La démocratie, l’abstention et le vote des étrangers

Rédigé le 22 mai 2014 par : Guillaume Sneessens

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Abstention record, désintérêt du citoyen, désillusion, rengaine du « tous pourris », vote sanction, … Chaque période électorale est désormais suivie de son cortège de plaintes et de questionnements.

Chaque période électorale est désormais suivie de son cortège de plaintes et de questionnements. Les dernières élections municipales en France l’ont encore montré, avec une abstention record de 36,3%. Bien qu’en Belgique le vote soit obligatoire, le phénomène existe, certes de façon encore très mesurée. Depuis 2007, cette tendance est toutefois plus nette, principalement en Wallonie et à Bruxelles. Alors que depuis les années ’40 la participation était systématiquement de 91 à 93%, elle tombe aujourd’hui sous la barre des 90%[1].

Le désintérêt flagrant pour la question démocratique, qu’il soit exprimé par l’abstention ou par tout autre mode de dévalorisation du jeu politique, peut laisser penser que les combats du 19ème et de la première moitié du 20ème siècle sont très loin.

A l’époque, les citoyens se battaient pour obtenir le droit de voter, avec pour résultat l’extension progressive du droit de vote et de l’éligibilité à tous les citoyens, jusqu’au suffrage universel mixte depuis le 27/03/1948.

Aujourd’hui, le droit est acquis, on se donne le luxe de le prendre de haut. Ceux qui s’engagent sont pourris, et ceux qui votent font un acte inutile, pensent tout haut ceux qui croient être les audacieux porte-paroles d’une majorité réduite au silence.

Sont-ce les mêmes qui pensent que le droit de vote des étrangers vise à obliger les enfants à manger hallal à la cantine, comme Claude Guéant semble le penser[2] ? Ce serait étrange, le vote et l’engagement politique retrouveraient soudain un pouvoir à leurs yeux, qu’ils n’avaient pas quelques instants plus tôt. Et pourtant, difficile de ne pas voir un lien entre deux discours également simplistes et populistes.

L’extension du droit de vote, une œuvre toujours inachevée

Déjà il faut se dédire, les combats pour l’obtention d’une place dans le système démocratique ne se sont pas arrêtés au suffrage universel mixte, même si dans l’imaginaire universel, il s’agissait d’un aboutissement.

L’extension du droit de vote et de l’éligibilité n’a pourtant jamais cessé depuis :

- 1969 : droit de vote rabaissé à 18 ans (à la place de 21 ans) pour les élections communales ;

-  1981 : droit de vote rabaissé à 18 ans pour toutes les élections ;

-  1982 : éligibilité ramenée à 21 ans pour les élections communales ;

-  1991 : éligibilité ramenée à 18 ans pour les élections communales ;

-  1993 : éligibilité ramenée à 21 ans pour les parlements ;

- 1994 : Extension du droit de vote et d’éligibilité aux résidents ressortissants d’Etats membres de la CEE pour les élections européennes.

 Fallait-il s’arrêter là ?

Le traité de Maastricht et la citoyenneté de l’Union

L’article 8, 1 du traité de Maastricht dispose :

« Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre. »

L’article 8B instaure un droit de vote et une éligibilité pour les citoyens de l’Union aux élections communales, dont les modalités sont fixées dans une directive 94/80 du conseil de l’Union européenne qui commence de la façon suivante :

« Le traité de l’Union européenne constitue une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe ; que l’Union a, notamment, pour mission d’organiser de façon cohérente et solidaire les relations entre les peuples des Etats membres ; qu’elle compte, au nombre de ses objectifs fondamentaux, celui de renforcer la protection des droits et des intérêts des ressortissants de ses Etats membres par l’instauration d’une citoyenneté de l’Union. »

Une union sans cesse plus étroite, dit le texte… Plus de 20 ans après ce traité, n’est-il pas temps de poser la question d’une extension à d’autres élections que les élections communales, du droit de vote  et de l’éligibilité des ressortissants des Etats membres de l’Union ? Pour que réellement, l’Union soit sans cesse plus étroite ?

La question des résidents étrangers hors Union européenne

Lorsqu’il fut nécessaire de transposer la directive relative au droit de vote des européens aux élections communales, fut très vite posée en Belgique la question de la légitimité d’un traitement différencié des étrangers non européens.

Un événement tragique renforce ce débat : le décès de Loubna Benaïssa. Le processus d’identification à la victime, la difficulté morale de faire une différence entre les victimes suivant leur nationalité, l’émoi populaire, poussent certains politiciens à faire des déclarations publiques dans le sens d’une extension.

Jean-Luc Dehaene, alors premier ministre, prendra position clairement dans ce sens. Louis Michel dira : « Tant d’un point de vue intellectuel qu’humain, il me paraît difficile de défendre la thèse de l’octroi d’un droit de vote pour les étrangers de l’Union européenne pour les élections communales tout en refusant ce même droit aux étrangers hors Union européenne. » Mais à l’époque il est encore bien seul à le penser, dans son parti.  D’autres parlementaires s’engagent en faveur de ce droit de vote et déposent plusieurs propositions de loi : notons notamment celle du sénateur Roger Lallemand, ainsi que celle du député Vincent Decroly.

Mais il fallut du temps encore pour que les choses soient concrétisées, jusqu’à cette extension du droit de vote, en 2004, pour les élections communales, aux résidents étrangers hors Union européenne après 5 ans de résidence légale, et à condition de s'inscrire sur les listes électorales et de signer un document dans lequel ils s'engagent à respecter la Constitution et les lois belges, et la Convention européenne des droits de l'homme.

Ils n’ont pas renversé la table

Après toutes ces tergiversations, l’octroi du droit de vote aux étrangers aux élections communales n’a pas bouleversé la vie politique belge, et pour cause.

Alors qu’environ 7.857.819 citoyens belges résidant en Belgique sont appelés aux urnes lors d’élections, la Belgique ne compte que 148.696 électeurs étrangers non européens potentiels, et 651.641 électeurs européens potentiels, soit respectivement 1,71% et 7,52% du corps électoral.[3] Ils ne furent toutefois que 20.571 électeurs étrangers non européens à s’inscrire en 2012, et 120.826 citoyens communautaires, soit respectivement 0,25% et 1,51% du corps électoral.

Pas de quoi fouetter un chat, ni renverser une table, ni encore moins nous obliger à manger hallal à la cantine.

Le vote d’intégration

A l’heure où il est très à la mode de parler de parcours d’intégration, pourquoi ne se poserait-on pas la question d’un droit de vote étendu  à d’autres élections que les élections locales, pour les étrangers résidant en Belgique depuis un temps suffisamment long, qui en font la demande ?

Peut-on soutenir que, pour vivre en Belgique, il faut suivre un parcours d’intégration, lequel ne fera jamais de vous des êtres capables de voter ?

Peut-on soutenir que le citoyen belge lui, peut brader le droit que ses ancêtres ont acquis de haute lutte, tandis que l’étranger, quoi qu’il fasse, ne pourra l’atteindre ?

La question mérite à tout le moins d’être posée, sans plus invoquer des peurs dont on sait aujourd’hui qu’elles seraient infondées. 

 


[1] Aux dernières élections législatives fédérales de 2010, le taux de participation s’élevait à 89,2%, dont 87,7% en Wallonie, 82,9% à Bruxelles et 90,9% en Flandre.

[3] Ces chiffres sont ceux des dernières élections communales de 2012 

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