Quel parcours d’accueil pour les nouveaux arrivants ?

Rédigé le 23 décembre 2015 par : Sarah Pochet

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En juillet 2013, la Commission communautaire française (COCOF) se dotait d’un décret instaurant un « parcours d’accueil pour primo-arrivants en Région de Bruxelles-Capitale ». En ce sens, les Bruxellois francophones rejoignaient le mouvement visant à établir des dispositifs d’intégration des personnes étrangères, entamé dès la fin des années 90 dans de nombreux pays et singulièrement en Europe.

Ainsi, en Belgique, en 2003, la Flandre fut la première à lancer un « Inburgering » ou « parcours d’intégration civique » pour les immigrés. La Région wallonne, quant à elle, adoptait un décret similaire en 2014, quelques mois après la COCOF. Que l’on parle de parcours d’accueil ou d’intégration, la mise en place de ces dispositifs démontre la volonté des autorités publiques d’intervenir sur l’intégration des nouveaux arrivants sur leur territoire, dès lors qu’elles jugent qu’une réponse doit être apportée par leurs soins.

Si cette question a fait son apparition dans de nombreux pays, il faut néanmoins relever que les orientations législatives en la matière ont pris des formes et objectifs divers et qu’elles ont souvent été l’objet de controverses. On peut en tout cas se demander pourquoi les francophones de Bruxelles et de Wallonie ont adopté des décrets beaucoup plus tardivement que les Flamands et si des éléments particuliers ont joué dans cette prise de décision. Pour répondre à cette question, un détour par l’histoire - institutionnellement mouvementée des politiques belges d’accueil des étrangers - s’impose.

Aperçu historique

En Belgique, les premières mesures politiques en matière d’intégration des étrangers s’opèrent dès la Libération. Quatre étapes, liées à la fédéralisation du pays, organisent la tutelle de la compétence, qui sont synthétisées dans le tableau 1 (tiré de Ilke Adam, Les entités fédérées belges et l'intégration des immigrés : politiques publiques comparées, Université libre de Bruxelles, 2013).

De 1946 à 1974 : compétence nationale - Politique d’accueil des travailleurs immigrés

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, et à l’instar de ses pays voisins, la Belgique établit une politique de recrutement de travailleurs étrangers (Italiens puis Espagnols, Grecs, Turcs, Marocains, Tunisiens[1]…) pour pallier une pénurie de main d’œuvre dans son secteur du charbon (décès de guerre, lente désertion des mineurs belges et remplacement des prisonniers de guerre). C’est le ministre de l’Emploi et du Travail qui a la charge de la politique d’accueil des travailleurs migrants. Mais à vrai dire, quasiment rien n’est prévu pour cet accueil.

Ainsi, les mesures publiques progressivement mises en place seront très modestes et favoriseront un minimum de bien-être social et économique. En réalité, elles seront prises essentiellement pour maximiser la rentabilité des travailleurs étrangers.   Les principales actions publiques de la politique d’accueil sont consacrées au salaire des conseillers religieux et moraux qui accompagnent les migrants, ainsi qu’au financement des frais de voyage des familles des travailleurs. Une toute petite part du budget global est également allouée à la création, au milieu des années 60, de trois institutions provinciales d’immigration et d’accueil dont le rôle principal est la tenue de permanences juridiques et sociales. Elles proposent également de l’alphabétisation et des activités culturelles, bien que leurs ressources restent très précaires.   À cette époque, un autre acteur essentiel se charge d’assurer les mêmes mesures d’accompagnement et d’accueil des travailleurs immigrés : les organisations syndicales.  

De 1974 à 1980 : compétence régionale - Politique d’accueil des travailleurs immigrés

La compétence est transférée vers les Régions par la loi du 1er août 1974 (Sénat : 1974) créant des institutions régionales à titre préparatoire. Celle-ci remet en effet la politique d’accueil des travailleurs immigrés aux mains des secrétaires d’État aux Affaires régionales. Même si l’Arrêté royal du 28 février 1975 détaille la « politique d’accueil des travailleurs migrants », les Régions n’apportent aucune modification à celle-ci durant les quelques années où la compétence leur est attribuée.

1974 est également l’année où l’État met un terme à la politique de recrutement à l’étranger : la crise du pétrole est passée par là et le début de la récession engage les pays européens à mener des politiques « d’immigration zéro ».

Il est toutefois à relever que des acteurs externes à l’État se mobilisent. Entre 1970 et 1980, les organisations syndicales, les organisations des immigrés et des intellectuels portent trois revendications en faveur des étrangers : une législation luttant contre le racisme, une véritable loi qui gère le statut des étrangers et le droit de vote aux élections locales. Mais les réformes sont lentes et les mesures publiques à l’égard des immigrés restent faibles.

 De 1980 à 1993 : compétence communautaire – Politique d’accueil et d’intégration des immigrés

En 1980, la politique publique est reformulée sous l’intitulé « accueil et intégration des immigrés » lors de son transfert aux Communautés. Hormis la réglementation liée à l’emploi des travailleurs immigrés qui est maintenue au niveau des Régions (dimension économique), le reste est transféré aux Communautés (assistance aux personnes). L’intégration apparaît officiellement dans les textes, la référence aux « travailleurs » est supprimée. On vise désormais les immigrés dans leur ensemble. On soulignera également le glissement du concept de l’accueil cantonné jusque-là à la sphère économique, vers la sphère sociale et culturelle.

Les mesures prises consistent à indemniser les conseillers religieux et laïques, à subsidier quatre centres sous-régionaux (qui dispensent informations et formations à l’attention des immigrés) et à allouer des budgets à quelque deux cents associations visant l’insertion et le développement identitaire des personnes d’origine étrangère.

De 1993 à nos jours : compétences communautaire et régionale – Politique d’accueil et d’intégration des immigrés

Au niveau institutionnel, un nouveau changement s’opère côté francophone à partir de 1993. La politique d’aide aux personnes, qui comprend l’accueil et l’intégration des immigrés, est transférée de la Communauté française vers la Région wallonne et la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-capitale (COCOF).

Désormais, la politique d’accueil et d’intégration dépend donc de trois niveaux de pouvoir : la Région wallonne, la COCOF (Bruxelles) et la Communauté flamande (qui exerce en Flandre et à Bruxelles puisqu’elle a fusionné, en 1980, ses institutions régionale et communautaire). Dès ce moment, des politiques différentes se développent, les migrants sont confrontés à trois législations : le décret wallon de 1996 relatif à l’intégration des personnes étrangères et d’origine étrangère instaurant la création de Centres Régionaux d’Intégration (CRI), le décret flamand de 1998 sur les minorités ethniques et culturelles instaurant entre autres la subsidiation des groupements associatifs issus de l’immigration ou encore le décret COCOF de Cohésion sociale.

L’arrivée des parcours d’accueil et d’intégration pour primo-arrivants

Les premiers dispositifs spécifiques d’intégration pour primo-arrivants vont voir le jour à partir de la fin des années 1990. En 2004, on compte sept pays parmi les initiateurs européens : la Finlande, le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique (Vlaamse Gemeenschap), la France, l’Allemagne et l’Autriche. Dans la littérature, trois facteurs sont avancés pour permettre d’expliquer l’émergence de programmes visant l’accueil et l’intégration des nouveaux arrivants.

Premièrement, à partir de 2000, le discours européen relatif à l’immigration se modifie. Le Sommet de Tampere [Finlande] (octobre 1999), où a eu lieu un Conseil européen extraordinaire pour définir « les priorités et les orientations politiques pour la réalisation de la mise en œuvre d'un espace de liberté, de sécurité et de justice » met fin au dogme de l’immigration zéro. L’Europe reconnaît l’utilité, voire la nécessité d’une nouvelle ouverture aux migrants et vise une politique commune en matières d’asile et d’immigration.
Le Centre pour l’Égalité des Chances et la Lutte contre le Racisme avance d’ailleurs qu’« Un signal fut donné : il ne fallait plus s’en remettre à des processus spontanés désormais inopérants pour que les migrations, qui n’avaient jamais cessé, s’accomplissent désormais dans les meilleures conditions. La mise sur pied progressive de politiques publiques spécifiques d’accueil des primo-arrivants doit être comprise comme un signe positif à l’égard des nouveaux migrants qui doivent pouvoir bénéficier d’un accompagnement renforcé afin de surmonter aussi rapidement que possible les difficultés liées à tout exil, et ce dans l’intérêt bien compris de toute la société[2] ».   Deuxièmement, si le facteur principal d’intégration des étrangers était initialement le monde du travail et s’il existait une relative similarité dans le profil des migrants (« travailleurs migrants peu ou pas scolarisés originaires d’un nombre limité de pays »), les caractéristiques migratoires sont désormais fortement bouleversées. Les associations de terrain et les autorités publiques vont faire face à des personnes dont tant les origines et la situation socio-économique que les motifs de migration seront des plus divers. Il ne s’agit plus de se concentrer sur un public relativement homogène d’anciens migrants et leurs descendants, mais bien de réinterroger les besoins en termes d’actions. Les nouveaux migrants ou « primo-arrivants » deviennent ainsi le public cible principal auquel il faut apporter des réponses.

Troisièmement, les politiques d’intégration menées jusque-là vont progressivement faire l’objet d’évaluations et constats divers. Les mesures prises n’ont pas toujours débouché sur les résultats escomptés. D’aucuns relèvent un échec des politiques qui n’ont pas permis aux anciens migrants de « réussir » leur installation dans le pays (taux de chômage plus important que le reste de la population, tensions sociales, discriminations, méconnaissance de la langue et des institutions, faible niveau d’éducation ou de qualification…). Un certain consensus émerge sur la nécessité d’apporter un accompagnement particulier aux immigrés. Ceci se déroule dans un contexte de montée de l’extrême droite aux élections et d’émeutes de jeunes à Bruxelles qui visibilisent les questions d’immigration : « La politique en matière d'immigration connaît à partir de 1988 une accélération, à la suite d’événements parmi lesquels les résultats des partis d'extrême droite aux élections communales de 1988, régionales et européennes de 1989 ainsi que législatives et provinciales de 1991, et les troubles qui ont éclaté dans certaines communes bruxelloises[3] ».

En tout cas, quels que soient les constats et les problèmes cernés, à l’époque déjà, les pistes de solution feront l’objet d’approches variées : insister avant tout sur l’apprentissage de la langue et la connaissance des lois du pays, miser sur un accompagnement offrant les outils d’appréhensions sociale et culturelle… Une piste rassemble néanmoins : agir dès l’arrivée du primo-arrivant.

La Flandre, dix ans avant les francophones

La Belgique n’échappe pas à la réflexion, et c’est la Flandre qui, la première, va mettre en place un parcours d’intégration civique en 2003. L’Inburgering ou parcours d’intégration civique est porté par le Gouvernement flamand de 1999-2004, coalition VLD, SP et Groen (Libéraux, Socialistes et Verts). Il entrera en vigueur le 1er avril 2004 et sera la copie conforme (Adam, 2008) de l’intégration civique des Pays-Bas qui l’appliquent depuis 1998.

Le parcours civique sera obligatoire en Flandre et facultatif à Bruxelles, où aucune obligation ne peut être appliquée sans législation commune avec les autorités francophones bruxelloises. Il s’adresse aux primo-arrivants, mais ne se limite pas à ceux-ci, puisque la Flandre va l’étendre aux personnes étrangères inscrites sur le territoire flamand. Il consiste en des cours de néerlandais et d’intégration civique, ainsi que des cours d’orientation sociale et d’orientation professionnelle.  

Côté francophone, dix ans passeront avant que des législations similaires soient prises en la matière : juillet 2013 pour la COCOF et mars 2014 pour la Région wallonne (RW ; 2014).

Le 18 juillet 2013, la COCOF a donc, à son tour, voté un décret « relatif au parcours d'accueil pour primo-arrivants en Région de Bruxelles-Capitale ». À Bruxelles, il existe de ce fait deux parcours destinés aux primo-arrivants : celui de la COCOF, et celui de la Communauté flamande (dont les cours sont également donnés en français, le cas échéant). L’objectif du décret est « d’accompagner les bénéficiaires à titre individuel afin qu’ils puissent mener leur vie de manière autonome et accroître leurs participations sociale, économique et culturelle ». En l’absence d’accord avec la Vlaamse gemeenschapscommissie (VGC ou Commission communautaire flamande), le dispositif ne revêt pas de caractère obligatoire. Seule une « ordonnance » de la Commission communautaire commune (COCOM) de Bruxelles-Capitale pourrait, le cas échéant, l’imposer. S’il en a été question durant les débats au sein du Collège de la COCOF lors de la rédaction de proposition du décret, contrairement à la Flandre et la Région wallonne, le texte COCOF (comme le texte flamand bruxellois) n’a pas force obligatoire pour les primo-arrivants. Il est par ailleurs gratuit pour ses bénéficiaires. Reste désormais à voir dans quelle mesure les bureaux d’accueil qui devront ouvrir au tout début de l’année 2016 seront à même de répondre à une demande qu’on peut supposer massive, et si cette réponse sera adéquate par rapport aux attentes largement non exprimées des primo-arrivants.    

Le concept de primo-arrivant ne fait pas l’objet d’une définition univoque. On pourrait communément y voir la dénomination des personnes étrangères qui arrivent pour la première fois sur un territoire, mais de nombreux paramètres y sont régulièrement intégrés tels que le délai d’arrivée, la durée de présence, le statut, le type de séjour, l’âge… Le terme recouvre donc parfois des significations différentes selon les acteurs en présence et les pays. À ce jour donc, aucune définition commune n’a pu être établie. Cela dit peut-être déjà quelque chose en soi de la difficulté d'établir un public précis, ne fût-ce que pour définir une politique publique ou comparer les statistiques qui émanent de différentes instances. Par ailleurs, en l’absence de décret, sans doute personne ne se sent ou ne se définit comme « primo-arrivant ».

À titre d’exemple, la définition arrêtée par le décret COCOF est la suivante : « la personne étrangère séjournant légalement en Belgique depuis moins de trois ans et inscrite au registre des étrangers d’une commune de la région de Bruxelles-Capitale disposant d'un titre de séjour de plus de trois mois ».

Mais, concrètement, que propose le décret COCOF ?

Volet 1 (menant à une attestation de suivi) : se présenter à un Bureau d’Accueil pour Primo-Arrivant (BAPA) afin d’y réaliser :

-         un bilan linguistique

-         un bilan social

-         une information sur les droits et devoirs

Volet 2 (menant à une attestation de suivi) : le cas échéant, l’établissement, sur base volontaire, d’une « convention d’accueil » offrant :

-         une formation linguistique

-         une formation à la citoyenneté

-         une orientation d’insertion socio-professionnelle

-         un accompagnement dans les démarches administratives

L’arrêté d’exécution du décret du 24 avril 2014 détaille les modalités d’application des mesures portées par le décret (subventions associations, création BAPA, etc).

 


[1] En 1957, un an après la catastrophe de Marcinelle, l’Italie suspend l’émigration vers la Belgique. Celle-ci fait alors appel à d’autres pays (http://www.vivreenbelgique.be - Histoire de l’Immigration).

[2] CIRÉ et CECLR, L’accueil des primo-arrivants en région de Bruxelles-Capitale, Administration de la Commission communautaire commune, 2007.

[3] Blaise P. ET Martens A., (1992), « Des immigrés à intégrer. Choix politiques et modalités institutionnelles », Courrier hebdomadaire du CRISP, 1992/13-14 n° 1358-1359.

 

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