L’Interreligieux sous le regard de l’Eglise catholique

Rédigé le 21 janvier 2014 par : Françoise Mélard

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Le 28 octobre 1965, à la suite des pères conciliaires, PAUL VI a promulgué une courte Déclaration, appelée Nostra aetate, sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes. Ce texte est le prolongement de Lumen gentium, le premier document du concile.

Dès le préambule, la déclaration s’inscrit dans l’axe d’une globalisation naissante et d’une relation toujours plus grande entre les humains, créés par Dieu (Gn 1.2). Reconnaissant une sensibilité religieuse au cœur de tous les peuples, il s’attarde très peu sur les religions asiatiques (hindouisme, bouddhisme), il n’est pas plus loquace sur l’Islam. Par contre, le regard sur le judaïsme est plus développé; l’étude des deux Testaments, réalisée par le mouvement biblique antérieur au concile, y est sous-tendue. Enfin, le concile parle d’une fraternité universelle excluant toute discrimination, rejoignant l’encyclique Pacem in terris (1963) et la Constitution pastorale Gaudium et spes (1965).

Se référant à St Jean : Qui n’aime pas ne connaît pas Dieu (I Jn 4, 8), Paul VI écrit : Par là est sapé le fondement de toute théorie ou de toute pratique qui introduit entre homme et homme, entre peuple et peuple, une discrimination en ce qui concerne la dignité humaine et les droits qui en découlent.

De fait, nous ne pouvons pas regarder le dialogue interreligieux sans lire une autre Déclaration sur la liberté religieuse, Dignitatis Humanae, du 7 décembre 1965. Cette déclaration est sous-titrée : Le droit de la personne et des communautés à la liberté sociale et civile en matière religieuse. Plus longue que Nostra Aetate, cette déclaration a déjà fait couler beaucoup d’encre. Dans les contextes politiques (plus durs), elle mérite une attention toute spéciale.

En 1968, Jean Séguy a étudié et publié un article sur le phénomène sociologique de l’œcuménisme. Il a peaufiné sa pensée en publiant, en 1973, un livre sur Les conflits du dialogue[1]. Il analyse une typologie des formes de dialogue entre corps religieux. Il parle d’œcuménismes interreligieux soit ceux qui font entrer en communication des religions différentes, et d’oecuménismes religieux non chrétiens, soit les pan-islamisme, pan-bouddhisme, etc. Dans ce livre, l’auteur cite Bryan L. Wilson, qui décrit la sécularisation comme le fait que la religion – considérée comme manière de penser, comme ensemble de pratiques particulières, et  comme institutionnalisation et organisation de ces modèles de pensée et d’action. Pour conclure, l’auteur parle d’un «troisième homme», sorte de «médiateur», à introduire dans le dialogue afin de ne pas tomber dans des dérives, souvent apologétiques (affaiblir l’autre pour «gagner du terrain»). Cependant, il ne sait lui donner un «profil». Et si c’était l’Esprit-Saint ?

Aujourd’hui, le dialogue interreligieux est concrétisé par la mondialisation de la culture, de l’économie, les déplacements de personnes dus aux guerres, les flux migratoires. La globalisation du phénomène religieux devient toujours plus réelle.

Pour le cardinal Georges Cottier, l’encyclique Ecclesiam suam , publiée au début du pontificat de Paul VI, était centrée sur le thème du dialogue, elle proposait une vision nouvelle de la mission de l’Eglise fondée sur le respect de l’autre à évangéliser[2]. Proposer l’Evangile n’est pas convertir, c’est une présentation de la croyance dans le respect de la liberté de l’interlocuteur.

Dans un tel esprit d’ouverture, les théologiens peuvent donner un nouvel espace à leur travail. La présence de religions différentes donne une nouvelle dimension à la religion de chaque individu, elle stimule. Par conséquent, le fait religieux entre dans la sphère publique, il devient un sujet de discussion, en TV ou au «café du commerce». Selon le Père François Bousquet[3], étant donné l’universalisme de la religion catholique, la liste des théologiens est déjà longue, elle couvre toutes les régions du globe (ex. Panikkar dans le sud-est asiatique, Knitter aux USA, Dupuis en Europe, etc.). Le cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI, entre dans le débat avec Dominus Iesus (2000)et le Discours de Ratisbonne (2006). Selon le Père Bousquet, le discernement des esprits est ici plus que jamais requis, tandis que quelques pistes s’ouvrent sur ces dossiers sensibles. Par leur travail de réflexion et par la prière, les théologiens arrivent «aux frontières» (Pape François); ils ont une meilleure connaissance de Dieu, chacun n’a jamais fini de découvrir la Vérité qui le fait vivre.

Pour le Professeur Olivier Rey, le dialogue est basé sur l’altérité : L’altérité est le caractère de ce qui est «autre», la différence est le caractère ou l’ensemble de caractères qui appelle une distinction entre chose ou être. Elle suppose une comparaison à partir d’un fond commun[4].

Quellle que soit la religion, face à un cœur non dilaté, influencé par une peur incontrôlée, les dangers sont : le repli (clan, ethnie, etc.), le sentiment identitaire poussé au paroxysme, la communautarisation excessive (fanatisme exacerbé)[5].

Le Prof. Rey poursuit son idée : La différence peut initier ou alimenter des conflits. Conflit entre liberté et égalité. L’égalité est entretenue par une saine limitation de la liberté personnelle ou collective. Il peut encore ajouter : Les principes sont utiles pour ordonner la pensée, mais deviennent nocifs quand on prétend tout régler à partir d’eux, sans égard pour la singularité des situations. La seule voie sensée, sur ce terrain, est celle des accommodements raisonnables[6].

Nous ne pouvons négliger la rencontre à Assise, le 27 octobre 1986, en présence de Jean-Paul II, qui a insisté sur le respect et l’obéissance à la voix de la conscience individuelle, élément essentiel sur la route vers un monde meilleur et pacifié.

Lors du 25e anniversaire célébré à Assise et Rome, le 28 octobre 2011, Benoît XVI a repris l’idée, il a reconnu la bonne volonté des personnes qui cherchent la vérité qui désirent construire un monde meilleur.

Enfin, ce 26 novembre 2013, le pape François a publié une exhortation apostolique[7] Evangelii Gaudium. Il y écrit (n° 250) : Une attitude d’ouverture en vérité et dans l’amour doit caractériser le dialogue avec les croyants des religions non chrétiennes, malgré les divers obstacles et les difficultés, en particulier les fondamentalismes des deux parties. Ce dialogue interreligieux est une condition nécessaire pour la paix dans le monde, et par conséquent est un devoir pour les chrétiens, comme pour les autres communautés religieuses. Ce dialogue est, en premier lieu, une conversation sur la vie humaine, ou simplement, comme le proposent les évêques de l’Inde, une «attitude d’ouverture envers eux, partageant leurs joies et leurs peines». Ainsi, nous apprenons à accepter les autres dans leur manière différente d’être, de penser et de s’exprimer. De cette manière, nous pourrons assumer ensemble le devoir de servir la justice et la paix, qui devra devenir un critère de base de tous les échanges. Un dialogue dans lequel on cherche la paix sociale et la justice est, en lui-même, au-delà de l’aspect purement pragmatique, un engagement éthique qui crée de nouvelles conditions sociales. Les efforts autour d’un thème spécifique peuvent se transformer en un processus dans lequel, à travers l’écoute de l’autre, les deux parties trouvent purification et enrichissement. Par conséquent, ces efforts peuvent aussi avoir le sens de l’amour pour la vérité.

Le pape François, recevant le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, a parlé de son refus de la pensée unique; il a dénoncé la peur servile de la différence, François s’est opposé à une «fraternité de "laboratoire"». Chacun doit être lui-même, ferme dans sa foi pour vivre l’altérité.

Nous pouvons ainsi constater une évolution de la pensée catholique vis-à-vis de la question interreligieuse depuis Vatican II. Nous espérons qu’à travers cette pacification du lien avec les autres religions, l’Eglise pourra jouer dans le futur un rôle plus pacificateur, se dirigeant vers un monde nouveau et une terre nouvelle (Is 65, 17; 66, 22).

 

 


[1] Séguy Jean, Les conflits du dialogue, Cerf, coll. Sciences humaines et religions, 1973, p. 8-9 et 91. cf. Social Compass, (XV 6 1968 p. 433-442).

[2] Cottier Georges (cardinal), Un témoignage sur le Concile, In Centro Vaticano II (XVII), Studi e ricerche, Lateran University Press, VI/1(2012), p. 39-40.

[3] Bousquet François (prêtre, prof.), Les enjeux théologiques du pluralisme religieux in Communio, Le Christ et les religions, 193-194(2007), p. 31-43

[4] Rey Olivier (Prof. Paris I), Que faire des différences ? in Recherche de Science religieuse, 101/3(2013), p. 329-350.

[5] Geoffroy Martin, Vaillancourt Jean-Guy, Gardaz Michel (Dir.), La mondialisation du phénomène religieux, Mediaspaul, 2007.

[6] Rey Olivier (Prof.), Que faire des différences ?; op. cité, p. 344.

[7] François (pape), Exhortation apostolique Evangelii Gaudium sur l’annonce de l’Evangile dans le monde d’aujourd’hui, p. 140-141 – Conférence des Evêques de l’Inde, Déclaration finale de la 30e Assemblée générale : The Church’s Role for a Better India (8 mars 2012), 8.9. 

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