Pourquoi le négationnisme est-il si difficile à combattre ?

Rédigé le 12 octobre 2015 par : Nicolas Bossut

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En invitant Robert Faurisson sur scène en 2008, Dieudonné a fait entrer le négationnisme dans une nouvelle ère, celle du spectacle. Il a dès lors rendu la tâche de ceux qui luttent contre ce discours bien plus difficile. Cependant, Dieudonné n’est pas la seule cause de ce regain de popularité des thèses négationnistes. La faiblesse des arguments de ceux qui s’y opposent y est peut-être aussi pour quelque chose.

Les origines du négationnisme

Dès la fin de la guerre, divers militants tendent à dénoncer le prétendu pouvoir occulte des Juifs sur les affaires du monde en leur faisant porter la responsabilité de la seconde guerre mondiale et mettant peu à peu en doute l’existence des chambres à gaz qui fait pourtant l’objet d’un consensus général des historiens. Ce sont des révisionnistes à l’instar de Paul Rassinier, le plus célèbre d’entre eux.

Dans les années qui suivent, d’autres militants tel que Robert Faurisson passeront un cap supplémentaire en niant tout simplement l’existence des chambres à gaz, mettant ainsi un point final au processus génocidaire en niant même l’existence du génocide et donc, des victimes de celui-ci. On parle désormais de négationnisme. C’est la quête effrénée de notoriété de Robert Faurisson mais aussi les déclarations provoquantes de Jean-Marie Le Pen sur les chambres à gaz, « détail de l’histoire », qui vont donner une visibilité et une audience plus importante dès la fin des années 70 au négationnisme[1].

La dérive de Dieudonné

Dieudonné est un personnage atypique. Il s’inscrit dans la continuité des thèses de Rassinier et de Faurisson mais en leur donnant une ampleur différente, en leur offrant les clés d’un succès populaire.  

Si, à ses débuts, il dénonçait dans ses spectacles le racisme et la discrimination de la société française, son discours a progressivement évolué vers l’antisémitisme et la mise en concurrence des victimes de ce même racisme qu’il dénonçait précédemment.

Pour lui, les choses sont simples. Dans une conférence de presse donnée à Alger en février 2005[2], il explique que les ancêtres des Français d’aujourd’hui ne sont pas tous forcément gaulois. Certains de ces ancêtres ont été victimes de la traite négrière, ont été victimes de la colonisation mais, selon lui, ce passé de souffrance est nié, voire méprisé, par le « lobby sioniste » qui cherche à s’accaparer le monopole de la souffrance à son seul profit. C’est à cette occasion que Dieudonné utilise pour la première fois l’expression « pornographie mémorielle », aujourd’hui passée à la postérité.

Cette conférence de presse résume en 3 minutes toute la dérive de Dieudonné. Partant d’une indignation toute légitime quant au manque de considération apportée dans la société française à l’égard de la mémoire de l’esclavage et de la colonisation, il en arrive à accuser les Juifs de disposer d’un pouvoir occulte dans la monde des médias, de la politique et du cinéma pour pouvoir mettre en avant la seule Shoah.

Ce qu’oublie Dieudonné, c’est que le scandale n’est pas de parler de la Shoah. Le scandale, c’est qu’on ne parle pas assez de l’esclavage et de la colonisation. Par ailleurs, si on parlait moins de la Shoah, il est très loin d’être sûr qu’on parle plus de l’esclavage et de la colonisation. Il n’y a pas de vases communicants dans le débat public.

C’est cette dérive dans laquelle Dieudonné va progressivement s’enfoncer qui va l’amener à inviter sur scène Robert Faurisson, militant négationniste plusieurs fois condamné pour « incitation à la haine raciale » et « contestation de crime contre l’humanité ». Ce faisant, il offre à cette icône de l’extrême-droite une tribune sans précédent mais il fait surtout entrer la négationnisme dans l’ère du spectacle, lui permet d’entrer dans toutes les chaumières.

Le rôle et l’impact du révisionnisme et du négationnisme

Le discours révisionniste et négationniste est un discours éminemment politique qui se pare des atours de la science. Ainsi, Paul Rassinier, Robert Faurisson ou Rober Garaudy[3], en prétendant que les chambres à gaz ne seraient plus que des rumeurs ou en niant leur existence, n’adoptent aucunement une position de scientifiques[4], ils font de la politique. Ce discours soutient finalement l’idée que les Juifs auraient inventé eux-mêmes la Shoah  pour tirer profit du sentiment de culpabilité de l’opinion face à l'ampleur des massacres afin de faciliter la création de l’Etat d’Israël. Pour Rassinier, Faurisson ou Garaudy donc, ce serait aux survivants des camps de prouver qu’ils n’ont pas menti pour servir, comme ils le prétendent, les intérêts des Juifs et du jeune Etat d’Israël[5].

Les victimes de la Shoah deviennent ainsi les bourreaux et les bourreaux, nazis, collaborateurs et leurs successeurs, se présentent comme des victimes. Cette inversion des charges n’est pas innocente. Elle est une nécessité politique qui permet de « faire sauter l’un des obstacles majeurs à la renaissance d’une extrême-droite audible »[6].

On le voit bien, révisionnisme et négationnisme s’appuient par ailleurs sur la tradition de l’antisémitisme et la revivifient. Le Juif reste au cœur du complot dénoncé par le Protocole des sages de Sion[7]. C’est désormais un bourreau qui se présente comme une victime, qui manipule l’opinion pour mieux faire accepter son projet de domination du monde dont la première étape consiste en l’établissement de l’Etat d’Israël.

Mais le discours révisionniste et négationniste vient bien plus loin. Il est l’aboutissement du processus génocidaire. Il ne s’agit pas en effet de se dédouaner de toute responsabilité, il s’agit au contraire de terminer l’œuvre en effaçant jusqu’au souvenir du peuple génocidé. 

Les difficultés de la lutte contre le négationnisme

Faurisson et Dieudonné jouent chacun à la manière sur deux libertés fondamentales qu’ils dévoient pour faire accepter leur discours politique antisémite. Le premier joue sur la liberté académique et l’autre sur la liberté d’expression.

Commençons donc par Robert Faurisson. Ce dernier s’appuie sur son statut d’universitaire et sa liberté académique pour autoriser et légitimer ses dires. Le code français de l’enseignement édicte en effet que les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires les principes de tolérance et d'objectivité. Or, les procédés de Faurisson et ses amis négationnistes ne respectent justement pas ces principes de tolérance et d’objectivité. Ils n’hésitent pas à mentir, à dissimuler des informations, à falsifier des documents ou des informations et à employer des méthodes hypercritiques[8] pour arriver à leurs fins. Ils ne peuvent donc se targuer de la liberté académique puisqu’ils n’en respectent pas les conditions.

Pourtant, pendant longtemps, le monde universitaire hésité à affirmer avec vigueur que Robert Faurisson n’avait rien à voir avec leur monde. Par corporatisme ou par faiblesse, Faurisson ne fut jamais exclu et finit par partir à la retraite en 1995 avec le titre de professeur des universités. Pire, il a fallu attendre des années avant qu’un démenti systématique de ses dires lui soit opposé sur le terrain purement scientifique. Certains estimaient peut-être que c’était lui faire trop d’honneur … ? Entretemps, le mal était fait et le négationnisme avait pour certains acquis le parfum d’une théorie scientifique.

Dieudonné quant à lui joue sur autre liberté. Il s’appuie sur Faurisson, raison pour laquelle il l’invite sur scène, mais se place dans un autre registre, celui de l’humoriste et du citoyen disposant de la liberté d’expression. Dieudonné semble penser que l’humour peut le dédouaner de toute responsabilité et que sa liberté d’expression est absolue. C’est pourtant loin d’être le cas[9].

« Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » est une maxime attribuée au révolutionnaire Saint-Just et qui trouve écho dans la jurisprudence européenne. Les juges européens ont en effet estimé que les autorités étaient en droit de privilégier la lutte contre le racisme, et donc contre les discours négationnistes, face à une liberté d’expression irresponsable et portant atteinte à la dignité, voire à la sécurité de certaines parties de la population[10]. C’est à ce titre que des lois ont été mise en place en Belgique ou France pour condamner l’incitation à la haine ou la négation de la Shoah et c’est sur cette base que Dieudonné est condamné à plusieurs reprises. La justice a en effet estimé que ses propos ou ses sketchs constituaient de réels appels à la haine.

N’en reste pas moins que malgré ses condamnations, Dieudonné continue les provocations, à proclamer sa liberté absolue d’expression. Reconnaissons-le, cette assurance qu’il a, jette un malaise et un doute. Beaucoup ne connaissent pas la subtilité de la loi mais aussi ne voit pas à mal. L’impératif de lutte contre le racisme est-il suffisant pour justifier une limitation de cette fameuse liberté d’expression. Michel Dreyfus résumait bien l’enjeu dans le Monde début 2014 : « La liberté d’expression est un impératif indiscutable, mais cela ne doit pas pour autant conduire à un relativisme au nom duquel toutes les opinions seraient valables. [11]» C’est en effet là que le bât blesse.

Outre ces considérations politiques, les provocations de Dieudonné forme son fond de commerce : produits dérivés, « spectacles », maison d’édition, … L’homme n’hésite pas à faire cracher ses fans au râtelier en justifiant les prix exorbitants par le nécessité dans laquelle il est de payer les amendes que la justice lui impose.

Pourquoi lutter contre le négationnisme nécessite de quitter sa zone de confort 

Dans ce contexte où le discours négationniste est parvenu grâce à Robert Faurisson de sortir de la clandestinité et grâce à Dieudonné de pénétrer dans toutes les chaumières, il apparaît nécessaire de renforcer la lutte contre ce qui apparaît être un projet politique d’extrême-droite, antisémite et s’inscrivant dans la continuité d’un génocide.

Se contenter de faire condamner n’est plus suffisant. Il faut faire plus que cela si nous voulons éviter de nous voir affublé du costume du tyran qui cherche à étouffer une vérité innommable, si nous voulons éviter de faire de Faurisson et de Dieudonné des victimes d’un « système », probablement aux mains du « lobby juif ». 

Pour lutter contre le négationnisme, il faut descendre dans l’arène. Il faut expliquer à quel point le discours de Faurisson et de Dieudonné est un discours politique, un discours d’exclusion et de haine, un discours qui n’aide personne. Il faut expliquer la supercherie pseudo-scientifique qui se cache derrière le négationnisme. Il faut expliquer ce qu’est réellement l’esprit critique, en quoi consiste la liberté d’expression et pourquoi Faurisson et Dieudonné n’y ont pas droit.

C’est parce que nous avons hésité à descendre dans l’arène et que nous nous sommes camouflés derrière la loi que le négationnisme a aujourd’hui tellement le vent en poupe.

 

 


[1] DREYFUS M., « L’antisémitisme de Dieudonné ou le négationnisme à l’ère des masses », in Le Monde, 10 janvier 2014 et DREYFUS M., L’antisémitisme à gauche : histoire d’un paradoxe, Paris, 2009

 

[2]http://www.dailymotion.com/video/xgpl6_dieudonne-conf-presse-alger-17-02-2_news

[3] Roger Garaudy est un militant communiste exclu de parti, converti au catholicisme, puis à l’Islam et qui évolue progressivement de l’antisionisme au négationisme. Ses thèses ont un impact important dans les pays arabes.

[4] Paul Rassinier se présente comme un témoin critique. Il s’appuie sur sa propre déportation au camp de Dora-Mittelbau qui était destiné à la fabrication de missile V2 pour assoir sa légitimité. Robert Faurisson est quant à lui maître de conférence en littérature contemporaine à l’Université de Lyon II. Aucun n’a de formation d’historien. 

[5] ROUSSO H., Les racines du négationnisme en France, Cités 4 (4): 51-62, 2009

[6] Ibidem

[7] Le Protocole des sages de Sion est un document écrit en 1901 par des agents de la police politique tsariste. Il visait à faire croire qu’un conseil de sages juifs avait établi un plan en vue d’anéantir la chrétienté et de dominer le monde. Le Protocole des sages de Sion connut un grand succès, participa au renforcement spectaculaire de l’antisémitisme moderne et servit de pièce maîtresse dans la propagande du Troisième Reich.

[8] La méthode hypercritique consiste à « monter en épingle » des faits exacts, mais insignifiants ou isolés, pour en tirer des conclusions qui vont à l'encontre de ce que l'examen de l'ensemble des faits connus implique. S'il est prouvé qu'une personne s'est trompée ou a été peu précise lorsqu'elle témoignait sur les chambres à gaz, certains négationnistes présenteront ce fait comme une preuve que tout le témoignage est mensonger, puis par extension que tous les témoins mentent ou se trompent. C'est la

« théorie des dominos ». (« Négation de la Shoah », in fr.wikipedia.org)

[9]DE VILLENAUT B., Liberté d’expression en Belgique, une approche du cadre légal, in www.bepax.org

[10] HERVIEU N., Le négationnisme, prime révélateur du dilemne européen face à la lutte contre l’extrémisme, La Revue des droits de l’homme, Janvier 2014

[11] DREYFUS M., « L’antisémitisme de Dieudonné ou le négationnisme à l’ère des masses », in Le Monde, 10 janvier 2014  

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