l’écrit. Conséquence : si une femme se plaint, on attend que cela passe. Les paroles s’envolent ! Mais la plainte d’un homme, le plus souvent mise par écrit et relative à un fait précis, est prise plus au sérieux. On est plus rapidement incité à trouver une réponse. Le personnel craint la plainte écrite parce qu'il a peur que la dite plainte se retrouve dans son dossier d'évaluation, même 10 ans plus tard.


Illustration : Tomtom24

 

 

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