Racisme et santé : Quels liens ? Quels impacts ?

Rédigé le 27 août 2018 par : Betel Mabille

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Aux Etats-Unis, plusieurs études ont été menées sur l’impact du racisme sur la santé physique et mentale des personnes qui en sont victimes. En Europe, de telles études sont quasi inexistantes alors que les acteur-ice-s de la lutte anti-raciste sont unanimes pour affirmer que certaines personnes racisées peuvent somatiser les discriminations qu’elles subissent. Comment aborder cette question quand la recherche scientifique francophone l’esquive ou ne semble pas la considérer comme prioritaire dans la recherche autour du racisme ?

La somatisation, qu’est-ce que c’est ?

La somatisation est une manifestation de notre corps ou de notre psychisme lorsque nous vivons une situation de stress ou de traumatisme. Cela peut se traduire par des symptômes physiques : douleurs, éruptions cutanées, douleurs musculaires, douleurs articulaires, etc. Les manifestations peuvent également se caractériser par des symptômes liés à notre santé mentale comme de l’anxiété, des angoisses ou encore un état dépressif.

La somatisation peut donc être perçue comme une réponse de notre corps à une situation angoissante et récurrente. Les symptômes ne sont parfois pas directement mis en lien avec notre environnement. Les personnes ayant des symptômes somatiques ont parfois besoin de consulter des spécialistes (des médecins, des psychologues, des psychiatres,…) pour arriver à établir un lien entre les manifestations de leur corps et les situations stressantes ou traumatiques auxquelles elles doivent faire face.

Pourquoi est-il intéressant de mettre en lien le racisme et la somatisation ?

Une étude réalisée aux Etats-Unis sur la promotion des diplômé-e-s de 1970 à Yale, nous montre qu’à l’heure actuelle, la majorité des diplômé-e-s noir-e-s de 1970 sont décédé-e-s contrairement à leurs homologues blanc-he-s. Leur taux de mortalité serait trois fois plus élevé que les diplômé-e-s blanc-he-s. Une première hypothèse qui fut confirmée est la difficulté pour les personnes noires aux USA d’avoir accès au milieu médical. Leurs symptômes ne sont pas toujours pris en compte et certains membres du personnel peuvent avoir des stéréotypes et préjugés racistes, ce qui peut avoir un impact sur le traitement de cette population. Cela entraîne donc, en effet, un taux de mortalité supérieur aux personnes blanches. Néanmoins, les statistiques de l’étude présentent un écart trop grand que pour n’être expliquées que par le racisme systémique en milieu hospitalier.

Ainsi, les chercheur-euse-s vont aller plus loin dans leur étude et vont mettre en avant, non pas le racisme présent dans les soins de santé à l’égard des personnes noires, mais plutôt l’impact que le racisme quotidien, à savoir les micro-agressions racistes, a sur la santé mentale et physique des afro-américain-e-s. Ces micro-agressions génèrent un stress constant lié au fait d’évoluer dans un environnement majoritairement blanc et donc potentiellement hostile. Les chercheur-euse-s vont mettre en lien l’impact de ce stress comme étant équivalent à des maladies cardiovasculaires ou mentales : impact sur la tension artérielle, sur la pression sanguine, douleurs abdominales, ulcères, maladies du cœur, facteurs aggravant le cancer.

Les personnes racisées ou vivant des discriminations de manière générale vont être constamment vigilantes et stressées car elles gardent en tête l’idée de subir une agression ou micro-agression. En termes de santé mentale, ce stress peut se traduire par des états dépressifs, de l’anxiété, une faible estime de soi, de l’irritabilité, des troubles de l’alimentation, l’utilisation de substances ou encore de l’agressivité. Les chercheur-euse-s américain-e-s iront jusqu’à dire que les personnes racisées peuvent se trouver dans une impossibilité de projection dans le futur car elles sont constamment dans la survie et l’instant présent.

Les études liant santé mentale, physique et racisme sont donc très récentes malgré le fait qu’elles démontrent l’impact énorme de celui-ci toutes catégories sociales confondues. En effet, même dans les situations où les personnes racisées ont un niveau socio-économique élevé et une facilité d’accès à des soins de santé, leur taux de mortalité reste plus élevé que pour les personnes blanches.

Reconnaître que le racisme peut avoir un impact sur la santé physique et mentale des personnes racisées permet de reconnaître les difficultés inhérentes aux personnes racisées. Aussi, cela permet d’obtenir une vision plus large et plus proche de la réalité du racisme, des micro-agressions ou agressions qui en découlent et de l’impact que celles-ci peuvent avoir. Cela permet également de concevoir le système de notre société empreint de biais racistes comme un système néfaste et dangereux pour la santé d’une partie de sa population. Enfin, cela permet également d’orienter les études et formations des professionnel-le-s de la santé en mettant en avant certaines particularités qu’ils pourraient retrouver chez leurs patient-e-s racisé-e-s.

Si les études prouvent que l’impact du racisme sur la santé est indéniable, il est également important de s’intéresser à l’accueil réservé aux personnes racisées dans le milieu des soins de santé. Aux USA, les études mettent en avant que les professionnel-le-s de la santé sont majoritairement blanc-he-s et peu ou pas formé-e-s aux questions raciales. Ainsi, les patient-e-s peuvent se sentir invalidé-e-s et non légitimes dans leur vécu ce qui peut avoir un grave impact sur leur santé déjà fragilisée.

En Belgique, ce sont les mouvements militants qui mettent cette réalité en lumière…

Si les études aux Etats-Unis nous prouvent que le racisme a bel et bien un impact sur la vie des personnes racisées, en Europe ces constatations ne sont issues que des milieux militants et antiracistes avec un très faible soutien du monde académique et scientifique. Aux Etats-Unis, si quelques études émergent, celles-ci sont souvent axées sur la question du trauma liées à l’esclavage et sur l’impact que celui-ci a sur les populations afro-américaines.

En Belgique, durant l’année 2018, la Zone[1] (Liège) a mis en place un projet intitulé « Afrofeminism in progress ». Ce projet avait pour objectif d’aborder toute une série de thématiques autour des personnes afro-descendantes avec un focus particulier sur les femmes noires. Le projet s’articulait autour de plusieurs ateliers et tables rondes mais également autour de conférences et d’échanges avec un public tantôt mixte, tantôt non mixte.

Dans le cadre de ce projet, BePax s’est intéressé tout particulièrement à l’atelier sur la santé mentale des personnes racisées et principalement afro-descendantes. Notre objectif était d’amener un apport théorique en termes de racisme mais également de questionner les professionnel-le-s de la santé mentale et physique autour des questions raciales. Ces questions étaient-elles abordées dans leur formation ? Avaient-ils conscience des manifestations du racisme dans leur profession ? Comment aborder la problématique du racisme au sein de leur consultation ? Se sentent-ils assez outillés ?

A côté de l’importance donnée aux professionnel-le-s de la santé, il était également important de mettre en avant le vécu des personnes racisées face au système de santé qui s’offre à elles en Belgique.

La préparation de cette rencontre nous a permis de nous rendre compte qu’il y avait une méconnaissance chez les professionnel-le-s de la santé de la définition sociologique du racisme. Le racisme est généralement perçu chez eux-elles comme étant directement lié à des agressions, des violences ou des insultes. Auquel cas, peu d’entre eux-elles pensaient que leurs patient-e-s puissent souffrir de racisme.

Il est donc important pour les professionnel-le-s de la santé d’être au clair avec les notions de racisme primaire et racisme systémique pour comprendre la réalité complexe dans laquelle leurs patients et eux/elles-mêmes évoluent. Si les professionnel-le-s ne contextualisent pas le système dont ils/elles font partie, il est difficile d’appréhender les patient-e-s racisés dans ce système pouvant avoir des impacts sur leur santé physique et mentale.

Durant cette table ronde, la notion de privilège a été abordée sous trois angles différents :

  • La représentation : La présence de personnes racisées dans l’espace public, les médias, les publicités, le monde du travail, etc. et l’impact que cette représentation, qui se veut généralement faible et négative, peu avoir sur les jeunes. En fonction du seuil de tolérance des personnes racisées, cette absence de représentation ou cette représentation uniquement cantonnée à des aspects négatifs peut être vécue comme une agression pouvant potentiellement entraîner une pathologie.
  • L’assignation identitaire : Les stéréotypes et préjugés que l’on assigne à une personne en fonction de son identité. Ceux-ci peuvent constituer un poids lourd à porter sur les épaules des personnes racisées ce qui, comme dit précédemment, entraîne du stress et une possible somatisation.
  • La liberté psychologique : nous avons appelé « liberté psychologique » le fait d’être conscient-e de ce que l’on est et de l’image que la société a de nous. Cette liberté psychologique est très faible chez certaines personnes racisées ce qui les pousse à réfléchir sans cesse à l’image qu’elles renvoient mais aussi aux risques de subir le racisme en s’engageant dans telle ou telle activité. Cela peut aller de choses simples comme « Où est-ce que je vais aller au cinéma ? », « Où vais-je aller boire un verre ? » à « Mon enfant va-t-il être accepté dans telle école ? », « Dans quel pays pourrais-je voyager sans risquer d’être violenté en raison de ma couleur de peau ? ». C’est cette notion qui nous a particulièrement intéressé-e-s. Cette liberté psychologique est totale chez les personnes blanc-he-s car la question de la couleur de peau dans un contexte de domination systémique par les blanc-he-s entraîne qu’elles ne subiront jamais le racisme.

 

L’issue de la table ronde a mis en lumière une série d’événements négatifs vécus par les patient-e-s racisé-e-s face aux professionnel-le-s de la santé mentale. Les deux principaux problèmes mis en avant sont : la méconnaissance du racisme par les professionnel-le-s et la négation du racisme par les professionnel-le-s (les deux étant liés). La méconnaissance du racisme entraîne une situation où les patient-e-s sont obligés d’expliquer eux/elles-mêmes ce qu’est le racisme, quelles sont ses manifestations, mais également leur culture et leurs origines. La négation du racisme est la non-prise en compte de ce racisme dans le traitement des patient-e-s parfois même lorsque ce racisme est la raison de leur consultation chez un-e professionnel-le.

Quelles perspectives ?

Des recherches académiques sur le lien entre racisme, somatisation et santé physique ou mentale seraient indispensables pour obtenir un appui théorique aux mouvements militants qui mettent cette problématique en avant. A l’instar des Etats-Unis, les universités et les centres de recherches pourraient s’emparer de la question ce qui permettrait de mettre en place une politique de bien-être pour les patient-e-s racisé-e-s. 

Il faut également prêter une attention particulière au racisme présent dans les soins de santé.. En plus du vécu du racisme et de la somatisation qui en découle, peut s’ajouter le racisme que les personnes racisées subissent lorsqu’elles cherchent de l’aide auprès d’un-e professionnel-le de la santé.

https://www.lazone.be/aPropos/

https://www.ted.com/talks/david_r_williams_how_racism_makes_us_sick/transcript?goback=.gde_1830899_member_277410621&language=fr#t-69300

Chronique de Jade sur radio Néo-Quebec « racisme et santé mentale »

http://www.apa.org/pi/aids/resources/exchange/2012/04/minority-stress.aspx

 


[1] Projet politique actif dans le champ culturel avec une attention particulière sur la mise en avant de projets issus des minorités culturelles 

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