Qu’est-ce que la violence ?

Rédigé le 18 avril 2006 par : Katheline Toumpsin

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La violence n’est pas un phénomène nouveau propre au monde contemporain. Déjà présente dans de nombreux mythes et légendes, elle fait partie intégrante de toute l’histoire de l’humanité, et reste omniprésente sur nos écrans et dans les médias, ainsi que plus proche de nous, dans nos relations humaines quotidiennes.

La violence est un phénomène qui nous touche tous et qui nous concerne tous. La nier reviendrait à s’enfermer dans l’illusion d’un monde pacifique. 

Construire une culture de paix et de non-violence implique nécessairement de comprendre les mécanismes de la violence et de ses origines. 

Qu’est-ce que la violence ?

Définition

La violence est un processus de meurtre, même si ce processus ne va pas jusqu’à son terme et ne se solde pas par l’élimination physique de la personne ou du groupe visé. Son but premier est la destruction.

La volonté de faire disparaître l’autre, la volonté de l’écarter, de l’exclure, de le réduire au silence devient plus forte que la volonté de dialoguer avec lui. La violence, ce n’est pas le conflit. Elle est ce qui l’envenime, ce qui empêche de donner une issue positive au conflit, d’en sortir grandi. La violence, est ce qui conduit à la négation de l’autre.

La violence est un phénomène universel et omniprésent et qui peut prendre de multiples formes, à des degrés divers : elle peut être d’ordre moral, physique, verbal, psychologique, économique…

« Il n’existe pas seulement la violence ouverte, déclarée et belliqueuse, celle de l’injure, des coups, et de l’acte guerrier, mais aussi la violence sournoise qui peut se cacher dans l’habitude, la politesse, l’ordre et l’anonymat. La violence peut prendre une apparence civilisée qui ne rappelle pas le comportement brutal du délinquant ou du terroriste.[1] »

On pourrait enrichir cette observation en précisant que, de manière plus ou moins patente, elle peut être directe, lorsque les protagonistes sont identifiables et les circonstances sont reconnaissables, comme par exemple dans le cas de l’agression, de l’insulte, du meurtre, de l’attaque terroriste, des guerres… La violence peut également être structurelle, lorsqu’elle bafoue les droits de la personne humaine. Il s’agit des situations de violence économique ou sociale, de discrimination raciale, religieuse, sexuelle… Cette violence structurelle peut trouver sa racine dans une volonté politique ou religieuse, dans une idéologie de la violence.

Soulignons enfin que la violence n’est pas uniquement une attitude ou un comportement orienté vers autrui : on peut être violent envers soi-même également.

La violence, ce n’est pas…

Il convient de distinguer la violence de l’agressivité, de la force et du conflit.

  • Violence et agressivité sont à distinguer dans le sens où l’agressivité est une puissance de combativité, d’affirmation de soi. Elle peut être constructive pour ma personnalité, elle me permet d’affronter l’autre sans me dérober. Etymologiquement, le terme « agressivité » vient du latin « aggredi », ce qui signifie « marcher vers ». Par son étymologie, le verbe « agresser » n’implique pas plus de violence que le verbe « progresser », qui signifie « marcher en avant ». « Aggredi » incarne davantage l’idée d’une énergie de combativité. Sans agressivité, l’Homme serait incapable de surmonter ses peurs et d’aller de l’avant. Si on s’en tient à l’étymologie des mots, la violence n’est en définitive qu’un dérapage d’agressivité. Ce n’est que dans un sens dérivé qu’agresser signifie « marcher contre ». Cela vient du fait que, dans des situations de guerre, agresser l’ennemi, c’est marcher vers lui pour le vaincre, c’est-à-dire en l’attaquant.

  • La violence n’est pas la force : la force n’existe que par l’action, et cette action peut être soit violente, soit non violente. Force et violence ne se situent pas dans le même registre.

  • Enfin, il ne faut pas confondre violence et conflit : le conflit fait partie de la vie et de toute relation à l’autre. Il peut être facteur de changement positif dans une relation ou dans la société. Les conflits sont des occasions d’innover, d’aller plus loin, de changer. Mais un conflit non géré ou mal géré peut entraîner des actes violents négatifs et destructeurs. La violence constitue un dérèglement du conflit : plutôt que de chercher une solution démocratique qui convient aux deux parties, c’est un processus qui cherche à résoudre le conflit en éliminant l’autre.

Après ce petit tour d’horizon de ce qu’est précisément la violence et de ce qu’elle sous-entend, essayons de comprendre pourquoi il y a de la violence, quels sont ses racines et mécanismes, afin de tenter de la contrôler et de la réduire, en d’autres termes : de l’éduquer.

Comprendre la violence

Avant-propos : Parmi les différentes théories élaborées pour comprendre la violence, nous avons choisi de nous inspirer ici tout particulièrement de la réflexion développée par Jean-Michel Longneau, philosophe et professeur de Droit aux Facultés Universitaires Notre Dame de la Paix de Namur.

En tant qu’organisation de paix, nous souhaitons partager la richesse de la réflexion que nous avons pu mener avec M. Longneau.

D’autres approches seront néanmoins développées dans d’autres fiches pédagogiques complémentaires au dossier « Construire la paix », disponible auprès de BePax.

La culture du déni de la violence vécue

Pour Jean-Michel Longneau, la violence est une donnée anthropologique, elle est intrinsèque à l’être humain. La nier revient dès lors à ignorer une part de soi-même, et dès lors à se condamner à ne jamais pouvoir l’apprivoiser. Prendre conscience de la violence qui nous habite, de même que de celle qui nous entoure, est nécessaire pour apprendre à lui faire face.

Trois constats fondent la théorie de M. Longneau :

  • Tout d’abord, la violence a toujours existé. De tout temps, l’Homme se bat, développe des armes toujours plus sophistiquées pour mener ses guerres…

  • Ensuite, le monde d’aujourd’hui n’est pas plus violent que celui d’hier : il n’y a pas plus de violence aujourd’hui qu’il n’y en avait hier. Elle est peut être plus visible et plus « mondialisée » qu’auparavant, notamment par l’intermédiaire des médias. Elle est peut-être également plus destructrice, compte tenu des moyens technologiques actuels, mais la violence n’est pas un phénomène nouveau. 

  • Enfin, on parle beaucoup de prévention. On peut se poser la question de ce que cela signifie. Que cherche-t-on à prévenir/éviter ? De quoi a-t-on peur ? Pourquoi sommes-nous mal à l’aise vis-à-vis de la violence ? Est-ce par peur de la violence que nous cherchons à l’éviter ? S’il y a un autre argument que celui de la peur, quel est-il ? Quel autre argument éthique peut-on soutenir pour légitimer le fait que l’on développe des programmes de prévention contre la violence ? Nous pouvons constater que la prévention de la violence prend parfois -et de manière détournée- la forme d’une violence légale qui ne s’attaque nullement à l’origine de la violence.

Sur base de cela, M. Longneau soutient la thèse que nous vivons dans une culture du déni de la violence vécue : il semble qu’on ait besoin de croire en un monde paisible alors que la réalité est violente.

Plusieurs arguments soutiennent cette thèse :

L’évolution des mœurs témoigne en faveur de ce postulat :

-  au Moyen Age : la culture est celle de l’expression de tous les besoins (sexuel – naturel (comme par exemple le fait de déféquer, roter) – vol …) ;

- à la Renaissance : il faut être quelqu’un de bien, quelqu’un qui se maîtrise (répression de la sexualité) ;

-  avec l’industrialisation et le développement du capitalisme : il y a un besoin de personnes prévisibles (producteurs mais aussi consommateurs) pour permettre un développement fiable du capitalisme ; 

-  dans notre culture occidentale actuelle, exprimer ses sentiments de manière forte est souvent mal considéré. Quelqu’un de bien est quelqu’un qui parvient à se contrôler, à contenir ses sentiments, à se maîtriser. Quelqu’un de bien, de « normal », c’est quelqu’un qui ne s’emporte pas. Actuellement, il semble qu’on ait besoin de croire en un monde non violent.

L’éducation qu’on transmet à nos enfants, de même que celle qu’on a reçue, reflète cela : on considère qu’il est inacceptable d’être violent, qu’il est mal de piquer une colère ou de taper du pied quand on n’obtient pas ce que l’on veut : l’enfant apprend que s’il veut être aimable (au sens premier du terme), il doit ravaler sa colère.

Du point de vue politique et sociétal, ce besoin de croire en un monde non violent se fait sentir également :

  • il y a d’une part une multiplicité de démarches de prévention : cela signifie-t-il que la violence ne peut pas paraître, car on en a peur ? On dirait qu’on cherche à supprimer la violence plutôt qu’à l’éduquer.

  • d’autre part, il y a confiscation/contrôle de la violence par l’Etat : il détient la « violence légitime » (police, armée), il s’autorise le contrôle de la sphère privée (ingérence de l’Etat dans   les violences familiales, violences conjugales, harcèlement au travail …).

  • l’évolution médiatique (TV, films, jeux vidéo) renforce la thèse du déni de violence : la saturation d’images de violence banalise la violence (violence spectacle), et entraîne parfois la nécessité de montrer des scènes toujours plus violentes, sans que celles-ci n’aient de réelle implication sur notre vie personnelle. Les films violents ne font que fournir au spectateur des modèles pour exprimer la violence qu’ils ressentent en eux. La violence telle que la montrent les médias n’est pas comparable à la violence vécue, c’est-à-dire celle que je ressens au fond de moi, dans ma chair.

Croire en un monde pacifique relève de l’utopie. C’est une illusion dangereuse, car en réalité, le monde dans lequel nous vivons est violent, et chacun a en soi une part de violence. La culture dans laquelle nous vivons cherche à nier la violence. « Une société où toutes les relations entre personnes seraient pacifiques n’existe que dans le monde de Walt Disney ! Dans la réalité, nous vivons avec des gens imprévisibles, différents, tantôt gentils, tantôt méchants, qui nous interpellent, qui nous dérangent. Croire le contraire est infantile. Promettre une société sans violence est démagogique.[2] »

Face à ce constat, deux solutions s’offrent alors pour construire une culture de paix : soit on fait des gens « gentils », impliquant de refouler notre « part maudite » comme l’écrivait Georges Bataille[3] ; soit on permet d’exprimer la violence. L’enjeu réside alors dans la possibilité d’exprimer la violence qui nous habite sans entrer dans un processus de meurtre et de destruction de l’autre. Comment la faire sortir de manière canalisée, contrôlée, consciente ? En d’autres termes comment « éduquer » la violence ?

Les fondements et mécanismes de la violence 

Essayons de comprendre les mécanismes générateurs de violence, autrement dit, ce qui amène les personnes à passer à l’acte. La violence est un phénomène de surface. Pouvoir agir sur elle nécessite de rechercher ce qu’elle cache. En identifiant cela, nous pourrons trouver une réponse plus adéquate à la question du modèle d’éducation à développer. 

Qu’est-ce qui amène les gens à être violents, à passer à l’acte ?

Qu’il s’agisse d’individus ou de groupes, la violence n’est jamais spontanée, elle n’existe pas sans raison, même si la (les) raison(s) n’est pas toujours apparente. Certaines personnes réagissent au quart de tour, d’autres accumulent la violence qu’elles ressentent et ne la ressortent que plus tard, et parfois, l’accumulation entraîne d’un coup l’explosion face à un fait qui semble anodin, une broutille… Nous pourrions comparer cela à une casserole à pression qui éclate faute d’avoir pu évacuer son énergie durant la cuisson.

Dans tous les cas, la violence témoigne d’une souffrance, d’une frustration. Afin de pouvoir enrayer ce phénomène, il est utile de comprendre ce qui génère la violence.

Besoins, désirs et frustration

Au-delà de la nécessité de satisfaire les besoins vitaux, tels que manger, boire, dormir… la notion de désir est intéressante pour comprendre les mécanismes qui s’activent derrière tout phénomène de violence. Souvent moteur d’action positive, le désir, et plus précisément la frustration qui découle de l’impossibilité de le combler, peut être générateur de violence.

Ce qui nous amène à ressentir de la violence, c’est une situation où je suis amené à renoncer à quelque chose, c’est-à-dire lorsque je suis face à une situation qui me contrarie, qui me frustre. Par exemple, lorsqu’un petit enfant ne peut pas avoir le jouet qu’il désire, ou lorsqu’un homme doit se plier au fait qu’une femme refuse ses avances, lorsqu’un élève n’a pas les points qu’il estime mériter, ou encore lorsqu’un Etat ne peut pas accéder à la richesse d’un autre Etat.

Nous vivons actuellement dans un monde du « tout, tout de suite », surtout pour les jeunes générations. Il devient impératif de s’approprier, même à crédit, ce qu’on désire, immédiatement. En un clic de souris, il est possible de tout acquérir. Si ce n’est pas possible, cela devient insupportable, générateur de frustrations immenses.        

Face à la frustration, trois solutions se présentent :

  • renoncer à l’objet désiré et se résigner à ne plus le désirer ;

  • éliminer l’obstacle qui empêche d’obtenir malgré tout l’objet désiré ou alors se venger, plus tard ;

  • soit les deux parties cherchent ensemble un compromis, auquel cas chacune des deux est appelée à renoncer partiellement à l’objet convoité. La solution de la négociation prend souvent plus de temps que les autres, ce qui entre en contradiction avec la satisfaction immédiate des désirs et des besoins.

Ce qu’il faut chercher à comprendre, ce sont les raisons profondes qui font qu’il y a frustration, ce qui fait qu’il est souvent difficile d’accepter de trouver une solution médiane, d’accepter la solution du compromis et de ne pas être totalement satisfait. Qu’est-ce qui se cache derrière le sentiment de frustration ?

Passer de l’imaginaire à la réalité

On peut identifier trois désirs –puissants moteurs d’action- qui, lorsqu’ils sont non travaillés, peuvent générer de la violence[4].

  1. désir de toute puissance 

  2. désir de fusion

  3. sentiment que tout m’est dû

 

  1. Par désir de toute puissance, il faut comprendre :

  • le désir d’être parfait : vouloir être à la hauteur de ce qu’on pense (devoir) être, et la difficulté d’accepter ses « faiblesses » ;

  • le désir d’autonomie, de liberté souveraine : je ne veux être soumis à aucune contrainte. Tout m’est possible et tout m’est permis. Rien ni personne ne peut m’imposer une limite quelle qu’elle soit;

  • la toute puissance de l’innocence : le sentiment d’être irréprochable, de ne pas pouvoir être pris en défaut, et donc de ne jamais se sentir coupable, à ses propres yeux comme auprès des autres ;

  • la toute puissance de l’être immortel.

 
  1. Le désir de fusion ou de relation exprime l’idée que l’autre se réduit à la connaissance que j’ai de lui. Je ne peux pas accepter qu’il échappe à ce cadre, qu’il fasse quelque chose que je n’avais pas prévu qu’il puisse faire, et qui échappe donc à la maîtrise que j’ai de lui, qu’il ne soit pas ce que je pense qu’il est ou ce que je veux qu’il soit. C’est le cas du mari qui ne supporte pas que sa femme sorte sans lui, ou qu’elle voie des personnes qu’il n’apprécie pas. C’est aussi l’exemple de l’Etat qui n’accepte pas qu’un Etat allié ne suive pas ses recommandations en matière de géopolitique, par exemple.

Cette relation de fusion peut aller dans les deux sens : soit c’est l’autre qui ne doit être que le prolongement de moi-même, soit c’est moi qui me réduis à être ce que je pense que l’autre veut que je sois.

  1. Le troisième désir est celui du « tout m’est dû » : il m’est dû d’être récompensé si je travaille bien ; il m’est dû d’être acclamé comme héros libérateur si j’apporte la démocratie dans tel pays…

Ces trois désirs relèvent de l’imaginaire.

Les désirs imaginaires sont par nature inatteignables, car l’être humain est finitude (>< toute puissance), solitude (>< fusion) et incertitude (>< tout m’est dû). Tant qu’on ne prendra pas conscience de cela, l’individu, ou, à une autre échelle, le groupe social ou encore l’Etat, continueront à mettre en place une série de stratégies, pour maintenir vivant l’univers imaginaire.   Certains s’isolent dans leur frustration, parfois jusqu’à la dépression ou l’anorexie par exemple (ils retournent la violence contre eux-mêmes), d’autres se créent un univers magique, une bulle imaginaire en niant la réalité. Ils protègent leur bulle contre toute attaque déstabilisatrice en détruisant ou ignorant tout ce qui peut engendrer pour eux une frustration. D’autres encore parviennent à accepter la réalité, et à gérer cette frustration (tension entre désir et réalité) de manière non-violente.   Qu’entend-on par « accepter la réalité »  pour sortir cet univers imaginaire? Reprenons nos trois cas :  

1. Si je parviens à accepter le fait que je ne suis pas parfait à tous les points de vue et à tout moment, et que je ne suis donc pas tout puissant, que je ne suis que « finitude », alors je peux entendre et accepter les critiques, mes faiblesses. Ce n’est pas parce que je n’arrive pas à faire parfaitement telle ou telle chose que je ne suis pas quelqu’un de bien !

2. De même vis-à-vis du désir de fusion : l’Homme est fondamentalement seul. L’autre et moi sommes fondamentalement distincts, différents. Je ne suis pas l’autre, il n’est pas moi. Il faut pouvoir accepter cette distance inévitable, cette impossibilité de fusion. Si je parviens à accepter ma solitude, alors j’accepte que l’autre puisse exister pour lui-même, et je peux entrer en relation avec lui sans que ce que l’autre fait puisse me mettre en danger.

3. Enfin, en ce qui concerne le sentiment comme quoi « tout m’est dû », je dois pouvoir accepter le fait que la vie est incertitude, et que bien souvent, pour obtenir quelque chose, il ne suffit pas d’attendre que cela tombe du ciel. Il ne faut pas traduire cette incertitude par de l’attente, de la résignation, ou encore de l’hostilité face à ce qui rend la vie incertaine, mais au contraire par de l’action positive qui me permet d’atteindre mes buts.

« Une démarche éducative où l’on apprend aux gens à faire le deuil de l’imaginaire de toute puissance, de maîtrise absolue de leur destinée. Quand le réel nous saute à la figure suite à un événement traumatisant, nous avons tendance à refuser ce que nous sommes et à nous réfugier dans l’imaginaire. Cela se traduit par des comportements de déni, de violence, ou de repli sur soi, parfois nécessaires pour accepter la réalité. Une démarche éducative, c’est aider les gens à sortir de ces attitudes de fuite.[5] » 

Prendre conscience de ces trois contraintes est une manière de prendre conscience que « la vie laisse à désirer », dans les deux sens du terme.

Devenir adulte, c’est pouvoir faire la distinction entre le désir et la réalité, et pouvoir également faire patienter ses désirs, ou accepter que leur satisfaction se fasse de manière partagée, voire collective (ce qui n’est pas toujours facile dans une société aussi matérialiste et individualiste que la nôtre). Devenir adulte, c’est prendre conscience du fait que mes désirs relèvent EN PARTIE de l’imaginaire, et percevoir mes désirs comme imaginaires, et donc pas forcément réalisables. Cela mène à accepter la frustration.

Eprouver de la violence est quelque chose de parfaitement normal : quand je suis énervé, il faut que ça sorte ! Chacun de nous ressent de la violence en lui, car chacun de nous éprouve des désirs, c’est le propre de l’Homme. Mais la violence ne peut pas être un style de vie. Il faut pouvoir aller au-delà. Exprimer ses frustrations par la violence ne peut être qu’une étape dans un processus qui doit mener à s’accepter tel qu’on est, à accepter ou maîtriser la frustration, à distinguer désir et réalité. 

C’est un long travail d’éducation pour que le jeune puisse faire la différence entre l’aspect moteur de son désir et sa part d’imaginaire.

Plus centré sur l’individu, Thomas d’Ansembourg, psychothérapeute et auteur des ouvrages « Etre heureux n’est pas nécessairement confortable[6] » et « Cessez d’être gentils, soyez vrai ! », développe la théorie selon laquelle la violence vécue au quotidien en notre for intérieur provient largement du déni de la violence que chacun vit intérieurement, autrement dit : de la « violence vécue » à laquelle JM Longneau faisait référence. Il nous l’explique comme ceci : la non-écoute de soi-même mène tôt ou tard à la non-écoute de l’autre. Nous avons davantage appris à être complaisant, à porter un masque, à jouer un rôle. Nous avons appris à dissimuler ce qui se passe en nous, à ignorer ou méconnaître nos propres besoins. Et cette violence qu’on se fait à nous-même nous incite à reporter sur d’autres cette violence. »

Th. d’Ansembourg parle de «communication consciente» pour désigner la communication qui nous permet de décoder nos sentiments et d’exprimer clairement nos besoins de façon négociable. Cette « communication consciente » est à la base de l’éducation de la violence que nous voulons développer pour construire une culture de paix.

Enfin, pour éduquer la violence, il est indispensable de donner des repères, des limites claires à respecter. L’absence de repères peut être paniquante, surtout si on se situe dans l’imaginaire et qu’on a du mal à faire la distinction entre désir et réalité. Et c’est le cas en particulier des jeunes.

Sommes-nous assez attentifs dans nos écoles, dans nos familles, dans nos mouvements...,  aux règles communes indispensables pour vivre ensemble ? Sommes-nous suffisamment attentifs à bien baliser les interdits, à faire respecter les règles, à revenir aux règles lorsqu’il y a conflit ?


BIBLIOGRAPHIE

BAZIER, François, Exposé « la Non-violence : une proposition » du 5 juillet 2006

D’Ansembourg, Thomas ,« Etre heureux n’est pas nécessairement confortable », Les Éditions de l’Homme, 2001.

LONGNEAU, Jean-Michel, « Attention à la démagogie », in le Vif l’Express, paru le 28 avril 2006.

Exposés du 4 juillet 2006 et du 31 août 2006.

MOREELS, Reginald, « L’ultime utopie, la non-violence », in La Libre Belgique, paru le 12 août 2006

MULLER, Jean-Marie, « La non-violence, une idée neuve », in « Comprendre la non-violence », éd. Racines, 1995.

« Délégitimer la violence », collection Culture de non-violence n°1, Centre de ressources sur la non-violence de Midi- Pyrénées.

BePax, « Vivre ensemble… en paix. Petit recueil à l’usage de ceux qui souhaitent mieux vivre ensemble, 2005.

SEMELIN, Jacques, « La non-violence expliquée à mes filles », éd. du Seuil, 2000.

Université de Paix, « Promouvoir la paix », coll. Les intelligences citoyennes, éd. De Boeck, 2004.

www.decennie.org: La Coordination française pour la Décennie internationale de la promotion d’une culture de la non-violence et de la paix.

www.irenees.net: IRENEES, site de ressources pour la paix.

 


1, 2 :  Op cit., J-F Bazier, extrait de son exposé « la Non-violence : une proposition », du 5 juillet 2006.

[2] Op cit. J-M Longneau, « Attention à la démagogie », in le Vif l’Express, paru le 28 avril 2006

[3] Georges Bataille, écrivain français du XXème siècle, auteur de « La part maudite », précédé de La Notion de dépense, Introduction de Jean Piel, Essai d’économie générale, Édition de Minuit, 1949, dans la collection « Critique », 232 pages

[4] Les propos tenus ici relèvent d’une démarche d’ordre psychanalytique, mais sont transposables à d’autres domaines.

[5] Op cit. J-M Longeau, in le Vif l’Express, « Attention à la démagogie », 28.04.2006

[6] Présentation du livre : Si la vie est souvent difficile, une illusion peut nous la rendre encore plus difficile : celle de croire au bonheur tout rose sur un nuage bleu, celle de croire qu’être heureux, c’est « tout confort » sur les plans matériel, affectif, psychologique… www.thomasdansembourg.com


Illustration : Rumata

 

 

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