Une minorité de minorité : les syriens de confession chrétienne en Belgique

Rédigé le 22 décembre 2017 par : Benjamin Peltier

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Cette analyse a été réalisée suite notamment à des entretiens avec une quinzaine de réfugiés syriens de confession chrétienne âgés entre 20 et 35ans

Le conflit en Syrie a amené en Belgique quelques 20.000 syriens. Une partie d’entre eux est de confession chrétienne et la majorité est de confession musulmane. Dans cette analyse nous aborderons d’abord l’historique et les origines du christianisme en Syrie pour ensuite s’intéresser aux Syriens chrétiens en Belgique et sur la manière dont ils perçoivent leur relation vis-à-vis de leurs compatriotes musulmans.

Histoire d’une minorité

Les chrétiens en Syrie ont toujours constitué une minorité relativement importante. Si leur présence est effectivement très ancienne, elle remonte au tout début du christianisme[1], pour autant la coexistence avec leurs concitoyens de confession musulmane n’y a pas toujours été facile.

Lorsque la région bascule sous l’autorité des Arabes au 7ème siècle, les Chrétiens sont partout majoritaires[2]. La conquête ne s’accompagne aucunement d’une politique d’islamisation. La vie des Chrétiens sous domination arabe ne change donc pas énormément. Le déclin des communautés chrétiennes ne commencera réellement qu’à partir du 10ème siècle avec l’augmentation des impôts qui pèsent sur les non-musulmans mais aussi avec le renforcement de l’arabisation de la société. Les croisades, notamment justifiées par la nécessité de protéger les Chrétiens et qui sont lancées dès 1095 vont renforcer ce processus. La collaboration des populations chrétiennes locales avec les croisés va renforcer l’antagonisme et la reconquête s’accompagnera d’expulsions. Progressivement, les communautés chrétiennes vont alors se refermer sur elles-mêmes et commencer un lent déclin.

Au 16ème siècle, 200 ans après les croisades, les chrétiens ne forment plus que 10% de la population de la région.  Vers la fin de l’empire Ottoman, la persécution à leur égard ira crescendo, pour aboutir en 1917 au génocide Arméniens[3].

Toutefois, la minorité chrétienne en Syrie, mais plus généralement dans la région, continue à constituer un enjeu, instrumentalisé par les puissances européennes[4], pour justifier un ‘droit d’influence’ dans la région. La France signe au 16ème siècle un accord avec la Sublime Porte qui lui donne un droit de protection sur les religieux chrétiens non-Ottomans de l’Empire. Accord qui sera après interprété plus largement par la France comme un droit de protection sur l’ensemble des Chrétiens. Mais c’est véritablement à travers le 19e siècle que ce concept de « protection » va se généraliser : chaque puissance européenne « adoptant » une minorité chrétienne (les orthodoxes pour les Russes, les maronites pour les français,…) et cela se traduisant par un contrôle des lieux saint liés à chaque communauté. Cela va aussi permettre de justifier l’investissement important fait par les européens dans des écoles chrétiennes, souvent de langue française, au sein de l’empire Ottoman. Ceci va contribuer à favoriser un ethos chez les arabes chrétiens, plus proche de celui des européens que ne l’est celui de leurs voisins musulmans.

Des chiffres difficiles à établir

L’empathie particulière des européens pour ces minorités chrétiennes a continué jusqu’à ce jour. Le régime syrien d’Hafez et Bachar el-Assad, l’avait parfaitement compris et a longtemps laissé plus de marges à ses concitoyens chrétiens qu’il n’en laissait aux sunnites. Ce phénomène se traduisait notamment par une estimation excessive de la taille réelle de cette communauté chrétienne en Syrie : 10% de la population en 2011 d’après le régime, maximum 8% d’après des experts extérieurs[5], certains parlant même de 3,9% de la population[6]. Ce qui est beaucoup plus difficile à estimer c’est le nombre qu’il reste maintenant en Syrie. Sur le million sept-cents milles Syriens chrétiens « déclarés » par le régime, entre 300.000[7] et 800.000[8] auraient fuient le pays. Ce qui dans la seconde hypothèse représenterait la moitié de ceux-ci. Une enquête a d’ailleurs montré que parmi les chrétiens 35% désirent pouvoir vivre à l’étranger, alors que ce chiffre n’est que de 8% pour les Syriens musulmans[9]. Déjà entre 1899 et 1919, ce sont près de 1 millions de syriens chrétiens qui migreront aux USA[10].L’exode des chrétiens de Syrie n’est donc pas un phénomène propre au conflit, il est vieux de plus d’un siècle, mais est plutôt largement renforcé par celui-ci. De plus la guerre permet aux Syriens d’obtenir le statut de réfugié en Europe, statut auquel ils n’auraient pas pu accéder auparavant.

Cartographie d’une minorité fragmentée

Si de loin nous regroupons sous le vocable unique de « chrétiens » cette minorité, dans les faits, il faudrait plutôt parler de minorités au pluriel. En effet, il y a une très grande diversité d’Eglises de tailles variables. On peut en recenser huit (probablement par ordre d’importance) : l’Eglise greco-orthodoxes d’Antioche, l’Eglise Syriaque-orthodoxe, l’Eglise Arménienne (les trois principales), les melkites, les catholiques, les Syriaque-catholiques, les maronites et même des protestants. Au-delà de ces différentes Eglises, les communautés chrétiennes s’organisent aussi de manières géographiques. Ainsi, les chrétiens de Damas interrogés affirmaient tous, quel que soit leur confession, que les chrétiens d’Alep était « très différents » et n’avaient « rien à voir avec eux ». Ceux d’Alep, aussi insistaient beaucoup sur leur attachement à leur communauté géographique. Une identité qui peut donc se placer comme étant en creux de deux autres : les Chrétiens des autres villes et les Aleppins non-chrétiens. Tous ont donc insistés sur le peu de distinction qu’ils faisaient entre membres d’églises différentes. Plutôt que de passer par l’église, la socialisation des chrétiens entre eux se faisant par trois médium : l’école (ils fréquentent les écoles chrétiennes), le quartier (les chrétiens vivent dans les quartiers chrétiens des grandes villes ou dans des villages chrétiens) et la famille (les chrétiens se marient entre eux, y compris avec des membres d’autres églises).

Arrivée en Belgique

Bien que cela n’ait jamais vraiment fait l’objet d’une communication officielle de l’état belge, il y a bien une politique migratoire à l’égard des syriens qui a favorisé l’accueil des syriens chrétiens au dépend des musulmans. Ainsi, la totalité des visas ‘justifiés par une urgence humanitaire’ octroyés par les autorités belges à des syriens l’ont été à des chrétiens[11]. Ces visas sont donnés à des candidats ne se trouvant pas encore sur le territoire belge, leur permettant ainsi de le rejoindre légalement. L’exemple de plus grand ampleur fut l’exfiltration par les autorités belges de 244 chrétiens, principalement maronites, de la ville d’Alep en juin 2015. Ces choix ont ainsi donné une couleur très ‘aleppine’ aux communautés chrétiennes présentes en Belgique et très maronite de surcroit (communauté par ailleurs plutôt minoritaire parmi les chrétiens de Syrie). Cet afflux ‘groupé’ leur a permis de recréer facilement des logiques communautaires en Belgique. Ainsi, à Liège, la présence d’un prêtre syrien vivant en Belgique depuis 15ans et célébrant la messe en arabe, a amené une cinquantaine de familles syriennes à s’installer là ces dernières années. La présence d’un premier groupe en amenant d’autres, des syriens chrétiens sont aussi arrivés en Belgique par la voie de la mer et des Balkans, dans le but de rejoindre ceux qui avaient pu arriver par des voies sures et légales. La constitution d’une communauté importante à Liège leur permettant de conserver un vrai réseau social. « Ici on vit comme à Alep, on se voit tous les jours, on va les uns chez les autres ». Ils reconnaissent aussi des difficultés : ils pensaient qu’en tant que chrétiens ils ne subiraient pas de discriminations comme les musulmans. La réalité s’avèrera moins rose : même pour les chrétiens, un passeport syrien est synonyme de difficulté pour l’accès à l’emploi et au logement. 

Relation avec les autres syriens

On peut distinguer différents positionnements dans les chefs des personnes rencontrées.

1/ Une partie vit clairement sans contact aucun avec des syriens musulmans. Ils préfèrent l’attachement et la proximité communautaire qu’ils ont avec leur groupe de syriens chrétiens. Interrogés sur le pourquoi, ils ne citent pas de raisons religieuses[12].  Ils expliquent que déjà en Syrie, les contacts n’étaient pas nombreux, mais que cela était lié à plutôt à des questions de classes sociales. A classe sociale équivalente, ils pouvaient facilement lier une relation avec un musulman[13]. Sur la survivance de ce cloisonnement en Belgique, plusieurs évoquent aussi la question politique : la plupart des réfugiés syriens musulmans ont un discours critique vis-à-vis du régime syrien. Discours que même certains chrétiens qui ont fui précisément le régime se refusent à tenir. Dans un contexte de guerre civile au pays, ce type de désaccord n’est pas anodin, et plusieurs chrétiens ont cité cette raison pour expliquer leur peu d’envie d’interaction avec les syriens musulmans croisés en Belgique.

2/ D’autres ont une logique sociale moins communautaire, ce qui a comme conséquence de leur faire fréquenter beaucoup plus de belges. Face à cet « autre », ils en viennent à réhabiliter davantage leur identité de Syrien, ou plutôt d’Arabe pour reprendre leur mot. Ce réinvestissement de leur identité arabe les conduits à se sentir proche des autres syriens croisés, même musulman, car cette identité les inclus dans un ‘nous’. Ce qui amène certains à dire qu’ils ont plus de contacts avec des Syriens musulmans ici qu’il n’en avait en Syrie. Il est à noter que ce second positionnement est possible seulement pour ceux qui acceptent une certaine critique du régime, ce qui n’est pas forcément majoritaire. 

Conclusion

Cette analyse n’a permis que d’entrevoir une thématique de manière très sommaire. Il y aurait beaucoup plus à creuser mais cela nécessiterait d’élargir l’échantillon et de mener des entretiens plus fouillé. Mais la thématique est riche : dans le cadre d’un conflit aussi sanglant que celui en Syrie il est indéniable que les conséquences sur la diaspora syrienne de Belgique est importante. Comprendre à quel point le public syrien en Belgique est diversifié est crucial pour les personnes travaillant avec ces populations.

 


[1] A Damas on peut visiter ce qui aurait été la chambre ou Saint Paul avait été accueilli après sa rencontre avec le Christ, précisément sur le chemin menant à la ville.

[3] Qui touchera aussi largement d’autres minorités chrétiennes non-arméniennes

[4] Particulièrement la France

[5] Rapport Understanding recent movements of Christians from Syria and Iraq to other countries across the Middle East and Europe de Open Door International, 2017.

[6] François Boëdec s.j., « Chrétiens d’Orient : Doutes et angoisses » in Revue Etude, Tome 405, Novembre 2006.

[7] Norwegian Church Aid, “The Protection Needs of Minorities from Syria and Iraq,” 18, 45.

[8] Johnson and Zurlo, World Christian Database

[9] ibid

[10] Hitti, Philip (2005) [1924]. The Syrians in America. Gorgias Press

[11] Laureine Kihl « Des visas pas si «humanitaires» » in Le Soir,  23 mai 2017

[12] On peut évidemment interroger le caractère ‘politiquement correcte’ de ce choix

[13] Ceci se comprend par la structuration socio-économique du pays ou, en moyenne, les populations chrétiennes sont plus aisées que les musulmanes 

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